Le Chant des forêts est votre premier long métrage en solo. Quand et comment naît-il ?
Vincent Munier : L’idée est née dans la foulée de l’aventure singulière de La Panthère des neiges qui fut un projet vraiment atypique. Nous étions en effet partis sur cette aventure sans production, de manière artisanale. Nous devions ensuite vendre le film à la télévision pour un prime France 2 quand un ami producteur a rattrapé le projet au vol pour le cinéma. Ce à quoi je n’avais jamais pensé car le photographe que je suis n’imaginait pas avoir l’âme d’un cinéaste. Nous avons alors retravaillé le film pour lui donner une dimension cinématographique. Le succès qu’il a rencontré nous a surpris et dépassés : 650 000 entrées pour un film qui n’a quasiment rien coûté, où j’avais juste invité des copains, dont Sylvain Tesson ! Mais j’avoue que j’y ai pris goût. Je me suis dit qu’il fallait ensuite que je raconte mon histoire, mon terreau, mes Vosges. Que je partage tout ce que mon père m’a enseigné. Et ce d’autant plus que j’avais déjà un capital d’images tournées sur huit ans.
Pourquoi filmiez-vous ? Pour des projets en particulier ? Pour vous ?
Pour moi ! Une belle lumière sur un paysage peut me rendre fou ! (Rires.) J’aime passer mon temps à attendre et capter ces moments éphémères de poésie pure. D’ailleurs, je trépigne car, avec la promotion, je suis retenu à Paris. Et je n’ai qu’une hâte : retourner filmer. Mais pas pour un projet particulier, rien que pour moi !
La transmission a donc tout de suite été au cœur de ce récit ?
Oui, ce documentaire était d’abord une histoire de famille avec moi comme trait d’union entre deux générations, celle de mon père et celle de mon fils. Le cinéma représente à mes yeux l’écrin idéal pour embarquer les gens dans l’intimité familiale et dans l’intimité de l’affût afin d’admirer les espèces qui déambulent dans les bois. Il était évident dès le départ que cette histoire de transmission serait aussi une histoire de nature et de forêt, le lieu même où elle allait se développer.
Vos coproducteurs de La Panthère des neiges, Paprika, vous ont-ils tout de suite suivi ?
Oui, même si, là encore, tout est parti d’un geste assez artisanal. J’ai mis beaucoup de choses en place moi-même. Mais Paprika a de nouveau été un partenaire essentiel, notamment sur tout ce qui est administratif. Sur le terrain, je suis reparti avec la même petite équipe. Je filme seul les images animalières. Pour le reste, je suis accompagné de deux amis au cadre : Antoine Lavorel et Laurent Joffrion.
Comment filmez-vous la nature ? Votre œil de photographe nourrit-il votre travail de cinéaste ?
Nous filmons avec mes boîtiers photo. Il n’y a pas vraiment de construction intellectuelle chez moi. Tout est instinctif, nourri des ambiances, de l’attente, du surgissement d’une bête… Je ne voulais pas un documentaire animalier avec une succession de belles images, je voulais mettre les spectateurs dans les conditions de l’affût, donc de l’attente. Ce film s’est construit sur une idée du temps long, de plans fixes comme des tableaux vivants. Ce qui est exactement ce que nous vivons quand nous guettons dans une clairière. J’avais cette ambition un peu folle de faire vibrer les spectateurs comme s’ils étaient à côté de nous, entourés de présences invisibles qui peuvent surgir.
Le tout sans didactisme, sans voix off nous décrivant, par exemple, l’histoire de chaque espèce qui apparaît à l’écran… Pourquoi ce choix ?
L’idée force du Chant des forêts est de donner la parole aux bêtes. Nous, humains, nous murmurons en les attendant, nous nous taisons, nous nous effaçons.
Sauf lors de vos échanges dans le chalet avec votre père naturaliste qui vous a offert votre premier appareil photo à 12 ans et votre fils que nous sentons prêt à prendre la relève… Ont-ils accepté facilement ce projet ?
C’était le bon moment. Mon père fatigue un peu, à 78 ans. Mon fils change à la vitesse de l’éclair : en un an, il a gagné une tête de plus, sa voix a mué. Tous deux ont pris ce projet comme un jeu. Mon fils est très spontané, il se moque de la caméra. Au début, j’avais dit à mon père : « Tu seras juste une ombre. » Finalement, il est un peu plus que ça ! (Rires.) Je crois que ça ne lui a pas déplu. Par-delà l’aspect poétique et contemplatif que j’évoquais, ce film porte un message qui le touche en tant que militant car il l’a lui-même porté toute sa vie : le devenir de nos forêts vivantes. Le Chant des forêts parle de notre responsabilité, de la nécessité d’arrêter de penser et d’agir en espèce dominante. Mais là encore, je le fais sans didactisme. Je voulais éviter le film moralisateur. Je crois aux clés du sensible : le ressenti, la poésie. Nous manquons de poésie dans nos vies quotidiennes. Si le film apaise et incite à la bienveillance, je suis le plus heureux des hommes.
Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre manière de filmer au fil des années ?
Forcément, mon regard s’est aiguisé mais je crois avoir gardé ma capacité d’émerveillement intacte. Je me sens comme un vieux gamin qui joue encore à la cabane ! (Rires.) Je pense aussi avoir eu dès le départ cette exigence pour magnifier la lumière, les bêtes, les paysages. Par respect pour eux et pour transmettre au plus juste les sensations que je ressens.
Le Chant des forêts permet de comprendre que votre père vous a transmis cette passion. Y a-t-il eu d’autres déclencheurs ?
Mon père est en effet le déclencheur de tout. Mais au fond, il n’aimait pas que nous soyons deux sur un affût : double bruit, double odeur… Donc assez vite, c’est un exercice auquel je me suis adonné seul, comme l’indique le titre du double album de photographies que j’ai publié en 2013 : Solitudes. Mais quand je filme, je me nourris aussi de récits de naturalistes que j’ai dévorés ou de peintres. Le Chant des forêts est parsemé de clins d’œil à Georges de La Tour, Claude Lorrain, Rousseau… Je suis un amoureux des contre-jours et des images qui laissent de l’espace à l’imaginaire.
Comment avez-vous construit au montage cet équilibre entre nature et transmission sur lequel repose Le Chant des forêts ?
Il y a eu deux écritures sur ce film. La première avant le tournage pour arriver à trouver des partenaires, dont le CNC qui nous a accordé l’Avance sur recettes. Ensuite, tout s’est réécrit au montage. Un travail de plus de huit mois avec Vincent Schmitt et Laurent Joffrion, dans une petite salle de montage chez moi, dans un coin de ma ferme. Ce travail a commencé par un dérushage de tous les plans que nous classions par ordre : prioritaires, seconds choix… Puis nous nous lancions, nous essayions, nous cherchions. Au fond, pour moi, un film reste toujours une ébauche. Nous pourrions l’améliorer sans fin. Et je pourrais y être encore s’il n’y avait pas eu la date butoir de sa sortie en salles ! (Rires.)
LE CHANT DES FORÊTS
Réalisation et scénario : Vincent Munier
Production : Kobalann, Paprika Films
Distribution : Haut et Court
Ventes internationales : The Bureau sales
Sortie le 17 décembre 2025
Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)