Quand le documentaire s'anime

Quand le documentaire s'anime

22 juin 2023
Cinéma
Valse avec Bachir
Valse avec Bachir Bridgit Folman Film Gang / Razor Film Produktion GmbH / Les Films d'Ici

Comment représenter le réel par le dessin ? Tour d'horizon de cinq formes de documentaires animés aux confins des arts et des écritures narratives.


Valse avec Bachir (2008)

En 2006, le réalisateur israélien Ari Folman retrouve un ami d’enfance. Celui-ci lui fait part d'un rêve étrange qui hante ses nuits depuis deux ans et dans lequel il est poursuivi par des chiens féroces... Des réminiscences de la guerre du Liban de 1982 quand il était jeune soldat. À l'époque, Israël lance l’opération « Paix en Galilée » dans le sud-Liban. Les jeunes israéliens sont envoyés au front. Ari Folman a alors 19 ans et effectue son service militaire... Vingt-quatre ans plus tard, il ne lui reste pourtant aucun souvenir de cette période de sa vie. Perturbé par le rêve de son ami et déterminé à faire la lumière sur son passé, Ari Folman entreprend un travail de mémoire. Au moyen d’entretiens avec des médecins, psychologues et anciens soldats israéliens, il reconstitue le puzzle de son existence. « L’idée du film me travaillait depuis plusieurs années, mais le tourner en images "réelles" ne me convenait pas », raconte le cinéaste pour qui l’animation est apparue comme « la seule solution, avec sa part d’imaginaire » pour s’attaquer aux traumatismes psychiques de l’après-guerre. Coproduit côté français par Les Films d’Ici, Valse avec Bachir mêle animation Flash, animation classique et animation 3D. Le film n’utilise pas la rotoscopie – technique qui permet de repeindre l’image par-dessus la vidéo. Chacun des dessins a été créé de toutes pièces par le réalisateur et directeur artistique David Polonsky. Ce long métrage autobiographique, multirécompensé à travers le monde, a notamment reçu le César du meilleur film étranger en 2009.

 

Chienne d’histoire (2009)

C’est l’histoire de la déportation de 30 000 chiens errants de Constantinople en 1910. Pour faire face à leur nombre croissant dans les rues de la ville, l’Empire Ottoman décide de les envoyer sur une île déserte au large de la capitale. Signé Sacrebleu Productions, ce court métrage mêle aquarelles en mouvement et collages d’images d’archives. Dans ce film, fruit de la collaboration entre le réalisateur Serge Avédikian (Ligne de vie) et le peintre Thomas Azuélos, le public suit le récit d'un exil forcé à travers le double regard d’une jeune chienne et d’un gendarme chargé d'encager les canidés. Tout en peintures animées, Chienne d’histoire s’inspire d’un fait historique que Serge Avédikian a choisi de raconter sans dialogues. Réflexion sur l’Histoire, le rapport au politique et les exterminations de masse, le film a été auréolé de la Palme d’or du court métrage à Cannes en 2010.

 

Mademoiselle Kiki et le Montparnos (2013)

Egérie du Tout-Paris dans les années 1920, Alice Ernestine Prin, dite Kiki de Montparnasse, inspire les plus grands peintres avant-gardistes du début du 20e siècle comme Kisling, Foujita, Desnos ou encore Man Ray. Figure de proue des années folles, elle s’émancipe de son statut de modèle pour devenir peintre, dessinatrice de presse, écrivaine et chanteuse de cabaret. Ce court métrage réalisé par Amélie Harrault prend la forme d’un autoportrait en animation 2D. Il est porté par la voix de la comédienne Marie-Christine Orry et inspiré des mémoires de Kiki de Montparnasse. Diplômée des Beaux-Arts à Toulouse et d’un cursus en animation à Angoulême, la réalisatrice mélange peintures et dessins animés pour brosser le portrait de cette femme double, à la fois muse et artiste. Cette production Les Trois Ours, primée par le César du meilleur court métrage d'animation en 2014, rend hommage à la personnalité insolite de Kiki de Montparnasse, ainsi qu’à la période charnière des années folles. « J’ai aimé sa personnalité, sa trajectoire, ce parcours qu’elle a elle-même façonné […] Et puis il y a ce regard extrêmement intéressant qu’elle posait sur les artistes, à la fois plein d’humour, très vivant et qui racontait une époque », confie la réalisatrice.

 

Le procès contre Mandela et les autres (2018)

Retracer l’un des plus grands procès de l’Histoire en animation : c’est le pari de Nicolas Champeaux et Gilles Porte. Dans Le Procès contre Mandela et les autres, qui s’intéresse au procès de Rivonia (1963-1964), le duo raconte comment Nelson Mandela et ses huit coaccusés du Congrès national africain (ANC) ont décidé, face à un procureur zélé, de transformer leur procès en tribune contre l’apartheid. Grâce à une collaboration entre l’Afrique du Sud et la France, près de 256 heures d’enregistrements sonores du procès ont pu être restaurées par l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). Pour donner vie à ces voix, les cinéastes ont choisi de mêler animation 2D et images d’archives. « On a voulu que ces voix résonnent, que tout le monde puisse entendre leur histoire », explique Nicolas Champeaux. Porté par le graphisme expressif en noir et blanc et aux traits ronds et carrés de l’illustrateur néerlandais Oerd Van Cuijlenborg, cette coproduction française (Rouge International, Korokoro Films, UFO Production, INA), salue le courage de neuf hommes qui ont lutté contre le régime ségrégationniste au péril de leurs vies. Il a été présenté en Séance spéciale au Festival de Cannes en 2018 et a reçu le prix du public au Festival de Durban la même année.

 

Flee (2021)

Après des années de clandestinité en Russie, Amin, 36 ans, est un universitaire sur le point de se marier – au Danemark où il a fini par s’installer – avec l’homme qui partage sa vie depuis vingt ans. À l'origine de Flee, il y a une histoire d'amitié, celle qui lie depuis longtemps le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen à ce jeune Afghan. Pour la première fois, Amin accepte de lui raconter son histoire. Il va alors se replonger dans son enfance à Kaboul au milieu des années 1980, évoquer ses traumatismes et l’exil de sa famille pendant la guerre civile avant l'arrivée au pouvoir des Talibans. Au fil d'une narration intimiste, Jonas Poher Rasmussen compose ici un film hybride : les dessins graphiques animés permettent à Amin de s’exprimer sans s’exposer tandis que les images d’archives ancrent le récit dans le réel. « Je voulais raconter l’histoire d’un ami, le récit universel de quelqu’un qui cherche sa place », confie le réalisateur. Cette coproduction Vivement Lundi ! et ARTE France a reçu le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy en 2021, le Grand Prix de la compétition documentaire du Festival de Sundance la même année, et a été nommée trois fois aux Oscars en 2022.

 

Ces films ont bénéficié du soutien du CNC