Monia Chokri : « Babysitter interroge notre époque dans une forme fantasmagorique »

Monia Chokri : « Babysitter interroge notre époque dans une forme fantasmagorique »

26 avril 2022
Cinéma
Nadia Tereszkiewicz dans « Babysitter » de Monia Chokri.
Nadia Tereszkiewicz dans « Babysitter » de Monia Chokri. Bac Films

Actrice révélée chez Xavier Dolan (Les Amours imaginaires, Laurence Anyways), Monia Chokri impose définitivement sa griffe de réalisatrice avec une comédie de mœurs qui mêle farce et fantastique, pour mieux questionner les rapports hommes-femmes après #MeToo. 


Babysitter sera à coup sûr reçu comme un film post-#MeToo. Or, la pièce de Catherine Léger que vous adaptez ici date de 2015… 

C’est la force des grands auteurs, d’être en avance sur leur temps. Je n’ai découvert la pièce qu’en 2018, et j’ai tout de suite eu envie de l’adapter. Par l’humour de la situation, on pouvait raconter notre époque. Mais je ne voulais pas d’un film uniquement réaliste, parce que ça aurait manqué de cinéma. J’avais envie d’explorer le médium, de me donner un défi comme cinéaste. 

Cette atmosphère de conte fantastique, voire horrifique, qui parcourt Babysitter n’était donc pas présente dans la pièce ?

Pas du tout. Au contraire, la pièce était très réaliste. Mais je me suis dit que si je l’emmenais vers le conte, alors toutes les digressions fantasmagoriques deviendraient possibles. Ça me permettait aussi de faire accepter au spectateur des choses qui passaient mieux au théâtre, comme l’intrusion de cette baby-sitter sans passé ni futur, qui arrive dans l’histoire comme un cheveu sur la soupe.

J’ai pensé à utiliser les codes du cinéma érotique et du cinéma d’horreur, parce que ce sont deux genres qui ont beaucoup malmené les femmes.

Les archétypes féminins dans l’horreur sont souvent des personnages puissants, dangereux. Des menaces. Je trouve ça intéressant que l’horreur vienne des femmes : d’une certaine manière, ça exprime la peur qu’elles prennent le pouvoir. Je me suis dit que j’allais utiliser ces codes misogynes dans un film qui questionne la domination. C’est un problème central à mes yeux, dans le couple comme dans la société en général. 

Le film joue avec les codes du genre, mais n’en est pas vraiment un… 

Ce n’est en effet pas tant un film de genre qu’un film psychanalytique. Catherine avait écrit la pièce en période de post-partum, alors qu’elle dormait peu. Or, quand on manque de sommeil, notre perception des choses est brouillée, il y a une distorsion de la réalité. C’est ça qui m’a fait penser à l’idée de l’hypnose. Je ne la nomme pas de manière frontale mais c’est une des clés du film : il faut comprendre que la baby-sitter hypnotise les autres personnages. On dit souvent d’une femme très jolie qu’elle hypnotise ceux qu’elle rencontre. Mais ce sont les gens qui décrètent que cette femme hypnotise, qui projettent quelque chose sur elle. Comme si c’était dangereux, comme si elle avait un pouvoir ! Donc je me suis dit : tant qu’à faire, la baby-sitter va littéralement hypnotiser les autres personnages. À trois moments clés du film. Et cette idée de l’hypnose me ramenait encore une fois au genre, au fantastique. 

 

Quelles étaient vos principales références filmiques ? 

Les films de Dario Argento. Mise à mort du cerf sacré, de Yorgos Lanthimos. Les Lèvres rouges, de Harry Kumel. La Servante écarlate – pas la série, mais la première adaptation au cinéma, par Volker Schlöndorff. J’avais surtout beaucoup en tête le cinéma américain académique. Il y a deux moments filmés à la Steadycam, mais sinon on est toujours en plans fixes, très léchés. Enfin, il y a un autre film qui a été déterminant, c’est Trois Femmes, de Robert Altman. Je ne l’avais jamais vu, je l’ai découvert par hasard deux jours avant le tournage, et il m’a bouleversée. C’est un film tellement libre, qui m’a fait comprendre que je devais avoir l’audace de la liberté. Je me suis dit qu’il fallait que je m’autorise tout, même les excès. 

Et dans le registre de la comédie ? 

J’adore le cinéma des frères Coen, où l’humour vient du texte, bien sûr, mais d’abord de la mise en scène. Le grand défi de Babysitter, c’était de réaliser une comédie esthétique. On a toujours peur de perdre un peu d’humour si on met trop en scène, si on ne laisse pas assez de liberté aux acteurs. La limite est fragile. C’est pour ça que la comédie est considérée comme un genre mineur, alors que c’est l’un des plus difficiles à réussir. 

« Babysitter » de Monia Chokri
« Babysitter » de Monia Chokri Bac Films

Babysitter s’inscrit dans une conversation contemporaine autour du féminisme, de l’égalité hommes-femmes… Comment jugez-vous la réception du film, sur un plan « sociétal » ? 

Au festival de Sundance, j’ai compris que c’était un film qui allait beaucoup polariser. Il a été encensé par Indiewire et descendu en flammes par Variety. Au fond, l’étude de cette réception critique est assez stérile. Soit le critique a compris et aimé le film, et tant mieux, soit il est complètement passé à côté de ce que je raconte ou de comment je le raconte, et il n’y a pas de réel dialogue. En revanche, quand j’ai présenté Babysitter il y a quelques semaines au Festival international de films de femmes de Créteil, l’échange avec le public était hyper intéressant et émouvant. Au-delà de mon ego, du fait de savoir si les gens aiment mon travail ou pas, ce qui m’intéresse, c’est d’avoir une vraie conversation sur les sujets qui me tiennent à cœur, et qui dépassent la seule anecdote du film : les rapports de pouvoir, de domination, l’égalité hommes-femmes, #MeToo, le couple, le capitalisme… C’est enrichissant de discuter avec le public. Le cinéma est une expérience communautaire : on voit le film ensemble et on échange ensuite. Une jeune fille m’a dit qu’elle avait adoré le film et qu’elle voulait retourner le voir avec son père et son frère, pour qu’ils puissent ensuite confronter leurs opinions. Ça, ça me plaît ! 

 

Babysitter

De Monia Chokri
Scénario : Catherine Léger
Avec Nadia Tereszkiewicz, Monia Chokri, Patrick Hivon… 
Production : Amérique Film, Phase 4 Productions
Distribution : Bac Films
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)