« Nouvelle Vague » : virée dans le Paris de Jean-Luc Godard

« Nouvelle Vague » : virée dans le Paris de Jean-Luc Godard

13 octobre 2025
Cinéma
« Nouvelle Vague »
« Nouvelle Vague » réalisé par Richard Linklater Jean-Louis Fernandez

Vingt ans après avoir sillonné les rues parisiennes dans Before Sunset, le Texan Richard Linklater retrouve la capitale pour y reconstituer le tournage d’À bout de souffle tel qu’il prit vie en 1959. La productrice Michèle Halberstadt, codirectrice d’ARP, nous détaille les coulisses de cette mise en abyme, sa collaboration avec le réalisateur et son amour pour Jean-Luc Godard.  


Racontez-nous la genèse de Nouvelle Vague. À quel moment le projet arrive-t-il entre vos mains ?

Michèle Halberstadt : Richard Linklater réfléchissait à ce film depuis une dizaine d’années. Il avait essayé de le monter aux États-Unis, puis en France, sans succès. Il savait combien j’appréciais son travail depuis que j’avais remué ciel et terre pour acheter Boyhood – ce que je n’avais pas réussi – donc il m’a contactée. À la suite de notre première rencontre, on a décidé de faire le film ensemble. Au départ, je pensais que Nouvelle Vague serait le fruit d’une coproduction entre les États-Unis et la France. Mais comme nous ne parvenions pas à dénicher des financements américains, nous sommes rapidement arrivés à la même conclusion : pourquoi ne pas faire de ce film une production 100 % française ?

Confier un film typiquement français à un cinéaste très américain peut sembler risqué. Qu’est-ce qui, dans la filmographie de Richard Linklater, vous a au contraire rassurée quant à sa capacité à réaliser ce film ?

Tout ! Il a toujours fait des films de bande, donc je savais qu’il allait donner vie à celle de Godard. Son amour pour le cinéma français se décèle dans ses films. Prenez Slacker, par exemple, véritable bébé de la Nouvelle Vague. C’est un film « marabout-bout-d’ficelle », où une personne en rencontre une autre, qui elle-même en rencontre une autre, et ainsi de suite. Avec Slacker, il réalisait sa propre version d’À bout de souffle. Au-delà de ça, son regard d’étranger lui a permis de se placer à la bonne distance. Il n’est ni dans l’hommage ni dans la moquerie, mais entre les deux : à la fois admiratif et insolent, ironique et tendre. Quand on me demande pourquoi Linklater, je donne toujours comme exemple Hair (1979). Il n’y a pas plus américain que ce film, pourtant, son réalisateur Miloš Forman était tchécoslovaque. Même cas de figure avec Michel Hazanavicius pour The Artist (2011), un hommage au cinéma muet hollywoodien réalisé par un Français. Ici, c’est la même démarche. Linklater ne s’est pas enfermé dans le culte, il a préféré déconstruire le mythe et s’en amuser. Pour ça, quoi de mieux que de plonger dans le premier film d’un réalisateur terrifié d’être en retard sur tous ses copains ? Aucun Français n’aurait osé regarder Godard de cette manière, il est trop ancré dans notre ADN.

Linklater ne s’est pas enfermé dans le culte, il a préféré déconstruire le mythe et s’en amuser.

Vous n’êtes pas uniquement la productrice du film, mais également l’une de ses scénaristes… Comment s’est déroulée la collaboration avec Richard Linklater ?

Il avait un scénario original écrit avec deux Américains, Vince Palmo et Holly Gent. Mon travail n’a pas seulement consisté à le traduire mais aussi à l’adapter, le but étant de s’approcher au mieux de la langue de 1959 et des mots que Godard avait réellement prononcés. À partir de là, Linklater étant connu pour répéter avec ses acteurs afin qu’ils puissent s’approprier le script, tous les soirs pendant quinze jours il revenait avec de nouvelles propositions de dialogues, que je validais ou non. C’était assez intense comme période. Sur le plateau aussi, j’étais sa traductrice. Puisqu’il ne parle pas français, il n’arrivait pas à exprimer toutes ses volontés artistiques. J’ai eu beaucoup de chance qu’il m’accorde sa confiance.

