Pour Sama : au cœur de la guerre civile syrienne

Pour Sama : au cœur de la guerre civile syrienne

09 octobre 2019
Cinéma
Pour Sama
Pour Sama Channel 4, Frontline Films, ITN Productions
Récompensé de l’Œil d’Or – sacrant le meilleur documentaire toutes sections confondues présenté à Cannes – ce documentaire réalisé par la Syrienne Waad al-Kateab et le Britannique Edward Watts raconte de l’intérieur le sanglant siège d’Alep. Ils reviennent ici sur les coulisses de ce document inestimable.

Waad al-Kateab, après avoir vécu le siège d’Alep de l’intérieur et quitté la Syrie avec votre mari chirurgien et votre fille Sama, qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’évoquer votre expérience ?

Waad al-Kateab: Après des études en marketing, je suis devenue journaliste. Et à partir de 2011, j’ai commencé à filmer tout à la fois l’enfer que nous vivions et mes moments de bonheur - la rencontre de mon mari et la naissance de notre fille notamment. J’étais en contact avec la chaîne de télévision britannique Channel 4 à qui j’envoyais régulièrement des images. Mais j’en gardais l’immense majorité pour moi. Quand nous avons dû fuir Alep, je voulais évidemment continuer à témoigner mais j’avais peur de replonger dans l’horreur. Le déclic est venu d’un rendez-vous chez Channel 4. Ils ont demandé à voir ces archives inédites et m’ont commandé non pas un reportage, mais un documentaire en me proposant de travailler avec Edward qui, bien que n’étant jamais allé en Syrie, était un grand connaisseur de la question

Edward Watts : J’ai tout de suite été impressionné par la richesse de ce matériel. D’ailleurs d’emblée, je ne pouvais imaginer ce documentaire ailleurs qu’au cinéma. Pour Sama avait besoin de la durée d’un long métrage pour expliquer les tenants et les aboutissants de ce qui s’est passé à Alep.

Comment s’est construite votre collaboration ?

E.W. : Elle a immédiatement été complémentaire : j’avais envie de mettre en avant les choses les plus personnelles filmées par Waad alors qu’elle souhaitait l’inverse ! Mais pour moi, il était évident que le spectateur devait connaître qui était Waad pour ensuite pouvoir suivre l’histoire de son point de vue. C’est d’ailleurs pour cette raison que Waad accompagne le récit de ce documentaire en voix-off. Cette voix représente vraiment sa pensée intérieure. Les documentaristes purs et durs pourront nous le reprocher, mais elle permet en permanence de contextualiser les choses et de ne perdre personne en route.

W.A.K. : La plupart des documentaires sur ce sujet s’adressent soit aux Syriens soit aux Occidentaux. Notre but est ici de nous adresser aux deux. De garder cet équilibre tout au long du montage. Il faut de la pédagogie sans perdre ceux qui connaissent le sujet au plus profond de leur chair.

Montrer la guerre de l’intérieur, c’est aussi montrer des images de violence souvent à l’extrême limite du soutenable comme ce bombardement d’un hôpital vu par les caméras de surveillance du lieu. Comment décide-t-on de ce qu’on montre et de ce qu’on coupe ?

W.A.K. : Ces images de surveillance me paraissaient vraiment essentielles. Elles apportent une preuve objective des actions du régime de Bachar el-Assad et vont donc au-delà de la subjectivité qui est forcément la mienne derrière la caméra.

E.W. : C’est la seule preuve aussi évidente que nous avions. C’est un document incroyable. Mais, pour le reste, Waad explique elle-même qu’elle n’a filmé que 10% de l’horreur vécue sur place. Et on n’a, nous-mêmes, utilisé que 10% de ce qu’elle a filmé. Il ne s’agissait pas de tomber dans le sensationnel. On voulait montrer la réalité bien sûr mais ne pas pousser pour autant les gens à fuir la salle. Trouver le bon équilibre a pris deux ans, le temps de trouver un peu de lumière dans cette noirceur.

W.A.K. : L’important était de raconter cette histoire de l’intérieur et de la transmettre. Mais cette transmission devient compliquée dès lors que l’horreur est à l’écran. Ce n’est pas la même chose de vivre l’enfer et d’en faire un documentaire. Je pense que les gens ont besoin à certains moments de sortir de la pure réalité pour aller au bout du film.

E.W. : C’est aussi pour cela que la durée du film n’excède pas 95 minutes. Il ne s’agissait pas de faire vivre au spectateur le parcours du combattant.

Pour Sama, en salles ce mercredi 9 octobre, a bénéficié de l’aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.