« Confidente » : un film engagé, tourné dans l’urgence

« Confidente » : un film engagé, tourné dans l’urgence

06 août 2025
Cinéma
« Confidente »
« Confidente » réalisé par Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti Pyramide Distribution

Présenté en première mondiale à la Berlinale 2025, Confidente a vu le jour dans un contexte de production resserrée. Muriel Merlin, coproductrice pour 3B Productions, revient avec Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti sur la genèse de leur nouveau long métrage qu’ils ont aussi cofinancé, six ans après Sibel


À quand remonte votre première rencontre ?

Çağla Zencirci : Nous avons rencontré Muriel pour la toute première fois lorsque nous lui avons montré une version montée de notre précédent long métrage, Sibel, afin de recueillir son avis. Muriel connaissait bien Marie Legrand et Rani Massalha des Films du Tambour, qui nous coproduisaient. C’est ainsi que le contact s’est établi.

Guillaume Giovanetti : Nous voulions bénéficier du regard d’une productrice expérimentée sur notre montage. Muriel a travaillé avec Bruno Dumont, Rachid Bouchareb, Hirokazu Kore-eda… Son retour a été précieux. Cet échange initial nous a donné envie de l’associer dès le début à la production de notre film suivant.

Muriel Merlin : Je connaissais en effet bien Marie et Rani, avec qui j’avais déjà collaboré sur plusieurs films. J’ai donc accepté cette consultation sans hésitation : on me l’avait probablement demandée parce que je suis assez directe dans ma façon de dire les choses. D’après mes souvenirs, il y avait peu de points de friction. Le travail de Véronique Lange, ancienne monteuse de Claude Miller, était remarquable. Dès le départ, je me suis immédiatement bien entendue avec Çağla et Guillaume, et j’ai beaucoup aimé Sibel. Me réassocier avec Les Films du Tambour – pour lesquels 3B Productions collabore souvent – sur leur nouveau projet m’a paru une suite naturelle.

Çağla, Guillaume, Confidente était-il le premier projet que vous avez envisagé après Sibel et son excellent accueil ?

GG : Non. Le succès de Sibel nous a poussés à imaginer un autre projet, avec un budget plus important, qui nécessitait davantage de temps pour voir le jour. Et puis la pandémie de Covid est arrive... Puis nous avons décidé de mettre notre projet en pause pour nous consacrer à Confidente, né de l’urgence provoquée par les tremblements de terre de février 2023 dans le sud-est de la Turquie. Un désastre similaire à celui du séisme de 1999 à Istanbul. Les responsables avaient changé, mais les erreurs étaient les mêmes. Nous avons ressenti la nécessité de traiter ce sujet, avec un film plus resserré, plus dialogué que Sibel. Cela nous a naturellement orientés vers le huis clos et le thriller.

Muriel, à quel moment arrivez-vous dans l’aventure ?

MM : En cours de tournage en découvrant les rushes. Le potentiel du film sautait aux yeux. On a donc pris le relais pour financer le montage. Je me suis alors tourné vers le monteur Guerric Catala avec qui j’avais travaillé sur les films de Rachid Bouchareb et que je pensais être l’homme de la situation. Et on s’est mis en recherche de financements. Obtenir l’Aide aux cinémas du monde du CNC à la postproduction a été essentiel car elle a offert de meilleures conditions pour cette étape du montage. On a aussi été rejoints par les Luxembourgeois de Bidibul Productions, déjà présents sur Sibel et qui ont été extrêmement actifs. Mais ce qui a été décisif, c’est l’entrée de Pyramide en tant que vendeur international et distributeur France. Et ce, avant même la sélection de Confidente à Berlin. C’est vraiment Pyramide qui a amené le film au niveau où il est aujourd’hui, en termes de salles et de stratégie de sortie.

GG : La fabrication de Confidente a dû se faire rapidement à cause de l’urgence inhérente au sujet puisque les tremblements de terre ont eu lieu en février 2023 et qu’on a tourné dès l’été suivant. Les Films du Tambour et Pyramide – qui avait distribué Sibel – ont été les premiers à lire le scénario. On a essayé de demander à cette étape l’Aide aux cinémas du monde du CNC à la production sans parvenir à la décrocher. Mais je le répète, il fallait que les choses aillent vite. Donc on devait avancer, même sans cette aide.

MM : Ce qui m’a tout de suite frappée dans le scénario, c’est son héroïne, différente des personnages féminins qu’on a l’habitude de voir en France, qui essaie de s’affranchir en dépit de tous les obstacles qu’elle doit affronter. Mais aussi cette tension qui sautait aux yeux en regardant les rushes et offrait de grandes possibilités de montage. Confidente a vraiment été imaginé dans le but de faire un film très peu cher en huis clos, dans un espace unique, avec un dispositif cinéma très précis. Sans quoi il n’aurait jamais pu voir le jour. C’est aussi ce qui a permis à une société comme 3B de s’engager avant même l’obtention d’aides. Et il ne faut pas oublier que Çağla et Guillaume sont aussi coproducteurs de Confidente avec İİ İİ FİLM. Ils ont su convaincre un investisseur privé, ce qui est très compliqué avec la Turquie. Chacun, à son niveau, a pris un risque. Mais le film ne pouvait pas se faire autrement.

GG : Après avoir été recalés à notre première demande d’Aide aux cinémas du monde, des producteurs à Istanbul nous ont proposé d’attendre six mois en nous garantissant qu’on pourrait alors avoir un investissement beaucoup plus conséquent qui permettrait un tournage plus confortable. Mais nous avons décliné : cela ne correspondait pas au film que l’on voulait faire.

