"L’Epoque", une caméra au cœur de la nuit

"L’Epoque", une caméra au cœur de la nuit

17 avril 2019
Cinéma
L'époque
L'époque Bac Films
Matthieu Bareyre a mis quatre ans à tourner son documentaire L’Epoque, en salles le 17 avril. Sa caméra traverse Nuit debout, les manifs à la Cinémathèque, les bars de la Rive droite, les Champs-Élysées au plus noir de la nuit. Comment est-ce que ce jeune cinéaste a eu l’envie de promener sa caméra entre le dernier et le premier métro ?

« J'ai eu l'idée du film au moment des attentats de Charlie Hebdo. J'ai senti quelque chose basculer. Tout va être sombre, on va vivre une grande nuit… J’ai voulu alors tourner un film exclusivement la nuit », explique Matthieu Bareyre, qui a commencé le tournage des premières images en mai 2015. Il y avait une première condition pour se lancer : trouver une caméra adaptée au tournage nocturne, pour faire de belles images avec la lumière parisienne.  « J'ai longtemps cherché ma caméra. Je voulais une caméra qui ne ressemble pas à une caméra, je ne voulais pas qu'on se dise « lui, c'est un journaliste, il est de la télé ou du cinéma... » Donc, je voulais la plus petite caméra possible mais qui soit capable de faire de la belle image projetée sur grand écran. » Il trouve son Graal grâce à un ami chef opérateur : la caméra Blackmagic Pocket, qui permet de tourner en résolution 4K. « Ce chef opérateur m'a dit : « avec ça tu fais un film comme dans les années 70, avec des optiques fixes. » J'avais quatre optiques sur moi seulement, conçus pour de l’argentique. Comme il n’y avait pas de stabilisation optique dans l'appareil, si je me prenais un coup d'épaule, l'image était foutue. C’est arrivé souvent. »

La deuxième condition fut de trouver un ingénieur du son motivé - « assez fou », dit Matthieu Bareyre- pour le suivre la nuit pendant deux ans (le tournage s’est terminé en 2017), car il a pris la décision de désynchroniser son et image. Pourquoi, alors que le numérique et la légèreté du matériel aurait pu lui dispenser cette peine ? C’est une question de travail sur le son en post-production : Matthieu Bareyre voulait pouvoir travailler sur le son aussi bien que l’image, et donner à son documentaire l’aspect d’un album de rap. « Au montage, la musique était ma référence principale. Je ne raconte pas une histoire, je voulais faire un album de rap : des morceaux tenus par une unité d'ensemble. Ça vient de Jean-Luc Godard, et c’est une évidence, car c'est le seul réalisateur à sampler pour de vrai. » Godard est resté une boussole sur le projet : « Adieu au langage de Godard m'a vraiment frappé : il a poussé des petites caméras dans leurs retranchements. Ça m'a inspiré et j’ai aussi poussé la Blackmagic au-delà de ses limites. »

Malgré des conditions de tournage difficiles, au milieu des manifestants de Nuit debout ou parmi les fêtards sur un axe République-Châtelet, Bareyre a surtout l’impression d’avoir ainsi capté Paris comme une ville de science-fiction : « A force de me balader dans Paris la nuit, j’avais l’impression que j’étais dans le futur. Toutes ces caméras de surveillance, l'ambiance inquiétante, la lumière des néons dans la nuit... Ça tombait bien, parce que mes références de cinéma, c’est Blade Runner, Alphaville, Bienvenue à Gattaca ». Ceci dit, même si le réalisateur s’est senti libéré de toute contrainte narrative en samplant et en mixant ses images, la principale difficulté était de tailler dans les centaines d’heures de rushes accumulées pendant deux ans. « Plein de fois, nous sommes rentrés avec des images ratées. On découvre les ratages et les réussites au montage. Ce n'est jamais une image en tant que telle qui importe, c'est comment tu la montes. Quel est son rapport avec les autres images. A travers le documentaire, on se rend compte que la réalité n'est pas crédible, il y a des choses qui sont trop… On est obligé de les amoindrir. » Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le réalisateur n’a eu aucun mal à tailler dans son film : « Je n'ai eu aucun problème à sacrifier des trucs, à tailler dans la matière. C'est même libérateur : je ne voulais pas faire un docu de 3h30, je voulais que mon film soit vu. »

L’Epoque a bénéficié du Fonds Images de la diversité (aide à la production) du CNC.