Les Joueuses #paslàpourdanser : raconter le football féminin au cinéma

Les Joueuses #paslàpourdanser : raconter le football féminin au cinéma

08 septembre 2020
Cinéma
Les Joueuses #paslàpourdanser
"Les Joueuses #paslàpourdanser" Agat Films & Cie - Arte France Cinéma - Les Productions Chaocorp - Rouge Distribution
Les footballeurs avaient eu droit au petit écran avec Les Yeux dans les Bleus en 1998. Leurs homologues féminines - en l’occurrence l’équipe de Lyon qui vient de triompher une nouvelle fois en Ligue des Champions - ont les honneurs du grand écran, grâce au documentaire de Stéphanie Gillard, qui nous raconte sa fabrication.

Votre premier long métrage pour le cinéma, The Ride, plongeait dans le quotidien des Sioux Lakotas. Pourquoi avoir eu envie cette fois-ci de raconter de l’intérieur l’histoire d’une équipe de football féminine ?

Stéphanie Gillard : Mon tout premier documentaire, Une histoire de ballon, parlait déjà de football. Je me trouvais au Cameroun pendant la Coupe du Monde de 2002. J’y racontais la difficulté de suivre cet événement - le plus médiatique du monde - dans certains coins de la planète, notamment au cœur de la brousse. J’ai réalisé un autre film sur l’escrime aussi. J’ai toujours été passionnée par les documentaires de sport. Car je trouve que le sport raconte énormément de choses de la société.

Mais pourquoi avoir précisément voulu revenir au foot ?

Le déclic a eu lieu en juillet 2018 en regardant le documentaire consacré à la victoire de l’équipe de France à la Coupe du Monde. J’étais hyper déçue car j’avais Les Yeux dans les Bleus en tête et je trouvais qu’on ne rentrait plus dans l’intimité des joueurs de la même manière. Je me suis dit que le monde du foot avait peut-être changé en 20 ans et qu’un tel documentaire n’était plus possible. Alors j’ai eu envie de le vérifier par moi-même en allant vers le football féminin, dont je pensais que la notoriété allait décoller en flèche avec l’organisation de la Coupe du Monde en France. J’ai essayé de suivre l’équipe de France. Ca n’a pas été possible. Du coup, j’ai approché la meilleure équipe européenne depuis 5 ans : l’Olympique Lyonnais. Son président Jean-Michel Aulas, a immédiatement accepté.

Comment abordez-vous votre sujet ? Vous commencez à filmer tout de suite ?

Non, dans tous mes films, je commence par rencontrer celles et ceux que je vais filmer, sans caméra. Pendant trois semaines, je vais suivre leur entraînement, leurs repas en commun… les mains dans les poches. Et je leur explique individuellement ma démarche. Puis, petit à petit, je viens avec ma petite caméra et je commence à filmer, seule. Sur les trois mois de tournage, je n’ai d’ailleurs été accompagnée que 20 jours par mon directeur de la photo Jean-Marc Bouzou. L’idée était de créer et respecter un climat d’intimité.

Avez-vous un plan précis de ce que sera votre documentaire avant de vous lancer ?

Comme je filme du sport, je ne sais pas au moment où je me lance quand aura lieu le dernier match de la saison - puisque tout dépend de leur parcours en Coupe d’Europe. Chez moi, la construction du film a lieu au montage. Quand je tourne, je m’appuie juste sur une idée de base. Pour Les Joueuses, suivre le quotidien d’une équipe de foot avec des séquences de vestiaire, à la cantine, de préparation physique, d’entraînements, de matchs…

En parlant de matchs justement, comment avez-vous construit la réalisation de ces captations par l’image et le son ?

J’ai commencé par des repérages lors d’un match de Coupe de France. Je cherchais la meilleure manière de capter les choses avec deux caméras. C’est là que s’est dessiné le dispositif : la caméra de Jean-Marc au bord du terrain pour filmer les matchs à hauteur des joueuses, et la mienne dans les tribunes pour saisir les réactions du public. A partir de là, j’ai pris pour film de chevet Zidane, un portrait du XXIème siècle, le documentaire de Douglas Gordon et Philippe Parreno. Leur travail sur le son m’avait plus marquée que les 28 caméras disposées dans le stade ou la lumière de Darius Khondji. Car il correspondait parfaitement aux premiers mots de Zidane : « Quand je rentre dans le stade, j’entends le son. Le son du bruit. » Avant d’ajouter qu’une fois sur le terrain, il peut aussi bien entendre une conversation dans les gradins, la foule, quelqu’un qui se lève de son siège, un téléphone qui sonne. C’est exactement ce que j’ai souhaité capter dans Les Joueuses… mais avec un peu moins de moyens (rires).

Est-ce que les joueuses de Lyon ont facilement adhéré à votre projet ?

A chaque documentaire, c’est toujours un peu compliqué. Il y a celles qui sont enthousiastes au début puis se ferment. Et celles qui sont dures au début puis s’ouvrent. Mais je peux parfaitement comprendre qu’elles puissent être mal à l’aise face à la caméra, quand je suis à 50 cm d’elles sans dire un mot ! Ma démarche consiste en tout cas à ne jamais forcer les choses. A prendre le temps d’établir un lien de confiance pour qu’au bout d’un moment la caméra n’existe plus entre elles et moi. Dans cette même logique, je ne les filme jamais chez elles. Je ne l’accepterais pas moi-même et je ne veux pas faire aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse.

Vous restez en permanence dans le rôle d’observatrice ? Vous ne provoquez jamais de discussion entre elles ?

Ça m’arrive… même si mon directeur photo est contre. Je m’y emploie car je pense que ça les met plus à l’aise que si je ne parlais pas. Mais je le fais vraiment de façon naïve, un peu comme une Candide au pays du foot, pour ouvrir le champ d’une discussion qui va leur permettre de partir ailleurs.

On imagine qu’avec ces trois mois de tournage, vous avez emmagasiné énormément de rushes…

Oui, une centaine d’heures dont trente consacrées aux seuls matchs qu’on a été obligés de filmer de la première à dernière minute à deux caméras, dans l’attente d’éventuels buts.

Quand débute le montage ? Pendant le tournage ?

C’est l’étape qui me passionne le plus. Et je ne me mets dessus qu’une fois le tournage terminé. Pendant celui-ci d’ailleurs, je ne regarde jamais les rushes, comme si je filmais en pellicule. Je travaille avec Laure Saint-Marc qui monte aussi les films de Bertrand Mandico. C’est notre troisième film ensemble. On a appris le montage avec le même monteur. Donc on réfléchit de la même manière sur l’aspect technique. A la fin du tournage, j’ai une idée assez précise des bonnes séquences. Je lui demande de faire les pré-montages de cette douzaine de moments que j’ai sélectionnés. Puis, au fur et à mesure, on leur adjoint quelques séquences secondaires de transition. Avec la contrainte de respecter la chronologie alors que beaucoup de ces séquences sont thématiques, transversales et vont contre cette idée de chronologie sportive. On peut tricher parfois, mais cela implique le plus souvent de sacrifier ces moments. C’est un crève-cœur mais c’est indispensable. Je pense que j’avais la matière pour faire une série plus qu’un long métrage, comme sur The Ride d’ailleurs. Mais on était engagé sur un film de cinéma. Alors on a dû trancher. Et parvenir à 90 minutes. Le temps d’un match.

Les Joueuses #paslàpourdanser, qui sort ce mercredi 9 septembre, a reçu l’Aide sélective à la distribution (aide au film par film) du CNC.