Le documentaire musical, un genre à part ?

Le documentaire musical, un genre à part ?

13 novembre 2018
Cinéma
Roger Waters dans On l'appelait Roda
Roger Waters dans "On l'appelait Roda" Liberté Films

De plus en plus de documentaires consacrés à des stars de la chanson sortent sur les écrans. Ces portraits dynamisés par des vies souvent chaotiques et une musique populaire, offrent des objets filmiques à part. Autopsie d’un genre.


Il est éclairant de consulter sur le net les différents classements sauvages autour des documentaires musicaux. L’omniprésence des artistes anglo-saxons saute aux yeux. Les vies plus ou moins chaotiques des Rolling Stones (Gimme Shelter, One + One), de Bob Dylan (Don’t look back), Amy Winehouse (Amy), Fugazi (Instrument), Nina Simone (What happened, Miss Simone?), Sixto Rodriguez (Sugar Man), ou encore de Whitney Houston (Whitney) ont donné autant de films en forme de lettres d’amour relayant les passions que chacun d’entre eux ont suscité à travers le monde.
Pour avoir le droit de citer, mieux vaut donc avoir été une figure internationale de l’industrie musicale avec une vie hors du commun. Le contre-exemple est aussi possible avec la sortie de l’oubli de l’américain Sixto Rodriguez au parcours rocambolesque via le film Sugar Man de Malik Bendjelloul, Oscar du meilleur film documentaire en 2013, ou encore le poignant 20 feet from Stardom, portraits croisés de choristes américaines tapies dans l’ombre, derrière la vedette et sa lumière. Tous ces films se ressemblent au moins sur un point : le pouvoir incroyablement romanesque de leur sujet. Dans la plupart des cas la fiction serait presque incapable de restituer - et donc reconstituer - des faits dont la réalité avérée est exceptionnelle. Bien-sûr le cinéma a fait du biopic un genre en soi et façonne avec plus ou moins d’inspiration ces incroyables destins. Mais vous ne trouverez pas un fan qui n’aura rien à redire de l’incarnation de tel ou tel interprète pour redonner vie à son idole. La forme documentaire possède un supplément d’âme indéniable. La star est bien là, en chair et en os. Encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions.

A la recherche de l’archive

Et ce moyen a pour nom « image » ou « archive ». Quand celles-ci viennent à manquer, difficile de contourner l’obstacle. A l’heure de la saturation des images domestiques, l’objet du culte est constamment en représentation. C’est ce que révélait le film d’Asif Kapadia sur la chanteuse soul Amy Winehouse décédée en 2011 (Amy) dont chaque geste même le plus intime, aura été immortalisé via un téléphone portable, une caméra de surveillance ou les objectifs des médias. « Ce film est d’abord un hommage au talent d’Amy, confie le cinéaste, mais il tente aussi de comprendre comment elle a pu finir étouffée par une gloire non désirée. C’était une artiste, pas une star. Lorsque je me suis intéressé à sa vie, je me suis vite aperçu qu’il existait une matière inépuisable.» Cette abondante matière submerge le spectateur-voyeur impliqué corps et âme dans cette aventure humaine exponentielle. Pour des personnalités plus anciennes, l’exhumation des archives peut devenir le sujet même du film en question comme l’était par bien des aspects, la série initiée par Martin Scorsese : Martin Scorsese Presents… The Blues. Ces films musicaux brillent souvent par la force de leur montage et leur façon d’agencer les images et les sons entre eux.

Glamorama

Dans les films plus formatés, les témoignages face caméra de l’artiste et de ses amis célèbres, ajoutent un supplément glamour à l’ensemble et tendent à valider dans le même temps, la valeur d’un film réalisé avec le concours d’une maison de disque ou de la famille quand celle-ci se retrouve à gérer un patrimoine. Et ceux qui voudraient passer outre les voies officielles peuvent voir des archives bloquées et leur film avec. De là à penser que l’hagiographie serait la règle, il suffit de comptabiliser les nombreux films sur les destins brisés de l’intérieur, pour comprendre que la musique n’adoucit pas toujours les mœurs. Les images non plus.

 « Comme un puzzle… »

Les films musicaux peuvent être aussi des aventures humaines et artistiques qui les rapprochent d’un documentaire « classique » et pas uniquement une compilation d’archives mises bout à bout. A ce titre le film consacré à Chilly Gonzales, Shut Up and Play the Piano de Philipp Jedicke dépasse le cadre du simple portrait pour devenir une sorte d’happening visuel faisant corps avec l’extravagant musicien : « Je voulais, explique le réalisateur, que mon film soit comme une mosaïque. Parce que comme le personnage, il est comme un puzzle. Et je voulais que le film ait ce look, vous savez, pas super propre, un peu punk, je trouve que ça colle bien au personnage, à sa manière d’aborder les choses. Ses vidéos sont beaucoup comme ça, faites maison, et c’est ce qui donne le look au film. Le matériau était des fois d’une si mauvaise qualité, parfois en DV ou en VHS. Je ne voulais pas restaurer les images pour garder ça, mais il fallait quand même restaurer un peu pour que ce soit juste un peu mieux à regarder. Des fois, on a même pris des choses à partir de YouTube, parce que l’on n’avait pas le matériau source. »

En France, le genre reste encore marginal. Si à la télévision les portraits de chanteurs sont nombreux, la plupart réalisés pour accompagner une promo ou une célébration quelconque, au cinéma des progrès restent à faire. Y aurait-il un mépris du genre ? Récemment la sortie en salles de On l’appelait Roda de Charlotte Silvera autour de conversations avec le compositeur Etienne Roda-Gil, représentait donc un petit évènement. Et ce, d’autant plus que la réalisatrice n’a pas choisi la facilité en racontant le destin d’un… inconnu : « Si vous faites un film sur un auteur- compositeur - interprète, on vous regarde avec intérêt car la popularité supposée de l’artiste rassure les décideurs, explique Charlotte Silvera.  Quand je leur disais que je voulais faire un film sur Etienne Roda-Gil qui a pourtant écrit pour Claude François, Julien Clerc ou Vanessa Paradis, on me disait systématiquement : « Mais personne le connait ! » Je me suis battue pendant près de 10 ans pour aller au bout de ce projet. » Dont acte.
François Truffaut disait en substance : « Le documentaire c’est ce qui arrive à l’autre, la fiction c’est ce qui arrive à moi. »  Bien souvent cependant, les égos se confondent. C’est encore plus vrai avec une pop star, à la fois être humain, personnage et fantasme. Difficile dans ces conditions, d’appréhender les contours du réel.