L’AFCAE : 70 ans au service du cinéma d'auteur

L’AFCAE : 70 ans au service du cinéma d'auteur

09 mai 2025
Cinéma
Affiche des Rencontres nationales Art et Essai de Cannes 2025
Affiche des Rencontres nationales Art et Essai de Cannes 2025 AFCAE

Fondée en 1955, l’Association française des cinémas Art et essai (AFCAE) célèbre cette année ses 70 ans d’engagement en faveur de la diffusion en salles des films d’auteur français et étrangers. Acteur historique du réseau Art et Essai, elle accompagne les professionnels dans la valorisation d’un cinéma exigeant, diversifié et accessible à tous. Rencontre avec David Obadia, son délégué général.


Comment est née l’association française des cinémas Art et essai (AFCAE) ?

David Obadia : C’est l’histoire de cinq exploitants de salles et critiques de cinéma parisiens qui décident de se regrouper pour assurer une meilleure diffusion des films. Nous sommes alors en 1955, à une époque où les productions commerciales dominent les écrans. Ces passionnés s’unissent ainsi, portés par l’ambition de défendre des œuvres audacieuses, singulières, venues de France et du monde entier. Très vite, l’AFCAE devient un acteur central de la diffusion culturelle, fédérant des salles engagées dans une mission de service public artistique. Aujourd’hui, l’association rassemble 1 250 salles de cinéma art et essai partout en France. C’est ce même engagement pour la diversité cinématographique qui conduira à la création de la Confédération internationale des cinémas d’art et essai (CICAE) en 1955, dont l’AFCAE est naturellement très proche.

Quelle est la vocation de l’AFCAE ?

Il y en a plusieurs, dont le soutien et la promotion des films d’auteur. Chaque année, nous soutenons entre 80 et 100 films à travers plusieurs dispositifs : le groupe Jeune Public, le groupe Inédits (anciennement appelés « Actions Promotion »), le Comité 15-25 et le groupe Répertoire. Ces groupes rassemblent plusieurs dizaines de bénévoles partout en France. Ces derniers se réunissent environ une fois par mois pour visionner des films et en discuter avant de décider de les soutenir ou non. Nous accompagnons ensuite ces films en salle, en leur fournissant des outils comme des documents quatre pages à destination des spectateurs, ou encore une fiche exploitant, qui propose une analyse approfondie du film, afin de faciliter sa promotion lors de projections, de débats ou de rencontres. L’importance de ce soutien est non négligeable : en effet, d’après les remontées des distributeurs, dès qu’un film est soutenu, il bénéficie d’une programmation supplémentaire de 20 %, notamment durant sa troisième, quatrième ou cinquième semaine d’exploitation. Notre action ne se limite pas à une simple aide ponctuelle : elle repose sur un principe de continuité et de profondeur. Nous nous adressons à des cinémas qui souhaitent offrir une programmation diversifiée et enrichissante à leurs spectateurs. À travers ces recommandations, nous souhaitons accompagner les exploitants dans leur travail en faveur d’une diffusion plus large des films Art et Essai sur l’ensemble du territoire.

La médiation auprès des jeunes est également une action phare menée par l’AFCAE. Comment cela se traduit-il ?

Le renouvellement des publics – notamment des jeunes spectateurs – fait partie de nos missions premières. Cela implique de les sensibiliser le plus tôt possible à des formes cinématographiques moins évidentes, en leur donnant le goût de la découverte et en les ouvrant à une plus grande diversité d’œuvres. Dans le même esprit, nous avons identifié un besoin croissant de formation chez les professionnels de l’exploitation. Le secteur connaît un certain « turn over », en partie lié à une conjoncture économique fragilisée, à des réductions d’effectifs, et ainsi à la disparition progressive de postes dédiés spécifiquement au jeune public. Ces préoccupations font partie de celles qui animent le groupe Jeune Public, composé d'une vingtaine d’exploitants et de coordinateurs. Au-delà des réflexions qu’il mène sur les enjeux liés au cinéma jeune public, le groupe a pour objectif principal d’identifier et soutenir des films en fonction de leur thématique et de leur qualité artistique, puis d’en faciliter la diffusion à travers des outils d’accompagnement comme Ma P’tite Cinémathèque. Les actions mises en place par le groupe, destinée aux salles adhérentes, comportent des animations culturelles qui témoignent de l’engagement des cinémas Art et Essai dans ce domaine. Ce soutien est attribué chaque année à une sélection de 20 à 30 films.

Parlez-nous des Rencontres Art et Essai Jeune Public.

Chaque année, cet événement rassemble près de 300 professionnels autour d’un objectif commun : réfléchir à la relation des jeunes spectateurs au cinéma et aux outils de médiation à imaginer ou renforcer. Au-delà des nombreux films proposés en avant-première, ces rencontres constituent un temps fort d’échanges et de retours d’expériences, propice au dialogue sur les enjeux actuels : censure, influence des réseaux sociaux, difficulté de diffusion des films singuliers, concurrence des plateformes, ou encore attention fragmentée des plus jeunes. Autant de sujets que le groupe explore tout au long de l’année, pour les partager et les débattre collectivement lors de ces journées.

