Pascal Bonitzer : « Ma passion pour la peinture a stimulé mon imaginaire »

Pascal Bonitzer : « Ma passion pour la peinture a stimulé mon imaginaire »

02 mai 2024
Cinéma
Le Tableau volé
« Le Tableau volé » réalisé par Pascal Bonitzer Pyramide Distribution

Avec Le Tableau volé, le cinéaste plonge Alex Lutz, Léa Drucker et Nora Hamzawi dans le monde de l’art. Entretien.


Avant d’être cinéaste vous avez été critique de cinéma. Vous avez publié en 1985 un essai baptisé, Décadrages : peinture et cinéma… En quoi ce rapport entre la peinture et le cinéma vous passionne-t-il ?

Pascal Bonitzer : Ce recueil d’articles date de plusieurs années. Il y est effectivement question de l’influence de la peinture sur le cinéma. Je réfléchissais plus précisément à la manière dont la peinture pouvait être utilisée dans les films. Je n’ai pas directement puisé dans ces réflexions pour l’écriture du scénario du Tableau volé. En revanche, ma passion pour la peinture a stimulé mon imaginaire. La première question que je me suis posée est finalement assez triviale : comment un tableau peut-il jouer un rôle fictionnel ?

Vous avez choisi un tableau existant, Les Tournesols fanés d’Egon Schiele. Pourquoi ?

L’histoire de la réapparition de ce tableau dans une banlieue ouvrière de Mulhouse est assez connue. Elle date du début des années 2000 et avait été relayée par différents médias. Un spécialiste a réussi à retracer son parcours notamment sa spoliation par les nazis… Je me suis inspiré de cette histoire vraie que j’ai ensuite retravaillée à ma manière. Seul le postulat de départ est conforme à la réalité.

Était-ce important pour vous de représenter la marchandisation de l’art ?

Oui. Dans cet univers, la valeur monétaire importe avant même la valeur artistique, même si tout est lié. Le monde de l’art est vertigineux, à l’instar de celui de la finance pure, on y brasse des millions, des milliards même. La valeur des œuvres reste très fragile, soumise à des tractations, voire des malversations. Pour un scénariste, c’est un territoire extrêmement vaste. Dès le départ, j’ai décidé de partir d’un tableau existant. Dès lors, nous avons réfléchi à ce qui allait advenir de cette œuvre d’une valeur considérable.

La première question que je me suis posée est finalement assez triviale : comment un tableau peut-il jouer un rôle fictionnel ?

Avez-vous été tenté de raconter la trajectoire passée du tableau d’Egon Schiele ?

La spoliation des biens juifs par les nazis n’est évoquée que verbalement. Je n’ai pas voulu insérer de flash-backs, car cela aurait été un tout autre film. J’ai préféré montrer comment les héritiers directs qui ont été dépossédés du tableau ont vu leur famille bouleversée par cette perte. Quant au jeune homme qui en hérite malgré lui, il l’affirme clairement : « Je ne veux pas avoir du sang sur les mains ! » Les péripéties liées au tableau à partir du moment où il ressurgit miraculeusement sont déjà un moteur narratif fort. Inutile d’en rajouter.

 

Qu’est-ce que cette histoire vraie a de puissant ?

Outre le fait d’évoquer le spectre de la Shoah à travers la spoliation des biens juifs, je montre deux mondes a priori aux antipodes : celui de cette famille d’ouvriers qui se retrouve avec un tableau d’une grande valeur sur les bras et celui des salles des ventes où circulent des sommes d’argent vertigineuses. Le personnage du jeune homme qui a hérité du Egon Schiele, incarné par Arcadi Radeff dans le film, est purement fictif. Il est intéressant de placer au cœur du monde de l’art des profils sociaux différents. Le personnage du commissaire-priseur ambitieux incarné par Alex Lutz porte une revanche sociale très forte, par exemple.

Il est intéressant de placer au cœur du monde de l’art des profils sociaux différents.

Comment voyiez-vous le monde de l’art avant la réalisation du film ?

De manière imprécise. Il a fallu que je me plonge dans cet univers que je connaissais très mal. Je me suis appuyé sur le travail d’Iliana Lolic qui a collaboré au scénario. Elle a effectué une vingtaine d’entretiens auprès de professionnels du secteur. Nous avons recueilli des indications précieuses sur le fonctionnement de ce monde à part. Écouter des galeristes, des commissaires-priseurs, des collectionneurs et des antiquaires parler de leurs métiers nous a passionnés. Il faut une connaissance très pointue des œuvres pour travailler dans ce domaine. 

Qu’est-ce qui a inspiré votre mise en scène ?

Je cherche toujours la plus grande fluidité possible pour tenir en haleine le spectateur. Je n’ai pas cherché à faire des compositions savantes même si le film parle de peinture. Le beau pour le beau ne m’intéresse pas, mais le dynamisme d’une scène oui. Nous avons tourné le film en seulement vingt-cinq jours pour des raisons de budget. Je suis passionné de cinéma classique américain. Je fais donc des films à la fois dialogués et très physiques, ce qui exige d’être entouré d’une bonne équipe technique. Par exemple, Monica Coleman, ma monteuse, a cette capacité de dynamiser mon regard par ses choix… Elle élague, raccourci, et parvient à distiller le bon tempo.

Depuis 2008, tous vos films sont produits par Saïd Ben Saïd. En quoi le regard d’un producteur est-il important ?

C’est d’abord quelqu’un qui aime mes films. Cet amour est précieux pour un auteur. Saïd Ben Saïd est un producteur plutôt interventionniste, mais jamais pendant le tournage. Il s’implique avant et après et ne lâche rien. Venant d’une personne aussi cultivée avec un goût sûr, cette implication ne peut qu’être profitable à la création. Nous nous entendons sur de nombreux domaines liés à l’art, pas uniquement le cinéma. Il est tout aussi tenace lorsqu’il faut trouver des partenaires pour rendre le film possible et ne baisse pas les bras facilement. Pour Le Tableau volé, il a été décisif puisque c’est lui qui a lancé le projet. Il est venu me proposer de faire un film sur le monde de l’art et des salles des ventes. J’ai relevé le défi et cherché le bon sujet.
 

Le Tableau volé

Affiche de « Le Tableau volé » réalisé par Pascal Bonitzer
Le Tableau volé Pyramide

Réalisé par Pascal Bonitzer
Écrit par Pascal Bonitzer en collaboration avec Iliana Lolic
Image : Pierre Milon
Musique : Alexeï Aïgui
Produit par : Saïd Ben Saïd
Montage : Monica Coleman  
Distribué par : Pyramide
Ventes internationales : SBS Productions
Sortie en salles le 1er mai 2024

Soutiens du CNC : Aide au programme éditorial vidéo, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)