« L’Événement », du livre au film

« L’Événement », du livre au film

29 novembre 2022
Cinéma
Anamaria Vartolomei et Sandrine Bonnaire dans « L'Evénement » d'Audrey Diwan.
Anamaria Vartolomei et Sandrine Bonnaire dans « L'Evénement » d'Audrey Diwan. PROKINO Filmverleih GmbH

Le second long métrage d'Audrey Diwan a reçu le trophée du meilleur film international, hier soir à New York, aux Gotham Awards, une cérémonie qui récompense la crème du cinéma indépendant. À cette occasion, retour avec la réalisatrice sur son travail d’adaptation de l’œuvre d’Annie Ernaux.


C’est en 2000 qu’Annie Ernaux a publié L’Événement chez Gallimard. Elle y revenait, près de quarante après, sur son parcours pour se faire avorter clandestinement après une grossesse non désirée dans la France d’avant la loi Veil. Un livre conçu en s’appuyant sur son agenda et son journal intime de l’époque, qu’a souhaité porter à l’écran Audrey Diwan. Un événement intime a d’ailleurs conduit la cinéaste vers le récit d’Annie Ernaux : « C’est après avoir subi une interruption volontaire de grossesse que je me suis mise à m’interroger sur l’avortement. C’est à ce moment-là qu’une amie m’a parlé de L’Événement, que je n’avais pas lu. Je m’y suis plongée immédiatement. Ce livre est sidérant. Dès les premières pages, j’ai été embarquée par le suspense intime du récit et l’exactitude de la plume d’Annie Ernaux. J’ai réalisé que je ne m’étais jamais projetée dans ce qu’était réellement un avortement clandestin. Là, la réalité m’a sauté aux yeux. J’ai pu mesurer la chance d’avoir pu avorter avec une loi qui permet d’être accompagnée par des médecins et de ne plus mettre sa vie en péril comme à l’époque. » L’envie de porter le livre à l’écran est née à ce moment-là. « Mais je n’ai pour autant jamais envisagé L’Événement comme un film sur l’avortement. Car dans son livre, Annie Ernaux elle-même transcende son sujet pour raconter l’envie de liberté de la jeunesse de l’époque et ce droit au plaisir qu’elle évoque régulièrement dans ses écrits. » Audrey Diwan décide donc de construire son film autour d’une question : que signifie concrètement être dans un pays où, tout en éprouvant du désir, tu n’as pas le droit de t’approcher de l’autre quand tu es une femme ? Elle trouve rapidement la ligne de ce qui va guider son écriture et sa réalisation : « Dessiner les choses à l’épure pour rester fidèle à l’écriture d’Annie Ernaux, ne pas regarder le personnage central mais tenter d’être elle, vivre ce qu’elle vit dans sa tête. »

Audrey Diwan va aussi à la rencontre de l’autrice pour lui expliquer sa démarche. « Je lui ai dit que je voulais essayer d’embrasser les années 60 non pas en les reconstituant mais en rentrant dedans afin de vivre au présent cette période du passé. Notre ambition à l’écriture, puis sur le plateau, tenait dans notre capacité à trouver une réponse forcément complexe à une question simple : comment ne pas être anachronique sans pour autant trop suggérer. » Dès leur premier rendez-vous, les deux femmes passent plusieurs heures à reparcourir le livre chronologiquement. « Je lui ai demandé d’éclairer ce qui représentait des angles morts à mes yeux, tout ce qui n’était pas écrit, autour de la société de l’époque notamment. Je tenais à raconter ces années 60 mais pas avec les lunettes d’aujourd’hui, rester dans la ligne du livre qui ne résonne jamais de façon manichéenne : les médecins n’y ont pas tous le même avis sur la question de l’avortement par exemple.

Je n’entendais me placer ni en juge, ni en avocate, ni en procureure. Qui peut dire avec certitude ce qu’il aurait fait à l’époque ? C’est facile de se poser en héros a posteriori mais il y a peu de gens prêts à tout perdre, à commencer par moi !


Annie Ernaux donne très rapidement sa bénédiction à Audrey Diwan mais surtout lui explique qu’elle lui fera des commentaires sur son scénario non au regard de son livre, mais par rapport à des questions de justesse : « Elle a lu trois versions et a su pointer les détails qui méritaient d’être changés ou améliorés. Mais sans jamais chercher à imposer quoi que ce soit. » La cinéaste décrit l’autrice comme un guide. « Quelqu’un qui m’a toujours désigné la route à suivre quand je m’égarais un peu. Et qui avait toujours raison ! » Un guide qui lui permet de ne jamais s’éloigner du sens profond du livre.

Cette dimension sociale est essentielle à mes yeux. Comme quand Annie Ernaux écrit qu’elle s’est fait engrosser comme une pauvre.

Audrey Diwan n’écrit pas cette adaptation seule mais avec une amie de vingt ans, Marcia Romano, scénariste, entre autres, des films De son vivant d’Emmanuelle Bercot et Suprêmes d’Audrey Estrougo. Cette dernière définit son travail comme celui d’une interlocutrice. Mais la cinéaste pointe son apport essentiel dans l’aventure : « Marcia est un phare. Elle a cette capacité à déplacer l’éclairage sur mon idée initiale et à modifier les choses en profondeur en en révélant d’autres pans. Elle m’aide à préciser mon désir et elle me rend plus forte pour raconter ce que j’ai envie de dire. » C’est ce scénario qui finira par trouver son financement et continuera d’évoluer grâce à son interprète principale Anamaria Vartolomei. Celle qu’Audrey Diwan qualifie de « partenaire intellectuelle hors du commun » avant d’ajouter que ce film, elles l’ont construit ensemble. Une collaboration fructueuse qui a conduit L’Événement au sommet en septembre 2021, en décrochant le Lion d’or à Venise à l’unanimité. Une récompense à laquelle s’ajoute celle du meilleur film international reçue le 28 novembre 2022 aux Gotham Awards à New York.

L’ÉVÉNEMENT

D'Audrey Diwan
Scénario : Audrey Diwan et Marcia Romano d’après l’œuvre d’Annie Ernaux
Photographie : Laurent Tangy
Montage : Géraldine Mangenot
Musique : Evgueni et Sacha Galperine
Production : Rectangle Productions, Wild Bunch, SRAB Films, France 3 Cinéma
Distribution et ventes internationales : Wild Bunch