 

Avec Nouvelle Vague, vous nous emmenez dans les coulisses du tournage d’À bout de souffle. Quel travail de recherche a été fait en amont pour retrouver toutes ces anecdotes oubliées ?

D’abord, nous avons consulté la fameuse biographie de Godard écrite par Antoine de Baecque, à qui j’ai d’ailleurs fait lire le scénario en plus de l’inviter sur le tournage. Il nous a beaucoup conseillés. Nous avons également retrouvé à la Cinémathèque française des archives de Georges de Beauregard, producteur d’À bout de souffle. Entre le film documentaire Chambre 12, Hôtel de Suède de Claude Ventura, tous les livres et articles existants sur Godard, ainsi que les interviews du cinéaste lui-même, Nouvelle Vague repose sur une documentation approfondie. Nous avons même retrouvé les rapports de la scripte !

Quelles ont été les autres grandes étapes de votre travail de productrice au fil de ce projet ?

J’ai occupé de nombreux postes sur ce tournage ! J’ai notamment été conseillère artistique pour le choix des prises sur le plateau, lorsque Linklater hésitait sur le nombre de séquences à avoir en réserve. J’ai aussi supervisé le montage, le mixage et la postsynchronisation puisqu’il n’était présent qu’au début de la postproduction. Je lui envoyais des liens, nous en discutions ensemble, il m’envoyait des notes très précises et moi je travaillais avec la monteuse. C’est rare, ce genre d’aventure.

Notre souhait était de donner au spectateur l’impression de plonger dans le Paris de Godard, en 1959. Nous ne sommes pas en train de regarder Godard et sa bande il y a soixante-cinq ans, nous sommes avec eux. C’est ça, la magie de Nouvelle Vague.

Quel a été le principal défi à relever pour retracer l’histoire d’un film aussi mythique qu’À bout de souffle ?

Dès le départ, la scène de la promenade sur les Champs-Élysées nous a obsédés. Sans elle, le film ne tenait pas debout. Lorsque j’ai rencontré Linklater, nous nous sommes directement rendus sur l’avenue de la Grande-Armée pour déterminer si elle pouvait se substituer aux Champs-Elysées. Nos collaborateurs aux effets spéciaux de la Compagnie Générale des Effets Visuels (CGEV) nous ont immédiatement affirmé que c’était faisable. Notre travail avec eux a été limpide : ils ont compris que nous souhaitions de la VFX invisible. Dans les films français à succès comme Les Trois Mousquetaires, le spectateur constate d’emblée que les effets spéciaux sont bien réalisés mais il ne s’imagine pas une seconde être à l’époque représentée. Pour Nouvelle Vague, notre souhait était de donner au spectateur l’impression de plonger dans le Paris de Godard, en 1959. Nous ne sommes pas en train de regarder Godard et sa bande il y a soixante-cinq ans, nous sommes avec eux. C’est ça, la magie de Nouvelle Vague.

Le casting est composé d’acteurs peu connus du cinéma français. Pourquoi était-ce essentiel de privilégier des nouveaux visages ?

Sinon, l’illusion d’être en 1959 ne marchait pas. Dans Nouvelle Vague, tout est fait pour donner au spectateur l’impression d’être véritablement en sa présence, autant qu’avec Truffaut, Chabrol, ou Bebel. Pour y croire, il était essentiel de miser sur des acteurs inconnus. L’idée était que notre film s’apparente à un documentaire que Jacques Rozier aurait pu faire sur le tournage d’À bout de souffle, comme celui qu’il avait réalisé sur celui du Mépris.

Vous avez joué dans King Lear en 1987. Cette expérience d’un tournage de Godard vous a-t-elle été précieuse pour votre travail sur Nouvelle Vague ?

