René Clair, l’enchanteur, en cinq films

René Clair, l’enchanteur, en cinq films

« Le Million » de René Clair.
« Le Million » de René Clair. Tamasa Distribution

Le distributeur Tamasa ressort cinq films de René Clair : cinq chefs-d’œuvre de la première période de l’œuvre du cinéaste, courant de 1925 à 1934.


Paris qui dort (1925)

C’est le premier film réalisé par René Clair, mais ce n’est pas le premier que le public a découvert. Entre le tournage de Paris qui dort, en 1923, et sa sortie, en 1925, a en effet eu lieu la projection d’Entr’acte au théâtre des Champs-Élysées, le 4 décembre 1924, en accompagnement du ballet de Francis Picabia, Relâche. Cette fantaisie d’inspiration dadaïste, conçue en compagnie de Picabia, Marcel Duchamp, Man Ray ou encore Erik Satie, fit scandale et mit Clair en lumière. Paris qui dort (dont le premier titre était Le Rayon diabolique) confirme le réalisateur débutant en brillant inventeur de formes et joyeux fantaisiste. Dans ce film de science-fiction à l’imagination débridée, tous les habitants de Paris se retrouvent paralysés par le rayon magique d’un savant fou, à l’exception de quelques chanceux, qui trouvent refuge en haut de la tour Eiffel. René Clair multiplie les trouvailles visuelles, poétiques, ludiques, et impose son goût pour une fantaisie à la fois prosaïque et très farfelue. Il manifeste également ici son intérêt pour les hauteurs, l’altitude, le vertige, l’envie de quitter le plancher des vaches et d’oublier les préoccupations trop terre-à-terre. L’influence de Paris qui dort est toujours très forte dans le cinéma contemporain, de Seuls Two, de Ramzy Bedia et Éric Judor, à Julie (en douze chapitres), de Joachim Trier, qui montre son héroïne déambuler dans une ville dont les habitants sont figés, comme l’étaient les personnages de Clair près d’un siècle plus tôt.

Sous les toits de Paris (1930)

Paris, encore. Et l’altitude, de nouveau, même si on est moins haut que sur la tour Eiffel. Ce neuvième film de René Clair dépeint les vies de ceux qui vivent sous les toits, faute d’argent. Divers protagonistes, dont un chanteur de rue joué par Albert Préjean, alors acteur fétiche du cinéaste, s’y battent pour l’amour de Pola (Pola Illéry), belle immigrée roumaine. À travers eux, c’est tout un petit peuple des faubourgs que décrit joyeusement René Clair, dans un mélange d’allégresse et de mélodrame. Surtout, il orchestre superbement la transition du muet au parlant, s’autorisant de longues séquences sans dialogues, mais utilisant également les chansons comme moteurs ou commentaires de l’action. Le film est resté célèbre pour son extraordinaire travelling inaugural, très sophistiqué, qui part des nuages pour atterrir sur le macadam, faisant peu à peu pénétrer le spectateur dans un monde enchanteur, qui annonce le réalisme poétique de Marcel Carné – l’un des assistants-réalisateurs de René Clair sur ce film.


Le Million (1931)

Un délice, qui commence lui aussi en hauteur, non pas sous, mais sur les toits de paris. Comme le film précédent, Le Million deviendra un grand succès international, contribuant à établir René Clair en cinéaste de premier plan, admiré de Moscou à Hollywood. En 1952, lors du premier sondage du magazine britannique Sight and Sound visant à établir la liste des « plus grands films de tous les temps », Le Million faisait partie des dix finalistes. C’est dire le prestige dont jouissait alors cette comédie irrésistible, inspirée par les burlesques américains, autour des tribulations d’un artiste sans le sou, partant dans Paris à la recherche d’un veston égaré, qui contient le billet de tombola qui ferait de lui un millionnaire. Très précis dans sa mécanique comique, le film baigne également dans une sorte d’atmosphère onirique, irréelle, créée par le tulle suspendu à l’arrière-plan – les décors du film sont signés Lazare Meerson, l’un des plus précieux collaborateurs de René Clair, et Alexandre Trauner. Comme Sous les toits de Paris, Le Million cherche à opérer une synthèse entre deux époques du septième art : « Dans la recherche des effets comiques, j’ai utilisé simultanément les ressources de l’ancien cinéma et celles du parlant », expliquait à l’époque le réalisateur.

À nous la liberté (1931)

Deux hommes, Louis et Émile, s’évadent de prison. Quelques années plus tard, le premier est devenu patron d’usine tandis que l’autre est resté vagabond… L’un des films les plus célèbres de René Clair, qui inspirera le Charlie Chaplin des Temps modernes. La société de production d’À nous la liberté, la Tobis, intentera d’ailleurs un procès à Chaplin, dont se désolidarisera René Clair, trop heureux d’avoir pu servir de modèle à un cinéaste aussi génial ! Cette ode utopique à l’amitié, à l’oisiveté, cette réflexion sur les rapports de classes témoigne d’une inspiration peut-être plus tourmentée que les précédents films de René Clair. L’avenir s’assombrit et le cinéaste s’inquiète de l’essor du machinisme, d’une forme de déshumanisation. Le film est l’expression de son humanisme et de ses préoccupations politiques d’alors. « C’était l’époque où j’étais le plus proche de l’extrême gauche, dira Clair des années plus tard, et je souhaitais combattre la machine quand elle devient pour l’homme une servitude au lieu de contribuer, comme elle le devrait, à son bonheur. »

Quatorze juillet (1933)

Anna, fleuriste, et Jean, chauffeur de taxi, se font des serments un soir de bal du 14 juillet à Paris. Jean succombe malgré tout à l’enjôleuse Pola, qui le délaissera vite… Le dernier chef-d’œuvre de la première période de la carrière de René Clair, avant l’exil hollywoodien qui le verra signer Ma femme est une sorcière ou C’est arrivé demain, puis le retour en France, après la Seconde Guerre mondiale. Selon Noël Herpe, grand spécialiste du cinéaste, dans cette « évocation minimaliste d’un Paris/paradis perdu (…) Clair stylise avec une extrême rigueur sa vision d’un monde enfoui ». Le film, avec sa description tendre et minutieuse d’un Paris populaire, sa ronde romantique d’amoureux éperdus, son utilisation de la musique aussi, ressemble d’une certaine façon à une variation autour de Sous les toits de Paris – qui n’était pourtant sorti que trois ans plus tôt. Comme si René Clair voulait boucler une boucle, avant d’autres aventures.

Ces cinq films ont été restaurés et numérisés avec l’aide du CNC

Rétrospective René Clair, l’enchanteur

Distribution : Tamasa
Au cinéma depuis le 14 décembre 2022
Plus d’informations sur le site de Tamasa

Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme de répertoire)