Lise Akoka et Romane Guéret : « Notre ambition est de réussir à faire des films à hauteur d’enfant »

Lise Akoka et Romane Guéret : « Notre ambition est de réussir à faire des films à hauteur d’enfant »

30 décembre 2025
Cinéma
« Ma frère » réalisé par Lise Akoka et Romane Guéret
« Ma frère » réalisé par Lise Akoka et Romane Guéret StudioCanal

Dans Ma frère, découvert lors du dernier Festival de Cannes, les réalisatrices des Pires retrouvent, cinq ans après, deux des héroïnes de leur websérie Tu préfères. Elles nous racontent ce passage du format court au format long.


À quand remonte précisément l’idée de Ma frère ? L’aviez-vous déjà en tête au moment de la sortie de votre premier long métrage, Les Pires ?

Romane Guéret : Cette idée existait de longue date. Elle est née de l’envie de continuer à tourner avec Shirel Nataf et Fanta Kebe, que nous avions rencontrées quand elles avaient 11 ans. Lise avait travaillé avec elles comme coach enfants sur le tournage de leur premier film (La Mélodie de Rachid Hami), et elles étaient déjà au cœur de la websérie Tu préfères, tournée pendant l’écriture des Pires. Nous étions heureuses d’avoir Ma frère en tête car nous connaissons toute la difficulté de passer du premier au deuxième long métrage, y compris en termes de financements. Pour l’Avance sur recettes, par exemple, nous changeons de catégorie et donc de concurrence !

Comment avez-vous construit l’écriture du film ?

Lise Akoka : Nous nous sommes appuyées sur des moments d’immersion passés dans des colonies de vacances. Ils ont nourri le travail d’écriture mené avec notre coscénariste Catherine Paillé.

RG : Cela a duré trois années. Nous avons même fait embaucher Shirel et Fanta en tant qu’animatrices stagiaires pour les mettre en situation et les observer – ainsi que les enfants dont elles avaient la charge – afin de mieux comprendre le fonctionnement d’une colonie de vacances.

LA : Nous avons aussi animé des ateliers dans des maisons de quartier, à Montreuil, qui mêlaient improvisations et échanges autour de films. Nous avons ainsi rencontré des centaines d’enfants qui ont nourri l’histoire, les personnages et les dialogues de Ma frère. Nous avons récolté une matière assez vertigineuse, un répertoire dans lequel nous avons pioché pour aboutir à un scénario de 130 pages où nous avons dû renoncer à regret à des milliers d’idées et de phrases entendues. Tout était très écrit et chaque enfant choisi au fil des auditions a dû incarner son personnage en apprenant le texte au mot près.

Notre ambition est de réussir à faire des films à hauteur d’enfant. C’est-à-dire de parvenir à rendre justice à ce que c’est qu’être enfant, sans subir une transformation trop forte de nos regards d’adultes.
Lise Akoka
Réalisatrice

En tant qu’observatrices, qu’est-ce qui vous a le plus frappé au cours de ces trois années d’immersion auprès de la jeunesse ?

RG : D’abord le fait de voir Fanta et Shirel grandir sous nos yeux, en évoluant beaucoup au contact des enfants. C’était très émouvant à vivre pour Lise et moi. Mais plus largement, nous avons été frappées par cette poésie urbaine, cette façon qu’ont les enfants des quartiers populaires de se réapproprier la langue, en mélangeant l’argot avec un langage plus soutenu, assez littéraire. Nous trouvons ça magnifique et finalement assez peu représenté au cinéma où ces enfants-là apparaissent trop souvent réduits à des stéréotypes ou, en tout cas, à une représentation dans laquelle ils ne se reconnaissent pas toujours. Avec Ma frère, nous avions envie de rendre hommage à leur intelligence et leur humour.

Y compris dans leur manière d’aborder des sujets de société (religion, questions de genre) qui peuvent parfois diviser violemment les adultes…

LA : Tout cela a été rendu possible grâce à cette longue période d’immersion. Nous avons eu besoin d’entendre longuement ces enfants pour être capables d’écrire comme ils parlent. En particulier pour les sujets que vous évoquez et qu’ils regardent avec une grande simplicité, à mille lieues des débats que cela peut provoquer chez les adultes. Notre ambition est vraiment de réussir à faire des films à hauteur d’enfant. C’est-à-dire de parvenir à rendre justice à ce que c’est qu’être enfant, sans subir une transformation trop forte de nos regards d’adultes. Je me souviens encore très bien combien j’ai pu moi-même me sentir trahie, dans ma jeunesse, par la façon dont j’étais représentée en tant qu’enfant dans des films qui posaient un regard sur moi. Nous avons essayé de rester connectées à nos souvenirs d’enfant tout en essayant d’être aussi en phase avec les enfants d’aujourd’hui. Notamment sur tout un tas de sujets qui traversent leur jeunesse et qui n’ont pas traversé la nôtre. Nous avons été frappées par leur ouverture d’esprit…

Comment avez-vous travaillé avec les enfants que vous avez retenus pour jouer dans Ma frère ?

