Kamal Lazraq, de la Fémis aux « Meutes »

Kamal Lazraq, de la Fémis aux « Meutes »

17 juillet 2023
Cinéma
« Les Meutes » de Kamal Lazraq.
« Les Meutes » de Kamal Lazraq. Ad Vitam

Le réalisateur marocain a présenté à Cannes, en mai dernier, son premier long métrage, couronné du prix du Jury à Un Certain Regard. Comme ses courts métrages précédents, Les Meutes repose sur des comédiens non-professionnels avec lesquels le cinéaste adapte sa méthode de travail. Explications.


Le 21 mai 2023 restera une date à part pour Kamal Lazraq. Le jour où, entouré de son équipe, le cinéaste est monté sur la scène de la salle Debussy à Cannes, présenter Les Meutes, son tout premier long métrage, sélectionné à Un Certain Regard. Un thriller nocturne et mystique situé dans les faubourgs populaires de Casablanca où un père et un fils, tentant de survivre au jour le jour en enchaînant les petits trafics en tout genre pour la pègre locale, se retrouvent chargés par un caïd de kidnapper le propriétaire du chien qui a battu le sien au cours d’un combat. Une mission qui tourne très vite à la tragédie quand l’homme en question meurt étouffé dans le coffre de leur minivan miteux… Le début d’une très longue nuit à travers les bas-fonds de la ville pour parvenir à enterrer le plus discrètement possible le cadavre.

Travailler avec des non-professionnels

Né à Casablanca en 1984, Kamal Lazraq s’oriente d’abord vers des études de droit et de sciences politiques à Paris, la ville où un déclic s’opère. « C’est en fréquentant les salles de cinéma art et essai que j’ai découvert des films très différents de ceux que j’avais l’habitude de regarder comme simple spectateur », explique-t-il dans le dossier de presse des Meutes. L’un d’eux va jouer un rôle décisif et poser les bases de son parcours : Sonate d’automne d’Ingmar Bergman. « Ce fut mon vrai premier choc cinématographique, celui qui m’a fait comprendre toute la puissance émotionnelle que peut créer parfois le septième art» Une porte d’entrée qui va le conduire à la découverte, pêle-mêle, des œuvres néoréalistes italiennes, des films de Ken Loach, du Nouvel Hollywood des années 70… Cet enchaînement de chefs-d’œuvre en tout genre lui donne envie de s’essayer à la mise en scène. Il décroche le concours d’entrée de la Fémis, dont il sort diplômé en 2011.

 

C’est à l’école qu’il commence à travailler avec des non-professionnels. Très vite, son travail se fait remarquer. Son film de fin d’études, qu’il choisit de tourner dans sa ville natale, Drari, retrace la chronique d’une amitié entre deux jeunes hommes issus de milieux sociaux diamétralement opposés. Les récompenses en festivals sont nombreuses : Grand Prix à Entrevues, à Belfort, deuxième prix de la Cinéfondation cannoise… « Avec ce premier court, j’ai découvert combien diriger des non-professionnels procure de liberté, de souplesse et d’adaptabilité. Je n’avais pas envie de faire un cinéma où il faut attendre deux heures pour que la lumière soit parfaite. » La technique est ici au service des comédiens, pas l’inverse. Cette même règle s’appliquera deux ans plus tard avec son deuxième court, L’Homme au chien, film de 30 minutes dont l’action se déroule au cours d’une seule nuit dans le milieu des combats de chien (récompensé par un prix d’interprétation pour Ghali Rtal Bennaniau festival Premiers Plans d’Angers). Un univers que Kamal Lazraq a eu envie d’explorer à nouveau avec Les Meutes.

