« Nino » vu par sa réalisatrice et sa productrice

« Nino » vu par sa réalisatrice et sa productrice

17 septembre 2025
Cinéma
Nino
« Nino » réalisé par Pauline Loquès Blue Monday Productions - France 2 Cinéma

Primé pour l’interprétation de Théodore Pellerin à la Semaine de la Critique, ce premier long métrage met en scène les trois jours séparant le moment où son jeune héros apprend qu’il est atteint d’un cancer et le début de sa chimiothérapie. La réalisatrice Pauline Loquès et la productrice Sandra Da Fonseca (Blue Monday) nous racontent son processus de fabrication artistique et économique.


Comment est née l’idée de Nino ?

Pauline Loquès : Pour une grande partie de ma rencontre avec Sandra ! J’avais réalisé un court métrage, La Vie de jeune fille, que j’avais quasiment autoproduit…

Sandra Da Fonseca : … et j’ai découvert le film sur Arte. J’ai tout de suite senti la tendresse et la fantaisie du regard de Pauline sur ses personnages. La douceur et la justesse avec lesquelles elle dirige ses actrices. J’y ai vu la promesse d’un cinéma exigeant mais accessible, à la fois drôle et profond.

L’idée précise de ce qui allait devenir Nino existait-elle déjà lors de votre première rencontre ?

SDaF : Pauline avait l’idée d’un jeune homme dans la ville que l’on suivrait dans un temps court – celui d’un week-end – alors qu’il vient de se faire diagnostiquer une maladie grave. Un récit resserré sur quelques jours, tout comme son court métrage qui se déroulait le temps d’un week-end, à l’occasion d’un enterrement de vie de jeune fille.  

PL : Quand Sandra m’a demandé si j’avais des idées de long métrage, je lui ai tout de suite dit oui car j’aime beaucoup ce qu’elle produit. Sauf que, honnêtement, je n’avais rien de précis en tête. Mais il s’avère qu’à l’époque, il y avait un jeune homme malade dans ma famille, atteint depuis un an d’un cancer très agressif avec un pronostic très sombre. Sans savoir précisément pourquoi, je me suis dit que si je commençais à écrire à ce moment-là, ça ne pouvait être que sur ce sujet. Les mois passaient et je n’arrivais pas à trouver un autre sujet qui m’intéresse autant, même si tourner un film sur le cancer, qui plus est alors qu’un de mes proches était malade, me poussait plutôt à laisser cette idée de côté. Et puis ce jeune homme est mort en 2020. Et comme il ne quittait pas mon esprit, je me suis décidée à travailler cette matière pour en faire quelque chose. C’est ainsi que le film s’est peu à peu imposé à moi. Pas une seule seconde je n’ai senti Sandra avoir peur du sujet. Sans doute parce que dans mon court, il y avait déjà un ton qui, je pense, garantissait une absence de pathos.

Avez-vous écrit seule ?

PL : Oui, j’ai beaucoup tâtonné car je n’ai pas de formation de scénariste. Mais à ce moment-là, je ne me voyais pas travailler avec quelqu’un.

Sandra, comment avez-vous collaboré avec Pauline durant cette phase d’écriture ?

SDaF : Le début du travail s’est passé dans la discussion/réflexion autour de toutes les étapes d’écriture, du traitement à la version dialoguée, pour réussir à dessiner les grands enjeux du film, les grandes intentions de Pauline en termes de sens et de ton. Pauline a vraiment une plume qui s’incarne notamment dans des dialogues ciselés et sonnants, ainsi que dans une certaine forme d’épure. Il y a également dans son univers une grande connexion au contemporain, une capacité à croquer une génération de jeunes gens, et aussi d’insuffler de la vitalité dans un mélange de profondeur et de légèreté. Enfin, il y a dans tout son travail un amour des comédiens et du jeu, qu’elle met au centre du processus de création et de fabrication. La distribution des rôles a été une étape cruciale. Pour finaliser l’écriture, la scénariste Maud Ameline est venue apporter son regard sur le scénario lors de consultations qui ont été très importantes.

PL : On s’est tout de suite très bien entendu avec Maud qui est vraiment excellente pour restructurer le récit. Elle m’a aidée à repréciser les choses. Son apport a été plus que précieux.

L’idée de concentrer le récit sur seulement trois journées était-elle présente dès le départ ?

