« Municipale », un regard singulier sur la politique

« Municipale », un regard singulier sur la politique

31 janvier 2022
Cinéma
Laurent Papot dans « Municipale » de Thomas Paulot.
Laurent Papot dans « Municipale » de Thomas Paulot. Rezo Films
Dans son premier long métrage, Thomas Paulot mêle documentaire et fiction en propulsant un acteur comme candidat à l’élection municipale d’une petite ville des Ardennes. Il revient pour le CNC sur cette expérience.

Comment est née l’idée de Municipale ?

C’est l’accumulation de plusieurs envies qui m’a poussé à me lancer dans l’écriture de ce film avec Ferdinand Flame et Milan Alfonsi. Tout d’abord un intérêt « documentaire » pour les élections municipales dans une petite ville de province, en l’occurrence le village de mon grand-père, composé de 60 habitants et situé dans les Ardennes. Je voulais voir à quoi ressemblait la politique à travers une élection dans une toute petite commune où les questionnements politiques sont forcément différents que dans une grande ville. Puis, assez vite, on s’est éloignés de cette idée car on s’intéressait à des problématiques plus larges. On voulait un endroit avec des lieux de socialisation, des commerces, des bars. On est donc partis à la recherche d’une autre commune et notre choix s’est porté sur Revin, dans le Grand Est. Notamment pour l’importance de la politique dans cette ville, à travers son passé industriel – et par ricochet syndical – et culturel qui était très riche et rendait possible l’investissement dans le projet de personnes sur place.

Vous aviez dès le départ l’idée de mêler documentaire et fiction ?

C’est né d’une envie commune de dépasser le cadre du documentaire pour créer un espace à travers le jeu, afin de solliciter d’autres imaginaires politiques que ceux qui existent dans la plupart des élections. On a voulu créer un film qui soit aussi une forme d’action politique.

Comment écrit-on un scénario autour d’événements qu’on ne maîtrise pas ?

On peut en effet vite se piéger et laisser la fiction prendre trop de place car on a envie que les scènes qu’on a imaginées prennent vie. Le tournage approchant, on s’est recentrés sur l’idée première du film : rester complètement ouverts à ce qui allait se passer autour de nous. Il s’agissait de prendre du recul par rapport à ce qu’on avait écrit, mais cette matière nous a énormément servis pour pouvoir dialoguer avec Laurent (Papot) et être au clair avec les intentions qu’on cherchait dans l’improvisation et les moments plus documentaires. C’était une base à laquelle on s’est toujours référés.

Quelles étaient ces intentions dans une France post-mouvement des Gilets jaunes ?

On a eu plusieurs idéalisations du film. Des moments où on a pu nous-mêmes croire à la possibilité d’une ville réellement autogérée, au programme de Laurent... Ces fantasmes ont été des impulsions avant que nous nous confrontions à la réalité. Là, on a compris que nous n’avions pas forcément à être moteur, mais au contraire le réceptacle de certains témoignages et de certaines positions existantes à Revin. On a alors décidé de faire un léger pas de côté vis-à-vis du discours qu’on souhaitait amener pour nous donner du recul par rapport à nos intentions. En fait, on a essayé de transformer ce qui était de l’ordre du discours en une forme d’action.

Laurent explique qu’il arrive sans programme et qu’élu ou non, il s’en ira. Il déclenche ainsi la création d’un espace pour fabriquer un imaginaire politique.

Pourquoi et à quel moment avez-vous choisi Laurent Papot ?

On voulait travailler avec un acteur professionnel et quelqu’un qui ne soit pas de Revin, afin qu’il s’imprègne du lieu pendant le tournage, car la figure de l’étranger était très importante dans ce processus. On a fait un casting où on a rencontré une quinzaine de comédiens. Laurent nous a impressionnés par ses capacités d’improvisation. En effet, la deuxième partie du casting consistait en un exercice où il devait aller à la rencontre de gens dans un bar à Malakoff et chercher des colistiers pour une candidature aux municipales. On a tout de suite su qu’il était très à l’aise, mais surtout qu’il arrivait à faire jouer les gens, naturellement, sans qu’ils s’aperçoivent qu’il était comédien. 

C’était important de ne jamais être dans la moquerie ?

Oui, on ne voulait en aucun cas se situer en surplomb de ce qu’on allait filmer. D’où la transparence totale dès le départ du dispositif du film vis-à-vis des Revinois comme des spectateurs. Il n’était pas question de piéger quiconque, pas plus que de verser dans la farce.


Comment avez-vous été acceptés sur place ?