Un tournage où il faut constamment s’adapter

Cette fois, il s’aventure sur le terrain du film noir, non dénué de quelques doses de burlesque rappelant le Fargo des frères Coen. Il y parle tout à la fois de la figure du père au Maroc – très différente de la conception occidentale par son côté intouchable – et par ricochet d’une relation père-fils faite de soumission, mais aussi de religion et de misère sociale, souvent avec l’illégalité comme seul moyen de survie. Tout ceci est développé dans un scénario écrit de manière très précise, mais qui va évoluer sur le plateau, pour s’appuyer sur des comédiens non-professionnels et s’adapter à leur capacité ou non de jouer certaines situations. L’idée étant d’en faire, comme pour ses deux courts métrages, le cœur de son projet. « Travailler avec des non-professionnels génère forcément des imprévus. Mes acteurs viennent comme leurs personnages de milieux sociaux très difficiles, sont aux prises avec des addictions… Dès que je voyais que l’un d’eux n’arrivait pas à jouer une scène, je la réécrivais au pied levé. » Un tournage où il faut constamment s’adapter, c’est le défi que le cinéaste a tout de suite présenté à son équipe, avant même le premier clap. « Tourner avec des non-professionnels, c’est avoir la chance d’insuffler aux personnages et aux situations qu’on a écrits leur intensité naturelle. Et il faut donc, scène après scène, tout faire pour ne jamais diluer celle-ci par trop de contraintes techniques» Très vite, par exemple, le réalisateur s’aperçoit que la plupart de ses interprètes n’arrivent pas à respecter les marques au sol censées indiquer leur déplacement et l’endroit où ils doivent arrêter leurs déambulations et décide donc de les supprimer. « Ce n’était pas à eux de s’adapter à nos méthodes mais à nous de nous adapter aux leurs. »

La technique ne devait pas écraser les acteurs.

Tout cela vaut évidemment aussi pour son chef opérateur, Amine Berrada, qui a signé la lumière de Banel & Adama, le premier long métrage de Ramata Toulaye-Sy, présenté en compétition à Cannes cette année. Un défi encore plus dur à relever sur un tournage à 95 % nocturne. « La première chose que j’ai précisée à Amine, c’est que la technique ne devait pas écraser les acteurs. Il a tout de suite compris. » Ce que le directeur de la photo confirmait pendant le Festival de Cannes sur le site officiel de la CST [Commission supérieure technique de l’image et du son] : « J’ai tout de suite compris la dimension documentaire que Kamel recherchait. Sans doute ne m’aurait-elle pas autant passionné sur un tournage diurne. Mais le fait de tourner la nuit apporte une autre dimension au film. Plus l’intrigue avance, plus on a l’impression de s’enfoncer dans un cauchemar. Notre référence, c’était d’ailleurs une fiction, pas un documentaire : la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn. » Comme l’explique Kamel Lazraq : « L’idée était de mettre en place un éclairage qui allait permettre aux comédiens d’évoluer librement, quasiment à 360 degrés, et que l’image épouse leurs corps en étant très organique, très charnelle, en assumant les défauts» Ainsi, pour ce film immersif, en lieu et place de l’éclairage mis en place avec minutie en disposant des projecteurs sur une grue, le cinéaste fait le choix au dernier moment d’allumer les phares du minivan pour faire surgir de l’obscurité les visages de deux personnages. « Il ne fallait pas faire du léché, je préfère quand il y a du grain, quand c’est un peu baveux» Un film à hauteur de ses personnages ou plus précisément de ses comédiens. Un parti pris qui a séduit les membres du jury UCR, présidé par le comédien américain John C. Reilly, qui l’ont couronné le 25 mai dernier, succédant ainsi à Joyland du Pakistanais Saim Sadiq.

LES MEUTES

Les Meutes
Réalisation et scénario : Kamal Lazraq
Photographie : Amine Berrada
Montage : Héloïse Pelloquet et Stéphane Myczkowski
Musique : P.R2B
Production : Mont Fleuri Production, Barney Production, Beluga Tree
Distribution : Ad Vitam
Sortie le 19 juillet 2023
Soutiens CNC : Aide aux cinémas du monde(avant réalisation), Aide à l'édition vidéo (aide au programme 2023)