PL : J’ai d’abord trouvé la fin du film et cette idée de ne pas aller plus loin que la première phase de chimio. Ce qui, par ricochet, signifiait que la maladie n’allait pas être très visible. Mais il existait des versions du scénario où l’on voyait Nino avant ce rendez-vous où il apprend son cancer, dans sa routine de vie, sa difficulté grandissante à aller au travail. Avec Maud, nous sommes tombées d’accord sur l’idée de resserrer le récit. En ne le montrant pas dans l’appartement où il vit, on a aussi délibérément refusé de donner trop d’informations sur le personnage, tout en ayant conscience que cela aurait pu aider à s’attacher à lui. Mais on a fait le pari de commencer de manière brute sur un plan de son visage avec cette idée que le spectateur le découvre peu à peu, au rythme où lui se redécouvre, confronté soudainement à cette grave maladie. Je tenais en tout cas à ce que quelque chose naisse de cette ombre de la mort qui surgit.

Sandra, comment s’est déroulée la phase de financement ?

SDaF : En début de financement, dans les premiers retours, on a pu reprocher au projet des points qui sont aussi des forces : une épure et un côté chronique. Je pense que le ton du film a pu échapper à certains lecteurs, entre gravité et drôlerie, et qu’ils n’arrivaient pas forcément à voir ce que j’imaginais pour ma part : la rencontre entre un récit, des dialogues et des comédiens formidablement choisis et dirigés. Le court métrage de Pauline était un très bon exemple, mais il fallait arriver à se projeter.

Quels ont été les premiers partenaires qui vous ont rejoints ?

SDaF : Le premier partenaire fut l’Avance sur recettes. Au deuxième passage, après avoir été jusqu’à l’oral lors de la première présentation. Puis dans la foulée, sont montés à bord le distributeur Jour2Fête et le vendeur The Party Film Sales, dont l’engagement a bien sûr été déterminant. Ils aimaient beaucoup le scénario et y ont vu la promesse d’un portrait de jeune homme contemporain dans un Paris d’aujourd’hui. Un film qui aurait le charme du scénario. Je pense qu’ils ont compris qu’on allait, outre la maladie, s’intéresser à la personnalité du jeune homme que dessinent en creux toutes les rencontres avec celles et ceux qu’il va croiser.

 

Pauline, qu’est-ce qui vous a donné envie de confier le rôle-titre au Canadien Théodore Pellerin ?

PL : C’est Youna de Peretti, ma directrice de casting, qui m’a suggéré son nom. Elle l’avait rencontré sur La Dérive des continents (au sud) dont elle faisait le casting. J’aime énormément de comédiens français mais je peinais à trouver mon Nino jusqu’à ce que je regarde le travail de Théodore et que je comprenne pourquoi Youna m’avait orientée vers lui. C’est un immense acteur à l’aise dans des registres extrêmement divers. Soudain, il n’y avait plus que lui pour jouer Nino. Soit le film se faisait avec lui, soit il ne se faisait pas.

SDaF : On a choisi la meilleure option artistique pour le projet, le comédien qui nous paraissait le plus à même d’incarner le rôle. Théodore est apparu comme une évidence lors de sa rencontre avec Pauline. C’était un choix de cœur. C’est ainsi que je conçois le travail pour les films qui restent dans une économie cadrée : chercher à faire le meilleur film possible, celui qui nous porte, par sa nécessité, par son sens, par sa singularité, par la force de son récit et de ses personnages, et voir ensuite comment on présente ces choix-là à nos interlocuteurs financiers. Cette démarche s’est révélée payante puisqu’à la fin du financement, on compte parmi les partenaires France 2 Cinéma, notre coproducteur, Ciné+ OCS en première fenêtre, et Disney+ – qui venait de sortir la série Becoming Karl Lagerfeld où Théodore incarne Jacques de Bascher et qui, par-delà le fait qu’il aimait beaucoup le scénario, connaissait ses grandes qualités d’incarnation.

Pauline, comment avez-vous créé l’atmosphère visuelle du film avec votre directrice de la photo Lucie Baudinaud ?