Comment est structurée l’AFCAE ?

Nous sommes une association composée de douze permanents, dont les locaux sont à Paris. Afin d’être au plus près des enjeux et des difficultés rencontrés par nos adhérents, nous restons à leur écoute au quotidien. Nous nous appuyons sur nos adhérents, véritables forces vives de l’association, présents sur l’ensemble du territoire. Ils jouent un rôle clé en assurant une remontée d’informations de terrain et sont particulièrement impliqués dans nos différents groupes de travail. Afin d’être au plus près des enjeux et des difficultés rencontrés par nos adhérents, nous restons à leur écoute au quotidien. Nous nous appuyons également sur un groupe essentiel de l’AFCAE : celui des Associations Territoriales, qui rassemble 35 structures. Ce groupe joue un rôle pivot, en permettant à la fois de faire remonter des réalités de terrain et de partager des informations, qu’il s’agisse des films soutenus ou des actions culturelles et politiques que nous menons. Tout comme l’AFCAE communique ses soutiens à travers divers canaux (newsletter, site internet, réseaux sociaux…), ces associations territoriales assurent un relais auprès de leurs réseaux respectifs. En étroite collaboration avec les institutions et les professionnels, elles contribuent à une meilleure diffusion des films d’auteur, à la sensibilisation des spectateurs et à la formation des équipes des cinémas. Elles jouent également un rôle déterminant dans l’obtention du classement « Art et Essai », qui reconnaît l’engagement des exploitants en faveur de la diversité cinématographique.

Comment caractériseriez-vous le lien qui unit l’AFCAE et le CNC ?

C’est un lien de confiance, à tous les niveaux ! Lors de chaque concertation, le dialogue reste ouvert, constructif et nourri. Le CNC est un partenaire essentiel. Lors de la récente consultation sur la réforme du classement Art et Essai, plusieurs de nos recommandations ont été retenues : une meilleure prise en compte des spécificités territoriales, une reconnaissance accrue des animations mises en place par les salles, ou encore la création d’un label « 15-25 ans ». Le CNC nous a également délégué la mission de recommandation des films Art et Essai. Ce n’est pas l’association en tant que telle qui recommande, mais un collège composé de 50 professionnels, qui se prononcent par vote. Depuis mon arrivée il y a trois ans, nous avons redynamisé ce collège en renouvelant une partie de ses membres. Les mandats sont désormais limités à trois ans, renouvelables une fois, afin de maintenir une implication active. Nous avons conscience que cette tâche est exigeante. C’est pourquoi, si un membre se sent submergé, il peut être remplacé, en concertation avec le CNC. Des réunions régulières sont organisées pour nourrir la réflexion collective : pourquoi recommande-t-on tel film ? Selon quels critères ? Il est toujours enrichissant de questionner ses pratiques et d’ouvrir un espace de dialogue entre professionnels.

Comment définiriez-vous aujourd’hui le cinéma d’auteur ?

Il se distingue, tout comme un film Art et Essai, par sa singularité : il se caractérise par une vision, une écriture, une mise en scène, un jeu d’acteur, bref, un geste cinématographique unique. Il ne s’agit pas de produire un prototype formaté pour un public ciblé avec le marketing associé, mais bien de privilégier la diversité et la liberté artistique. Ces valeurs rejoignent pleinement celles du cinéma Art et Essai. D’ailleurs, si la France est souvent citée en exemple dans ce domaine, c’est avant tout grâce à une volonté politique forte en faveur de l’exception culturelle. Sans le CNC et sans l’engagement du ministère de la Culture, ce modèle n’existerait pas. Ce soutien se traduit par des aides, notamment pour les premiers et deuxièmes longs métrages, permettant de créer une richesse en termes de production permettant ainsi une vraie diversité. Si, demain, nos institutions venaient à disparaître, nous serions confrontés à une situation bien plus complexe. Cet écosystème du cinéma d’auteur repose sur l’appropriation du cinéma par les spectateurs, sensibilisés dès le plus jeune âge grâce à des dispositifs d'éducation à l'image de qualité. Il s’appuie également sur des écoles de cinéma, qui forment les futurs professionnels. Ainsi, c’est la dynamique entre l’offre et la demande qui permet de cultiver et de promouvoir une diversité d’offres Art et Essai.

Vous vous apprêtez à inaugurer les 34e Rencontres nationales Art et Essai de Cannes, qui auront lieu du dimanche 11 mai au mardi 13 mai 2025. Un mot sur cette édition ?

