Le mashup, ou l’art de jouer avec les images

Le mashup, ou l’art de jouer avec les images

01 décembre 2022
Cinéma
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John Wayne, alias George Abitbol dans « La Classe américaine » de Michel Hazanavicius.
John Wayne, alias George Abitbol dans « La Classe américaine » de Michel Hazanavicius. Dune/Canal+

Dès demain et jusqu’au 4 décembre, le Mashup Film Festival célèbre la crème du mashup. Cet art à la croisée du montage et de la création visuelle consiste à détourner des œuvres pour leur donner un sens nouveau. Décryptage du genre, de ses origines à ses récentes évolutions, avec Julien Lahmi, le directeur du festival.


Quelle serait votre définition du mashup appliqué au cinéma ?

Il y a plein de définitions, certaines très précises, d’autres plus poétiques. Disons qu’il s’agit de faire du neuf avec de l’ancien, de récupérer des images, des sons et des musiques glanées sur Internet pour créer de nouveaux films. Ce sont des œuvres de récupération, de transformation. Le mashup, c’est la prise de pouvoir du montage sur la mise en scène, et c’est ce qui fait sa différence avec tous les arts de l’emprunt qui l’ont précédé. Un élément pop culture est repris pour être détourné et transformé : c’est vraiment la punk attitude qui s’empare de la pop culture. Tous les genres et les durées existent dans le mashup, du long au court métrage, du film expérimental à la comédie. Pour le dire vite, on peut aussi bien avoir des œuvres qui vont dans les plus grands musées d’art contemporain, que des blagues potaches. D’ailleurs, le genre a connu de nombreuses formes, et ce depuis très longtemps. Les premiers films de montage naissent autour de 1928, avec Inflation de Hans Richter. Mais il y a eu des œuvres de mashup avant même la création du mot : Woody Allen a réalisé Lily la tigresse en 1966 en récupérant un film japonais dont il a redoublé les voix, recréant une histoire à partir d’un film dont il n’avait pas tourné les images?; Godard est un « mashuper » qui ne le savait pas avec notamment Histoire(s) du cinéma… Et La Classe américaine de Michel Hazanavicius est également du mashup. Les historiens se déchirent sur la date exacte du premier mashup « officiel » : certains le datent à 1985, avec Apocalypse Pooh – un mélange de Winnie l’Ourson et de la bande-son d’Apocalypse Now. Tous ces exemples étaient en tout cas des mashups dans l’esprit, sans les outils numériques de récupération et de retransformation des images que l’on possède aujourd’hui.

Le mashup, c’est la prise de pouvoir du montage sur la mise en scène.

Vous diriez donc que la naissance du mashup tel qu’on le connaît aujourd’hui arrive aux débuts du Web et des connexions Internet qui permettent d’avoir accès aux films et à des extraits très facilement ?

Exactement. C’est à partir de cette bibliothèque d’Alexandrie qu’on appelle Internet qu’on a pu récupérer des images ou des films sans aller dans une cinémathèque chercher la bobine 35 mm... D’un coup, les portes d’un immense coffre au trésor se sont ouvertes, en même temps que les outils qui permettaient de travailler son contenu. Les logiciels récents nous offrent la possibilité de retravailler complètement le cadre, la lumière... Maintenant, quand on fait du mashup, on peut mélanger cinq ou six films différents dans un même plan.

Il ne s’agit plus seulement d’un montage puisqu’on altère même le plan d’origine…

