Jean-Claude Carrière : « Connaître en amont l’interprète d’un personnage influence l’écriture »

Jean-Claude Carrière : « Connaître en amont l’interprète d’un personnage influence l’écriture »

20 décembre 2018
Cinéma
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L'Homme fidèle de Louis Garrel
L'Homme fidèle de Louis Garrel Shanna Besson/Why Not Productions
Après avoir écrit L’Ombre des femmes et L’Amant d’un jour pour Philippe Garrel, le scénariste de Buñuel, Godard, Forman, Oshima et tant d’autres maîtres du septième art co-signe avec Louis Garrel celui de son deuxième long métrage, L’Homme fidèle.

Comment est née cette première collaboration à l’écriture entre Louis Garrel et vous ?

Je connais Louis depuis des années. Et il était d’ailleurs venu me lire le scénario de son premier long métrage, Les deux amis, pour que je lui fasse quelques petites remarques. Mais sans participer à son écriture. Et sur L’Homme fidèle, tout s’est fait naturellement. Il est simplement venu me demander si j’accepterais de participer à son écriture… et je me suis tout de suite mis au travail. J’ai écrit, presque d’un trait, la première scène du film : celle de la séparation où Marianne - le personnage de Laetitia Casta - annonce à Abel – celui de Louis - qu’elle est enceinte… mais pas de lui. Ça a beaucoup plu à Louis et on a ensuite enchaîné.

Cette scène inaugurale donne le ton du film. Un marivaudage moderne avec un humour teinté d’autodérision et une importance essentielle donnée aux mots et aux dialogues…

Vous avez raison mais tout le travail consiste à ne pas montrer ce côté littéraire que vous évoquez. Il faut que chacun des échanges entre les différents personnages paraisse une discussion normale… Soit l’inverse, évidemment de ce qu’elles sont. Quand, par exemple, le fils de Marianne balance à Abel : « Papa, c’est maman qui l’a tué », ce n’est pas exactement le prototype de phrase qu’on entend tous les jours ! J’ai éprouvé un immense plaisir à écrire ces dialogues et même à aller trop loin lors de certaines scènes logiquement absentes du montage final. Car elles m’ont aidé à placer le film à l’endroit précis où il devait se situer : entre le vraisemblable et l’impossible. Dans une zone où le spectateur va être en mesure d’accepter des choses extravagantes sur le papier.

Comment se passe concrètement la collaboration entre Louis Garrel et vous lors de cette écriture ?

On discute tous les deux en amont de chaque scène puis j’écris. Et on en reparle dès la première version de la scène terminée. Mais face à Louis, je me suis retrouvé comme autrefois avec Pierre Etaix. J’avais la chance d’avoir devant moi tout à la fois le réalisateur et l’interprète principal du film. C’est un luxe inouï pour un scénariste. Comme si les premières images du film surgissaient, vivantes, en face de vous. Sans compter aussi évidemment que connaître en amont l’interprète d’un personnage influence votre écriture. J’ai ainsi eu un grand bonheur à écrire pour Louis qui, avec son physique à la Gregory Peck, se révèle excellent dans la comédie. Très discret, très précis. Il apporte par son jeu cette autodérision qui fait le sel de ce récit.

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Vous avez aussi façonné leurs personnages pour ses principales partenaires, Laetitia Casta et Lily-Rose Depp ?

Pas pour Lily-Rose qui est arrivée plus tard sur le projet. Mais, pour Marianne que joue Laetitia, j’ai pu m’adonner à un de mes péchés mignons : me référer à mes humanités classiques. Dans les scénarios que j’ai pu écrire, j’ai ainsi souvent appuyé mes personnages sur des figures de la mythologie grecque. Et pour Marianne, ce fut Minerve. J’avais ce modèle en tête : une femme intelligente, réfléchie, forte mais aussi guerrière car, même si on l’oublie souvent, Minerve défend la cité par les armes.

L’Homme fidèle ne dure qu’1h15, durée peu habituelle pour un film. Le récit était déjà aussi intense et ramassé dès son écriture ?

Oui, il l’était. Je vous parlais d’Etaix un peu plus tôt. Rappelez-vous que Le Soupirant ne durait pas plus d’1h20. Et comme pour L’Homme fidèle, cela me paraît la durée appropriée à ces récits. Quand j’écris, j’ai toujours en tête une phrase de Coluche qui disait : « Tous les films ont une heure de trop » (rires). C’est forcément un peu radical mais il y a du vrai là-dedans. Il faut lutter contre la tendance qu’on a toujours à s’appesantir un peu trop sur les choses.

Avec le recul, quel fut votre plus grand plaisir d’écriture sur ce film ?

Deux moments en particulier. La scène où Marianne dit à Abel qu’il devrait aller coucher avec Eve (qu’incarne Lily-Rose Depp) : un geste qui révèle une stratégie savante de sa part mais assez inhabituel donc pas évident à glisser dans un film. Et puis il y a cette réplique de Marianne expliquant à Abel pourquoi, plus jeune, elle lui a préféré son ami Paul : « Je pouvais aimer deux hommes mais mon enfant ne pouvait avoir qu’un père. Alors j’ai joué à pile ou face ». Quand j’ai trouvé ces phrases, je savais que je tenais le film. Car elles en constituaient le cœur. Cette idée force que le hasard joue un rôle essentiel dans cette histoire, au point de constituer un personnage en soi.

Y a-t-il eu pour vous une émotion particulière à travailler avec Louis Garrel après avoir écrit pour son père Philippe, L’Ombre des femmes et L’Amant d’un jour ?

Forcément car ce n’est pas fréquent dans la vie d’un scénariste ! Mais très vite, je l’ai oublié. Je n’ai pas du tout parlé du sujet avec Philippe par exemple. Ni Louis, ni moi ne lui avons demandé de lire le scénario. Je cloisonne. Mais j’ai déjà retrouvé Philippe depuis car nous avons terminé un scénario qui va être tourné cette année. Passer ainsi de l’un à l’autre me convient parfaitement !

L’Homme fidèle sort en salles le 26 décembre.