LA : Nous avons énormément répété. Avec de grosses sessions d’improvisation afin de créer du lien entre eux, une bonne énergie de groupe, mais aussi des répétitions de séquences du film. Le but était qu’une fois sur le plateau, tout le monde connaisse son texte au cordeau. Nous avons aussi beaucoup échangé autour de l’histoire, des personnages, des enjeux, des thématiques de fond… Et pour Shirel et Fanta qui avaient des pavés de texte énormes à apprendre, nous nous sommes fait aider par Esther Archambault, qui jouait déjà dans Les Pires.

 

Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre méthode de travail entre les deux films ?

LA : Assez peu de choses finalement. Nous avons mis en place notre façon de travailler, en utilisant des oreillettes à travers lesquelles nous lançons les indications de jeu ou de texte à nos comédiens. Et cela s’affine forcément de film en film. Désormais, nous avons à peine besoin de nous parler, un simple signe de main suffit. Nous sommes devenues plus efficaces et fluides.

RG : Il y avait forcément un enjeu particulier en termes de mise en scène avec un film de colonie de vacances. Si nous avons gardé notre idée de caméra très dynamique à l’épaule, collée à nos personnages, nous avons beaucoup réfléchi à la façon de faire vivre le groupe à l’écran tout en nous assurant que chaque personnage ait son identité propre. Nous étions donc un peu plus organisées et rigoureuses que sur Les Pires ! Le jeu reste au centre de notre mise en scène mais nous essayons de penser de plus en plus ce qui se passe autour.

Nous avons été frappées par cette poésie urbaine, cette façon qu’ont les enfants des quartiers populaires de se réapproprier la langue, en mélangeant l’argot avec un langage plus soutenu, assez littéraire. Nous trouvons ça magnifique et finalement assez peu représenté au cinéma.
Romane Guéret
Réalisatrice

Comme Tu préfères, Ma frère est produit par Pierre Grimaux et Jean Dathanat de Superstructure. Comment les aviez-vous rencontrés ?

LA : Nous avons fait leur connaissance au moment où Pierre et Jean ont lancé leur société de production avec Hobbies, une collection de courts métrages documentaires pour Canal+, mis en scène par des réalisateurs différents. Ils avaient aimé notre premier court, Chasse royale, et ils nous ont demandé de participer à cette collection. Nous leur avons proposé Allez garçon ! sur un petit garçon et son père passionnés de colombophilie dans le nord de la France. Ce fut la naissance d’une grande complicité entre nous. Alors quand, en pleine écriture des Pires, nous avons eu envie de développer Tu préfères, nous leur avons tout naturellement proposé de nous accompagner dans la production de cette websérie. Et comme Ma frère en constitue le prolongement, il nous est apparu évident que nous continuerions à travailler ensemble.

RG : Il y a vraiment eu un coup de foudre artistique et humain entre nous. Notre premier rendez-vous a duré trois heures. Nous n’arrivions plus à nous quitter ! Tout ce qui s’est passé depuis a confirmé cette première impression. À commencer par leur capacité à partir dans des discussions très approfondies autour de sujets artistiques et cinématographiques. Nous avons aussi beaucoup aimé leur façon de réinventer la production, en sortant des schémas classiques. Nous avons l’impression qu’ils ont insufflé quelque chose de nouveau dans leur manière d’aller chercher les financements comme de parler des films.

LA : Nous adorons leur grande transparence et leur réactivité. Ce sont des gens extrêmement fiables et nous avançons vite ensemble, en nous appuyant aussi sur le fait que nous partageons une sensibilité artistique commune.

Avez-vous déjà un troisième long métrage de prévu ?

LA : Nous avons des choses en tête, mais cela reste encore très embryonnaire. Nous avons envie de prendre un peu de temps, contrairement à la façon dont nous avons construit tous nos projets depuis notre premier court, où chaque nouveau projet a toujours un peu découlé du précédent. Mais nous allons continuer à travailler sur l’enfance. C’est notre seule certitude à ce jour !
 

MA FRÈRE

Affiche de « MA FRÈRE »
Ma frère StudioCanal

Réalisation : Lise Akoka et Romane Guéret
Scénario : Lise Akoka, Romane Guéret et Catherine Paillé
Production : Superstructure
Distribution et ventes internationales : StudioCanal
Sortie le 7 janvier 2026

Soutiens sélectifs du CNC : Avances sur recettes avant réalisation, Aide au développement d'oeuvres cinématographiques de longue durée