PL : C’est Sandra qui m’a parlé de Lucie car elles ont travaillé ensemble sur Olga d’Elie Grappe. J’ai trouvé son travail très beau, très sensible. Elle collabore à films très différents, qui vont du cinéma d’auteur à un cinéma grand public. J’aimais l’idée qu’elle n’ait pas de chapelle. Elle se met à chaque fois au service des films, comme un acteur. Cette forme d’humilité mêlée à de fortes convictions m’a beaucoup portée. Sa simplicité aussi, comme quand elle m’a confié que son film préféré, c’était La Boum. Or moi, je voulais faire un film accessible, qui ne soit pas cérébral. Il s’agissait d’accompagner ce que vit Nino dans sa tête tout comme la manière dont ses rencontres durant ces trois jours l’influencent. Il ne théorise pas ce qu’il vit. Mon film non plus.

Est-ce que la tragédie intime que vous avez vécue a pu percuter la fabrication du film ?

PL : Quand on a tourné la scène de chimio, je trouvais à la première prise que c’était bien plus doux que dans la réalité. Mais Théodore m’a rappelé que je ne faisais pas un documentaire, que je devais montrer ce que j’avais envie de montrer, de la manière dont j’avais envie. Que la vérité du film serait là, pas dans sa justesse. Il m’a fallu accepter la fiction en quelque sorte. On a toujours peur de l’indécence dans ces cas-là.

Sandra, qu’est-ce qui vous a frappée en vous rendant sur le tournage ?

SDaF : Le financement nous met forcément un peu à l’épreuve, mais tout a été effacé par l’harmonie du tournage. Sans qu’on l’ait volontairement décidé, notre équipe s’est révélée très féminine, notamment les cheffes de poste. Cela a joué dans l’atmosphère de grande douceur, de grand respect, de grande bienveillance qui régnait sur ce plateau et qui, bien sûr, était d’abord insufflée par la personnalité de Pauline qui est quelqu’un de très chaleureux. On a vécu une aventure assez idéale. Dans un métier qui peut être parfois violent, parvenir à remettre de la douceur avec des gens heureux d’être là, totalement au service d’une cinéaste et de son projet, fut un immense bonheur pour tout le monde.

Comment êtes-vous intervenue au montage ?

SDaF : De manière assez classique. J’ai laissé Pauline et sa monteuse avancer de leur côté, mais j’ai vu toutes les versions. À chaque étape, on réfléchit et on discute. Encore. C’est un moment charnière le montage, après l’énergie et la joie du tournage, c’est le moment du doute. On cherche le film, à tâtons, on teste des choses, on montre des versions à des proches et à des « candides ». Le rôle de la monteuse Clémence Diard a été crucial. Sa persévérance à tester différentes options pour trouver toutes les nuances du film, sous la direction de Pauline bien sûr, a permis d’arriver jusqu’à la subtilité la plus fine. C’est un moment clef le montage, surtout pour un film aussi fin et sensible.

PL : Clémence a apporté de la grâce au film, une élégance, une finesse par-delà le souffle et le rythme. Elle a commencé à travailler trois semaines avant que j’arrive à la table de montage. Il y avait déjà deux heures et demie de bout à bout. Elle a su trouver les bons rushes à chaque fois. Clémence a aussi été confrontée à la maladie, donc elle avait des comptes à régler avec elle. Comme moi, elle cherchait la lumière dans ces images. Et je crois avoir vraiment découvert le personnage de Nino au cours de cette étape, notamment dans chacune de ses interactions avec les autres. Comme les pièces d’un puzzle qui étaient présentes mais nécessitaient d’être assemblées pour qu’on prenne la mesure de tout.

Comment avez-vous vécu la présentation du film à la Semaine de la Critique ?

SDaF : Pour un premier long métrage, la Semaine de la Critique représente un lieu idéal. Nous avons été accueillis avec beaucoup d’amour par Ava Cahen et sa formidable équipe qui nous a incroyablement bien accompagnés. La réception du film a été chaleureuse et Nino s’est vendu dans de nombreux territoires tels que le Canada, le pays de Théodore, mais aussi l’Indonésie, Taïwan, le Benelux, l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Inde, le Portugal, le Brésil, etc. Depuis, le film a été projeté à Toronto, et il va continuer son tour des festivals internationaux dans les prochains mois.

Nino

Affiche de « Nino »
Nino Jour2Fête

Réalisation : Pauline Loquès
Scénario : Pauline Loqués avec la collaboration de Maud Ameline 
Production : Blue Monday
Distribution : Jour2Fête
Ventes internationales : The Party Film Sales
Sortie le 17 septembre 2025

Soutien sélectif du CNC Avance sur recettes avant réalisation