Oui. Il y a énormément de sous-familles dans le mashup, qui se définissent par les outils de réappropriation. Parfois c’est très simple, du cut – on utilise des termes américains, mais comme dans la musique électronique, la création est très française –, c’est-à-dire le fait de mettre des plans les uns derrière les autres sans transformation. Mais il y a aussi ce qu’on appelle les supercuts, une sorte de motif visuel obsessionnel répété à l’envi pour créer un nouveau sens. Le point de montage est le même, mais certains transforment énormément l’image, avec beaucoup d’effets spéciaux, de mélanges de plans, de collages à l’intérieur même des plans… Depuis l’avènement des outils numériques, tout a changé. Les cinématographies de l’emprunt avant le mashup – comme le found footage ou le lettrisme – consistaient à récupérer des images non médiatiques pour les amener à la connaissance du public. Des images de « rebuts » qui devenaient des œuvres. Le mashup, c’est l’inverse : on prend l’image ultra célébrée pour la faire redescendre de son piédestal et la ramener à la hauteur du public. Cela permet de créer quelque chose de plus humain, une sorte d’intimité, de connexion avec le spectateur. Le found footage travaillait sur la matérialité, le mashup travaille, lui, sur la médiatisation des choses. Le spectateur est pris dans le processus créatif. On joue avec sa cinéphilie, ses souvenirs et sa connaissance de l’œuvre d’origine.


On touche donc à l’intime...

Tout à fait. Le journaliste et essayiste Ariel Kyrou me disait que l’Homo numericus a une sorte de besoin vital de s’approprier les images. On est tellement envahi par elles qu’on a besoin de trouver son propre chemin dans cette forêt sans fin. Et finalement, le partage se fait aussi directement avec le spectateur, souvent sans intermédiaire, via les plateformes de vidéos. C’est du copier-coller-transformer-partager, contrairement à l’art du copier-coller-transformer d’avant.

Pourquoi avoir dédié un festival à l’art du mashup ?

Pour se faire connaître et parce qu’on est dans une économie difficile. Les youtubeurs ont réussi à créer un modèle économique, et ceux qui marchent le mieux parviennent à gagner leur vie avec leurs vidéos. Dans le cinéma traditionnel, les réalisateurs sont payés pour faire leurs films. Mais pour nous, c’est compliqué, parce que le droit d’auteur n’a pas encore évolué avec le temps du numérique. Donc nous faisons des festivals pour montrer nos films, ce qui est autorisé par la loi dans ce cadre. Mais si nous avions la prétention et l’audace de demander à gagner de l’argent avec notre travail, on ne pourrait pas. Le festival permet de montrer des œuvres qui ont un potentiel d’émerveillement sur un grand écran, avec du monde dans la salle.

Tous les genres et les durées existent dans le mashup, du long au court métrage, du film expérimental à la comédie.

Au-delà de son côté festif et créatif, le Mashup Film Festival, c’est aussi une compétition officielle. Est-ce une façon de montrer que le mashup est un art au niveau du cinéma traditionnel ?

Pour être complètement transparent, je n’étais pas trop pour l’instauration de prix, parce que j’estime qu’en art il n’y a pas de meilleur ou de moins bon. Juste des propositions et des sensibilités différentes. Mais j’ai changé d’avis car tout ça n’était que de la théorie. La réalité, c’est que cela donne de la valeur aux œuvres. Même si je sais bien qu’il y a une contradiction entre le fait d’être hors système et de vouloir être dedans ! Il y a un jury et des prix qui seront décernés, dont le prix CNC Talent de 3?000 euros (1 000 en numéraire et 2 000 en résidence d’artistes). Et d’autres films seront projetés qui ne seront pas en compétition officielle.

Le côté « en marge » pourrait faire penser à l’histoire du graffiti...

Complètement ! Il se passe la même chose que lorsque la culture hip-hop et sampling a transformé la scène musicale. Il est largement reconnu que le sampling en musique, qui est complètement rentré dans les mœurs, donne lieu à une nouvelle œuvre. Les procès sont d’ailleurs perdus par les ayants droit du sample. On aimerait que la co-citation existe aussi en audiovisuel, parce qu’on ne peut pas faire autrement que d’utiliser des centaines – voire des milliers – de films différents. Nous souhaiterions qu’une redistribution des droits se fasse a posteriori par les plateformes. Le juridique a souvent du retard sur l’artistique, et le mashup est un art encore jeune sous sa forme actuelle. Mais je crois à cette évolution.

Mashup Film Festival

Du 2 au 5 décembre

Les festivités (projections, ateliers, rencontres…) auront lieu au cinéma Le Grand Action (dans le 5e arrondissement de Paris), ainsi que dans plusieurs lieux culturels de la capitale, comme La Bellevilloise, Hoba ou encore Lou Pascalou.