« La Roue » d’Abel Gance : un chef-d’œuvre recomposé

« La Roue » d’Abel Gance : un chef-d’œuvre recomposé

16 février 2023
Cinéma
"La Roue" d'Abel Gance Films Abel Gance - Pathé Production - DR - T.C.D

Il y a 100 ans, le Gaumont Palace accueillait l'unique projection parisienne du film-fleuve d’Abel Gance. Une oeuvre colossale de près de sept heures qui n'a pu retrouver son essence – et sa longueur – originelles que très récemment, grâce une restauration initiée, entre autres, par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, et soutenue par le CNC.


Avec le temps, La Roue d’Abel Gance est devenu un fantasme de cinéphiles. À l’instar Des Rapaces d’Erich von Stroheim dont ne subsiste qu’une infime partie du métrage initial (9 heures), l'œuvre titanesque de l’auteur de J’accuse et de Napoléon semblait elle aussi condamnée à rester amputée à jamais. Et pourtant, en 2019, quatre-vingt-seize ans après avoir été présentée dans son intégralité lors d’une unique projection à Paris, La Roue a retrouvé sa longueur originelle, soit près de sept heures. Une restauration initiée et accompagnée conjointement par les Cinémathèques française et suisse, la fondation Jérôme Seydoux-Pathé et la société Pathé. « C’était un vieux rêve et un défi, explique Sophie Seydoux. Comment reconstituer un film qui, pour des raisons commerciales, a subi de nombreuses coupes au cours des années ? Selon les copies qui subsistent, La Roue a des durées différentes, allant de 4h30 à 1h30… » Pour reconstituer ce montage invisible, les équipes ont autant fait confiance aux images qu’à la musique du film.

Le 16 février 1923, la salle du Gaumont Palace, place de Clichy à Paris, accueille donc la projection exceptionnelle du nouveau film d’Abel Gance. La Roue, adapté d’un roman de Pierre Hamp, Le Rail (1912), est une fresque contemporaine qui raconte un amour fou. Pour cet évènement unique, le directeur de la célèbre salle parisienne, Paul Fosse, épaulé par le compositeur Arthur Honegger, a établi une liste musicale de 117 pièces censées accompagner la projection de ce film muet et mettre en valeur les émotions volontiers exacerbées des personnages. Pour cette « playlist », les deux hommes piochent dans le répertoire de compositeurs modernes comme Gabriel Fauré, Claude Debussy, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet... « Cette liste est rapidement devenue notre fil d’Ariane. Ces musiques renseignaient sur le dynamisme du montage, sur la compréhension même du récit… À leur écoute, on voyait des images. » Outre ces partitions, les responsables de ce travail de titan dirigé par François Ede, ont pu se baser sur le scénario du film abondamment annoté par Abel Gance mais aussi sur les nombreux écrits du cinéaste et notamment sa correspondance avec Charles Pathé. « La fabrication d’un long métrage d’Abel Gance était une aventure en soi qui s’étalait sur plusieurs années, continue Sophie Seydoux. Le papier à lettres du cinéaste portait d’ailleurs le sceau du film sur lequel il travaillait. C’est dire l’importance de l’écriture chez lui. Nous avions donc à disposition une source inépuisable de documentation. »

 

Le soir de ce 16 février 1923, la modernité de ce film d’une vitalité débordante saute aux yeux de tous. Gance a subit l’influence directe de D.W Griffith qu’il a rencontré lors d’un long séjour aux États-Unis. Jean Cocteau écrit : « Il y a le cinéma d’avant et d’après La Roue, comme il y a la peinture d’avant et d’après Picasso. » Le peintre Fernand Léger, lui, s’en souviendra pour la réalisation de son film expérimental, Ballet mécanique. Il est toutefois convenu que le cinéaste devra proposer une version plus courte de La Roue pour son exploitation commerciale. C’est ici que débute la mutilation. « Toutes traces physiques de ce montage ont disparu. Nous avons donc cherché les différentes copies qui subsistent un peu partout dans le monde. Nous nous sommes également plongés dans les chutes du film conservé à la Cinémathèque française. Au final, il nous manquait seulement une bobine, soit 12 minutes de film. C’est assez exceptionnel ! »

La restauration de La Roue a été présentée pour la première fois au Festival Lumière de Lyon en 2019. Pour Sophie Seydoux, la dimension intemporelle de ce mélodrame tient principalement à l’universalité de son propos et à sa dimension sociale. « D’un côté un milieu prolétaire, avec des cheminots bons, gouailleurs, très physiques, qui s’expriment avec beaucoup de force. De l’autre, des bourgeois guindés pas très sympathiques. La Roue reste un film très politique. »

La Roue d'Abel Gance a bénéficié de l'aide sélective à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine du CNC.

Le film est disponible en coffret DVD dans sa version d'origine.