Nous sommes en pleine sélection des films, une tâche exigeante, d’autant plus qu’il s’agit d’une édition très spéciale : elle marquera le lancement des festivités autour des 70 ans de l’AFCAE. À l’occasion de notre assemblée générale, nous présenterons à l’ensemble de nos adhérents les actions prévues pour l’année à venir. Une table ronde sur l’avenir du marché Art et Essai se tiendra également dans l’après-midi du 13 mai. Ce sera l’occasion d’évoquer les bouleversements touchant la production américaine, les tensions actuelles existantes, mais aussi d’imaginer les perspectives à l’horizon de quatre à cinq ans. La journée se conclura par une fête réservée à nos adhérents. Deux jours après les Rencontres, le 15 mai, nous coorganisons avec le CNC une autre table ronde. La thématique sera « Le modèle français de l’Art et Essai : un modèle que l’on nous envie » et offrira l’occasion de porter un regard sur notre modèle tout en l’ouvrant à l'internationale. Cet anniversaire représente pour nous bien plus qu’un moment commémoratif : c’est une opportunité de réflexion et d’anticipation sur les évolutions à venir du secteur.

Depuis 2019, l’AFCAE attribue son Prix des Cinémas art et essai en partenariat avec le Festival de Cannes. Quels en sont les critères d’attribution ?

Ce que nous attendons, c’est un véritable coup de cœur de la part du jury. Sans être une règle stricte, l’idée est d’éviter de primer un film dont la sortie coïncide ou suit de très près le Festival de Cannes, car cela limite nos possibilités d’accompagnement. L’ambition de ce prix est de conférer au film une belle visibilité auprès de nos adhérents, et de provoquer un réel impact sur la programmation. Cette année où nous célébrons nos 70 ans, l’enjeu est d’autant plus important. Parmi les actions mises en place, un document « quatre pages « sera ainsi proposé gratuitement à nos 1 250 salles adhérentes pour soutenir activement le film primé.

Quels autres projets liés à cette année d’anniversaire souhaiteriez-vous évoquer ?

L’objectif principal de nos 70 ans est de redorer l’image du cinéma Art et Essai et de la moderniser, notamment auprès des plus jeunes, qui en ont parfois une vision caricaturale : des films longs, en noir et blanc, projetés dans de vieilles salles aux portes grinçantes… Pour cela, une stratégie de communication globale a été mise en place, avec plusieurs temps forts.
Nous invitons donc l’ensemble de nos 1 200 salles adhérentes à organiser une séance spéciale « 70 ans de l’Art et Essai », au cours de laquelle un membre de l’équipe prendra la parole pour expliquer au public ce qu’est ce mouvement, ses valeurs, ses enjeux. Notre ambition est qu’à la fin de l’année, des centaines de projections aient permis de faire connaître notre mission et nos valeurs auprès du plus grand nombre. Un colloque de trois jours, coorganisé avec le CNC début décembre, viendra clore cette année de célébration. Il sera consacré à la cinéphilie d’hier, aujourd’hui et demain. Ce temps fort sera l’occasion d’une réflexion collective sur les mutations du secteur. Un projet de livre, donnant la parole à des cinéastes sur leur vision de l’Art et Essai, est également en cours. En parallèle, une semaine de festivités avec des avant-premières est prévue, ainsi qu’une refonte complète de notre site internet. Nous renforçons aussi notre action auprès des 15-25 ans. D’autres actions accompagnent cette dynamique : renforcer la place du répertoire, améliorer l’accessibilité des films aux personnes en situation de handicap, répondre aux enjeux d’inclusion, etc. La formation des adhérents est également au cœur de nos priorités. Nous travaillons à la mise en place d'un cycle de formation en ligne pour les accompagner sur divers sujets.
Enfin, les salles font face à une double crise : celle du bénévolat, de plus en plus difficile à mobiliser, et celle du recrutement, dans un contexte où les métiers de l’exploitation peinent à attirer du personnel. Faibles rémunérations, horaires décalés, conditions exigeantes… autant de facteurs qui fragilisent ces professions pourtant indispensables à la vitalité du réseau Art et Essai. Il est aujourd’hui essentiel de repenser leur valorisation. Nous souhaitons ouvrir une réflexion collective sur ces enjeux pour imaginer des solutions concrètes.

Tout savoir sur l’AFCAE

La CICAE en quelques mots

La Confédération internationale des cinémas d’art et essai (CICAE) a été fondée en 1955 par les associations nationales d'art et d'essai de France, d'Allemagne, des Pays-Bas et de Suisse. Son objectif est de promouvoir la diversité culturelle dans les cinémas et les festivals et de renforcer le soutien politique aux salles de cinéma Art et essai dans leurs missions de diffusion, de formation et d’accompagnement des publics. La CICAE organise notamment des ateliers professionnels, comme l’ « Arthouse Cinema Training », et participe activement aux grands festivals internationaux. Réunissant aujourd’hui des exploitants, distributeurs et festivals de cinéma issus de plus de 30 pays, elle constitue un réseau essentiel pour la circulation des œuvres d’auteur en Europe et au-delà.