Philippe Le Guay : « Boris Vian, c’était Gary Cooper ! »

Philippe Le Guay : « Boris Vian, c’était Gary Cooper ! »

16 avril 2020
Cinéma
V comme Vian
V comme Vian Bernard Barbereau - Mercredi films - France 2 - DR - TCD
En 2011, le réalisateur des Femmes du 6eme étage et de Normandie Nue signait un téléfilm autour de la vie de Boris Vian, V comme Vian. Pour célébrer le centenaire de la naissance de l’auteur de L’écume des jours, nous avons interrogé Philippe Le Guay sur sa passion pour cet artiste protéiforme et son rapport contrarié avec le septième art.

Votre téléfilm V comme Vian, dans lequel Laurent Lucas a le rôle-titre, débute par la mort foudroyante de l’écrivain à l’âge de 39 ans dans… une salle de cinéma.

Ça se passe en juin 1959 dans un petit cinéma de la rue Marbeuf près de l’avenue des Champs-Elysées. Boris Vian assiste à la projection d’une copie de travail de l’adaptation de son roman signé sous le nom de Vernon Sullivan, J’irai cracher sur vos tombes. Le réalisateur est Michel Gast. D’un coup, Vian a une syncope et s’effondre. Il meurt quasiment sur le coup. Il serait bien sûr exagéré de dire que c’est ce film qui l’a tué. Vian avait, en effet, une santé très fragile avec une malformation cardiaque. Toujours est-il que cette adaptation était une sale affaire. Les droits d’adaptation ne lui avaient pas été versés... Quant au résultat, il était accablant. Cette mort « spectaculaire » traduit peut-être son rapport difficile avec le cinéma…

De son vivant, Vian, qui se disait passionné de cinéma, n’a jamais vraiment réussi à intégrer « la famille du cinéma ». Pourquoi ?

Il meurt en 1959, une date symbolique dans l’histoire du cinéma puisque c’est le début de la Nouvelle Vague. Jusqu’alors le monde du cinéma français était plutôt sclérosé, en tout cas, pas apte à accueillir son univers décalé. Toute sa vie, il a écrit des scénarios, parfois des petites histoires sur deux pages seulement.

Est-ce que l’éclosion de la Nouvelle Vague aurait pu être providentielle pour lui ?

Je ne crois pas. Les cinéastes de ce mouvement avaient une inspiration volontiers sentimentale et réaliste, rien à voir avec son monde à lui qui était un mélange de fantaisie, de réalité réinventée… Vian a inventé un langage, des machines, des objets, des sensations nouvelles. Difficile donc d’imaginer que cette excentricité ait pu être soluble dans un tel mouvement…

Le plus surprenant c’est qu’aujourd’hui encore, les adaptations de ses romans sur grand écran ne sont pas nombreuses.

C’est vrai. Il faut partager une même sensibilité pour être à la hauteur. L’adaptation à la fois très fidèle et personnelle de L’écume des jours (2013) par Michel Gondry est très réussie. Romain Duris campe un Colin très convaincant. Michel Gondry a toujours aimé la fantaisie, le burlesque, la poésie. Il était le cinéaste idéal. Une autre adaptation de L’écume des jours existe. Elle est signée Charles Belmont et date de 1968. Le casting est très impressionnant : Jacques Perrin, Marie-France Pisier, Sami Frey, Alexandra Stewart… Je ne l’ai pas vu. Il est pratiquement invisible.

Quels autres cinéastes auraient pu « s’attaquer » à l’œuvre de Boris Vian ?

Difficile de répondre même si un nom me vient tout de suite à l’esprit : Jacques Demy. Lui aurait osé l’extravagance et le fantastique, tout en gardant un fond profondément romantique. Car le romantisme est quelque-chose de très puissant chez Vian. En dépit de son insolence et de son désir burlesque, il y a une sensibilité très forte. C’est pour cela que son œuvre parle aux jeunes. C’était un écorché qui avait un désir de légèreté et d’humour ravageur.

Boris Vian comme beaucoup de jeunes de l’après-guerre, rêve d’Amérique. Le cinéma à ce moment-là est surtout américain…

Les Américains, ce sont bien sûr les libérateurs. Ils importent en Europe une culture qui rend immédiatement la nôtre obsolète et dérisoire. Ça concerne toutes les sphères culturelles : la musique et notamment le jazz dont Vian était un adepte, le cinéma, mais aussi la littérature. Vian a notamment traduit deux romans « noirs » de Raymond Chandler : Le Grand Sommeil et La Dame du lac.

Sa santé fragile l’empêchera toutefois de traverser l’Atlantique…

A part un séjour en Italie, il n’a quasiment jamais quitté le territoire français. En 1958, il avait envisagé de partir aux Etats-Unis afin de consulter un médecin spécialisé dans les malformations cardiaques. Malheureusement, il a renoncé et il est mort quelques mois plus tard.

Tous ces problèmes ne l’empêchaient pas d’avoir une belle prestance…

Il mesurait un mètre quatre-vingt-dix, sa stature était impressionnante. Quand il entrait dans une pièce les gens se taisaient. Il était d’une beauté à tomber à la renverse, avec de grands yeux bleus magnifiques. Il existe une photo de lui où on le voit sortir de l’eau… Il avait tout de la star de cinéma. Vian, c’était Gary Cooper.

Il a d’ailleurs fait l’acteur…

Des apparitions seulement. De la même façon qu’il n’était pas très à l’aise sur scène, il ne l’était pas non plus face à une caméra. Il était malade de trac. L’idée de se mettre en scène l’insupportait.

Comment en êtes-vous venu à tourner une fiction sur sa vie ?

Didier Vinson a d’abord écrit un scénario d’une vingtaine de pages. Par le biais de la productrice, Florence Laneurie, j’ai été très tôt impliqué dans le projet. Nous avons ainsi avancé en trio durant deux ans. Le film débute avec la fameuse projection de J’irai cracher sur vos tombes où Boris Vian s’écroule. Ensuite, Vian se refait tout le film de sa vie d’artiste, c’est-à-dire depuis l’âge de 24 ans jusqu’à ses 39 ans. Sa vie créatrice a été très brève.

Vous évoquiez tout à l’heure l’audace de l’univers de Boris Vian, comment avez-vous réussi à vous accorder à ce style…

Il est vrai qu’en tant que cinéaste, je fais des films plutôt linéaires et narratifs. Là, je me suis lâché, porté par la figure de Vian. J’ai mélangé animation, fausses archives, fiction pure… Il y a aussi cette idée de rencontre dans la mort entre Boris Vian et son double Vernon Sullivan. Au-delà de toutes ces considérations, il faut avoir de l’humour pour s’attaquer à un tel personnage. Je me sentais modestement légitime. Le premier court métrage que j’ai fait dans le cadre de mes études à l’IDHEC s’appelait : « Fais-moi mal Johnny », titre d’une chanson de Boris Vian dont je m’étais inspiré pour le scénario. Ma passion pour lui remonte à mon adolescence quand nous lisions ses romans en marge du système scolaire où il n’avait pas encore sa place. Ce côté rebelle nous fascinait.