On a fait énormément de réunions préalables avec les habitants, sans caméra. On a passé beaucoup de temps à expliquer le projet du film pour que les gens qui le souhaitaient puissent s’en emparer en connaissance de cause et que les autres soient au courant malgré tout. On a aussi beaucoup communiqué via la presse locale et Facebook. Il était primordial que tout le monde ait les cartes en main pour ne pas être surpris de nous voir avec une caméra dans la rue. Il y a forcément eu des résistances et des frictions. Mais globalement, l’accueil fut un mélange d’intérêt, d’interrogation et de désir pour certains qui n’étaient pas tout à fait d’accord avec le projet de venir l’exprimer car ils en comprenaient l’intérêt. Ces contrepoints étaient très importants pour nous. La preuve que ce film était une matière vivante.

Qu’est-ce qui a le plus changé par rapport à ce que vous imaginiez ?

On a beaucoup composé autour de Laurent et de la manière dont il recevait les choses. Mais je crois qu’on n’a jamais perdu une forme de maîtrise, même si on n’a pas tous été tout le temps d’accord entre nous quatre. Le film s’est nourri de nos discussions sur telle ou telle séquence. L’idée était que le jeu se devait d’être comme un endroit d’expression qui n’avait rien à voir avec la malhonnêteté ou le faux. Laurent était autonome avec son micro HF qu’il allumait tous les matins. Certes, une fois qu’on coupait une scène, les choses ne s’arrêtaient pas comme dans une fiction classique, les conversations continuaient souvent. Mais tout le monde avait conscience du début et de la fin de l’espace de jeu. 

Vous cadrez aussi le film. Aviez-vous des références en tête pour sa réalisation ?

Au départ, on avait tous en tête Route One/USA de Robert Kramer. Un film extrêmement différent mais qui fut pour nous une sorte de déclencheur : il prouvait qu’on pouvait utiliser un comédien dans un documentaire qui, chez Kramer, tient plus du personnage allégorique que dans notre film.

Sur l’idée de la sincérité, de la construction du personnage politique et du jeu entre documentaire et fiction, il y a aussi Pater d’Alain Cavalier qu’on a regardé plusieurs fois ensemble.

Puis, une fois le tournage terminé, on s’est rendu compte que Robert Altman avait fait une série, Votez Tanner, sur une élection aux États-Unis avec tout un jeu autour d’un acteur et d’une équipe de campagne fictive dans un contexte électoral, lui, réel. Mais je ne l’ai pas encore vue. 

Pourquoi avoir choisi Rémi Langlade pour le montage ?

C’était une première collaboration. On a commencé à discuter avec lui pendant le confinement et on s’est tout de suite très bien entendu. Le montage a été riche, très long et très méthodique. Rémi a fait preuve d’une incroyable abnégation face à la masse de rushes et apporté des idées décisives, notamment la nécessité d’accélération d’une temporalité qui était celle du tournage. Il a tenu à ce que le spectateur soit tout de suite propulsé dans le récit de la campagne…

Cette élection municipale a été percutée par le Covid, tout comme le film. Comment avez-vous vécu de l’intérieur cette incertitude ?

On s’est arrêté de tourner, évidemment. Mais on était tellement dans notre projet qu’on n’avait pas du tout vu le confinement arriver ! La première réaction a été de se demander si on avait de quoi faire un film. Puis on a fait une pause. Finalement, comme Ferdinand, Milan et moi avons passé le confinement ensemble, on a pu regarder les images, « dérusher » une partie de ce qu’on avait tourné et se poser énormément de questions sur l’évolution du film, notamment sa fin, sachant qu’on a su très tardivement quand aurait lieu le second tour de l’élection et donc quand on retournerait sur place. On a décidé de se concentrer sur ce qui nous manquait en termes narratifs ainsi que sur la fin du film. On voulait que Laurent ne soit plus autant dans l’action, parle beaucoup moins. Qu’on arrive tout doucement à une forme de bilan et de projection vers l’avant. On voulait réfléchir autour de la notion de dépit et du dépassement de ce dépit pour ne pas avoir une fin totalement démoralisante dans un moment bizarre et incertain, lié d’une part à la pandémie et d’autre part à l’échec de Laurent.

MUNICIPALE

Réalisation Thomas Paulot
Scénario : Thomas Paulot, Ferdinand Flame et Milan Alfonsi
Directeur de la photo : Thomas Paulot
Montage : Rémi Langlade
Production : L’Heure d’été
Distribution : Rezo Films
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)