MM : Nous avons tous connu ce genre de promesse : six mois passent, et on nous demande d’attendre encore six mois de plus… sans qu’il ne se passe jamais rien. Çağla et Guillaume ont eu raison de refuser.

GG : Finalement, nous avons a filmé dans une maison de campagne de la banlieue d’Ankara qui appartient à la maman de Çağla et dont on a recomposé les espaces avec le décorateur en cassant les murs pour permettre les circulations fluides de la caméra.

CZ : Notre grande chance, pour que tout cela devienne possible, a été que nos partenaires de Sibel acceptent de retravailler avec nous. Les Films du Tambour et Pyramide, mais aussi les techniciens comme Éric Devin, directeur de la photo, le premier à nous rejoindre. Se connaître, savoir comment chacun travaille a permis de gagner un temps précieux, indispensable à la fabrication particulière de ce film.

Avez-vous pensé un instant que Confidente ne pourrait pas voir le jour ?

CZ : Sincèrement non car on a vite compris que, comme l’a dit Muriel, chacun, à son poste et à chaque étape, acceptait de prendre des risques, y compris d’un point de vue social et politique. C’est aussi le cas du casting, à commencer par Saadet Işıl Aksoy, la comédienne principale. Alors qu’on s’attendait à avoir des réticences, tout le monde était partant et prêt à s’adapter à notre timing serré. Certains comédiens sont ainsi venus avec leurs enfants sur le plateau qui se transformait parfois en garderie ! (Rires.) L’implication de chacun nous a portés du premier au dernier jour.

GG : Notre état d’esprit était de nous jeter dans le vide en essayant de voler de nos propres ailes tout en sachant que si on tombait, ce ne serait au fond pas si grave. Tout le monde ayant pris des risques, on avait par ricochet peu de choses à perdre individuellement. Le but a été de garder en permanence cet état d’esprit.

CZ : Avec Guillaume, nous nous sommes lancés avec l’idée que chaque jour pouvait être le dernier, que tout pouvait s’écrouler à tout moment. Nous avancions sur un fil, avec un équilibre fragile. Cette conscience du risque a été partagée par tous ceux qui nous ont rejoints au fil de l’aventure. Ce film, c’est aussi cette énergie collective.

GG : Grâce à cette mentalité, chaque financement complémentaire a été vécu comme un bonus, et non comme une condition sine qua non.

 

Le tournage a duré combien de temps ?

GG : Quatorze journées réparties sur trois semaines. C’est notre film le plus rapide. Mais la configuration du tournage le permettait. Un lieu unique avec à l’intérieur une pièce où se trouvaient les différents comédiens qui parlaient à notre actrice principale au téléphone. Tout était fait pour pouvoir aller vite.

Muriel, pourquoi avez-vous spontanément contacté Guerric Catala pour monter Confidente ?

MM : Parce que je connais son efficacité et sa capacité à se mettre au service des réalisateurs.

CZ : Guerric est arrivé chez nous. Il a regardé quinze minutes de rushes et on a commencé à parler. Au bout d’une heure, c’était une évidence.

MM : Il a ensuite travaillé dans un premier temps seul.

CZ : Et il a vraiment amené sa patte, en nous bousculant. Car Guillaume et moi sommes assez « classiques ». On adore les plans qui durent, la narration qui prend son temps. Guerric a amené un souffle moderne. Il a osé des coupes qu’on n’aurait jamais faites mais que le fim exigeait.

GG : C’était vraiment la bonne personne pour ce film-là et on sait qu’on aura à des choses à lui proposer dans le futur. D’un point de vue technique, sa rapidité d’exécution était jouissive. On avait à peine le temps de cligner des yeux qu’il avait déjà monté une séquence.

MM : Après Sibel, la réussite de Confidente avec un dispositif différent constitue un atout majeur pour Çağla et Guillaume à l’avenir. C’est la preuve qu’ils peuvent faire des films très différents avec le même talent.

Confidente a connu sa première mondiale à Berlin…

CZ : C’est Éric Lagesse de Pyramide qui, d’emblée, nous avait dit que c’était un film pour Berlin. Et il avait là encore vu juste.

MM : Ce qui m’a frappé, c’est la réaction du public, la manière dont ces premiers spectateurs ont vécu le film, y compris parfois via des rires libérateurs. Et puis, les premières critiques ont été excellentes. Tout cela a permis de déclencher des ventes à l’étranger.

CZ : Confidente va ainsi sortir dans plusieurs pays où aucun de nos films n’a été distribué jusque-là. C’est la première fois aussi que la presse chinoise parle de notre travail. Mais pour nous, Berlin était aussi une étape décisive à cause de l’importante communauté turque qui y vit. C’était l’occasion de tester le film auprès de ce public. À la fin de la projection, des gens en pleurs sont venus nous serrer dans leurs bras pour nous remercier d’avoir traité ce sujet.

MM : Pour autant, Confidente se révèle une œuvre universelle qui parle à tout le monde. C’est un film qui ouvre des pistes, y compris politiquement, mais ne martèle rien.

Confidente va sortir en Turquie ?

CZ : On vise deux festivals majeurs qui vont se succéder en septembre et en octobre, à Adana puis à Antalya. Et c’est à partir de là que tout se décidera…
 

CONFIDENTE

Affiche de « CONFIDENTE »
Confidente Pyramide Distribution

Réalisation et scénario : Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Production : İİ FİLM, Les Films du Tambour, 3B Productions et Bidibul Productions
Distribution : Pyramide Distribution
Ventes internationales : Pyramide International
Sortie le 6 août 2025

Soutiens sélectifs du CNC Aide aux cinémas du monde après réalisation, Aide au parcours d'auteur (Cagla Zencirci - 2022), Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme 2025)