Pour recréer la personnalité de Godard, oui. Notamment sa manière d’être sur un plateau et de ne pas supporter que quelqu’un fasse autre chose que de se concentrer sur le film. Je me souviens d’un soir sur King Lear où tout le monde était en pause, Jean-Luc m’avait dit : « Vous voyez, je suis tout seul à faire mon film ! » L’idée qu’il puisse y avoir de la vie en dehors du plateau le rendait fou. Tant qu’il avait des idées, il n’avait pas envie que ça s’arrête. La concentration qu’il attendait de tout le monde, mais toujours avec beaucoup de douceur dans sa manière de diriger : voilà ce que j’ai retenu de lui.

Nouvelle Vague était le plus bel hommage que je puisse rendre à Jean-Luc. C’était une manière très joyeuse de lui témoigner tout mon amour et mon respect.

Vous qui l’avez côtoyé, quels conseils avez-vous donnés aux acteurs ?

Pour Guillaume Marbeck, l’essentiel était qu’il ne perde pas l’accent suisse. Avec la fatigue, il avait tendance à se relâcher. J’ai aussi fait du coaching intensif avec Zoey Deutch. Même si elle suivait des cours de français, elle n’était pas sereine concernant la langue et ressentait le besoin d’être aiguillée sur le plateau. Richard m’a demandé de m’en occuper. Je me suis vite rendu compte que Zoey faisait face à deux problèmes : la vitesse et la respiration. En plus de parler trop vite pour se débarrasser des dialogues, elle ne savait pas où respirer. L’accent de Jean Seberg, par contre, elle le maîtrisait à la perfection !

Vous avez distribué Éloge de l’amour lors de sa sortie en 2001, moment durant lequel Godard en a profité pour redessiner le logo d’ARP. En quoi produire Nouvelle Vague s’apparente à la suite logique pour votre société ?

Notre collaboration s’était révélée très harmonieuse sur Éloge de l’amour, le dernier de ses films ayant rencontré du succès en salles. Il nous en a toujours été très reconnaissant, de la même manière qu’il était très heureux qu’on ait gardé son logo toutes ces années. Donc lorsque j’ai demandé à m’entretenir avec lui en juin 2021 pour mon émission sur France Culture, il a accepté sans hésiter. J’ai passé quatre heures en sa compagnie pour ce qui s’est révélé être sa dernière interview. Nouvelle Vague était le plus bel hommage que je puisse rendre à Jean-Luc. C’était une manière très joyeuse de lui témoigner tout mon amour et mon respect.

De Cannes jusqu’à sa sortie en salle le 8 octobre, ressentiez-vous une pression supplémentaire à présenter un film dédié à un réalisateur aussi emblématique ?

Richard était terrorisé à l’idée que les Français ne lui pardonnent pas son geste. Que le film soit très apprécié de Thierry Frémaux et du comité du Festival de Cannes l’avait déjà beaucoup rassuré. Pour moi, la pression se situait plutôt du côté de nos risques financiers. Pendant la production, je ne savais pas du tout si on allait s’en sortir, jusqu’à ce que le film reçoive l’Avance sur recettes du CNC. Au-delà du coup de pouce financier, cette aide nous a énormément encouragés psychologiquement puisque la décision du comité était accompagnée d’un commentaire : « Nous aussi, on veut faire partie de la bande. » Ce mot m’a profondément touchée, puisqu’il confirmait que notre démarche avait du sens. Beaucoup pensent que Godard ne représente plus rien aujourd’hui, alors que moi je crois beaucoup à la génération Letterboxd. Il ne faut pas laisser tomber ces nouveaux cinéphiles.
 

NOUVELLE VAGUE

Affiche de « NOUVELLE VAGUE »
Nouvelle Vague ARP

Réalisation : Richard Linklater
Scénario : Holly Gent et Vince Palmo, adapté par Michèle Halberstadt et Lætitia Masson
Production : ARP, en association avec Detour Filmproduction
Distribution : ARP Sélection
Ventes internationales : Goodfellas
Sortie le 8 octobre 2025

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