Stan et Edouard Zambeaux : "Nos films montrent des gens debout, qui n’ont rien perdu de leur dignité"

Stan et Edouard Zambeaux : "Nos films montrent des gens debout, qui n’ont rien perdu de leur dignité"

30 novembre 2018
Cinéma
Stan et Edouard Zambeaux
Stan et Edouard Zambeaux CNC

Dans Un jour ça ira, leur dernier documentaire sorti en salles en février dernier et disponible en DVD le 8 janvier prochain, les frères Stan et Edouard Zambeaux ont installé leur caméra au cœur de L’Archipel, un centre d’hébergement d’urgence parisien. Pendant de longs mois, ils en ont filmé les habitants, suivant plus particulièrement deux jeunes adolescents, Djibi et Ange, qui trouvent une voie d’émancipation grâce aux ateliers d’écriture et de chant organisés sur place.


Dans votre précédent documentaire, Des clés dans la poche, vous suiviez des familles et des individus quittant la précarité parisienne pour essayer de se construire un avenir meilleur dans le Cantal. Avec Un jour ça ira, vous donnez à voir la vie dans un centre d’hébergement d’urgence à Paris et, au sein de celui-ci, le pouvoir émancipateur de l’écriture pour de jeunes adolescents. Qu’est-ce qui vous anime et guide vos choix de sujets ?

Edouard Zambeaux : Les questions sociales et urbaines nous passionnent depuis longtemps. Au-delà de ça, notre volonté est de raconter des histoires incarnées par des personnages forts, des narrateurs qui racontent ces réalités. Les personnages de ces films sont tous porteurs de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes, d’une part d’universel. Nos deux films sont aussi portés par la volonté de montrer des gens « en mouvement », debout, qui n’ont rien perdu de leur dignité. Ce sont des gens qui vivent des situations extrêmement difficiles, mais qui n’ont pas perdu la volonté de « reprendre le chemin » malgré la grande précarité à laquelle ils sont confrontés.

Vous expliquiez dans une interview avoir voulu « magnifier ces parcours »…

Edouard Zambeaux : Nous avons voulu montrer la réalité : ce sont des gens beaux. Donc ne pas tomber dans le misérabilisme. Pourquoi faudrait-il regarder avec des yeux miséreux des gens qui sont dans la misère ? Mais nous n’avons pas voulu « magnifier » au sens de « rendre artificiellement beau ». Il n’y a par exemple pas de scène que nous avons éclairée. Mais tout a été fait avec un souci esthétique permanent de bien filmer, et de regarder ce qui est précieux chez ces personnes.

Comment abordez-vous la question de la forme de vos films documentaires ?

Stan Zambeaux : Pour Un jour ça ira, dans notre réflexion sur la forme, nous avions dès le départ le désir de quelque chose de brut. Parce que ce que l’on suivait l’était. En même temps, ce centre, outre son côté « brut », a également quelque chose de magistral et d’élégant, dans son architecture, dans certains de ses espaces... Nous voulions donc que la forme visuelle soit dans cette ambivalence. Si nous avons toujours rejeté le principe d’interventions de notre part en voix off, nous avons, à partir du moment où le ressort narratif artistique est arrivé [des ateliers de chant et d’écriture proposés aux adolescents du centre servent de fil rouge au documentaire, ndlr], souhaité intégrer des voix off de l’un des enfants, qui raconte son parcours en lisant des textes qu’il a écrits. Cela donne une dimension presque fictionnelle, et par moments lyrique, au film. Mais le plus important, dans un documentaire, reste le fonds, le propos, et le dispositif esthétique vient derrière.

Edouard Zambeaux : Il a fallu que l’on trouve des dispositifs pour permettre aux personnages du film d’être les propres narrateurs de leur histoire. On ne voulait surtout pas les en déposséder. D’une certaine manière, nous avons partagé la maîtrise du récit avec eux. Sans pour autant la leur abandonner : il n’était ainsi pas question qu’ils aient leur mot à dire sur le montage.

Compte-tenu de ce contexte, le travail de préparation, en amont du tournage, a dû être une étape essentielle pour créer une relation de confiance…

Edouard Zambeaux : Il a en effet fallu « construire » la confiance car les gens avaient au départ peur de l’image, peur d’être filmés et que ces images leur échappent, qu’ils soient manipulés. Il a fallu prendre du temps, et être très clairs avec eux sur nos intentions. Stan a passé beaucoup de temps sur place, avec sa caméra mais sans forcément tourner…

Stan Zambeaux : L’idée, dès le départ, était d’être suffisamment présents au centre pour être connus de tous, pour que la caméra devienne d’une certaine manière un personnage. Que tous les habitants de L’Archipel puissent se l’approprier et être à l’aise avec. J’ai passé au total près de trois ans là-bas, et il a bien fallu six mois pour que la caméra se démocratise et devienne même un outil de création pour les enfants. Ce temps était nécessaire, et c’est seulement ensuite que nous avons construit ensemble et suivi les parcours d’émancipation de certains habitants.

Un jour ça ira insiste régulièrement sur les regards des habitants…

Stan Zambeaux : Oui. Les plans du film sont souvent soit larges, soit très serrés. J’aime insister sur les regards. C’est peut-être dû à ma passion pour le cinéma de Sergio Leone (sourire). En s’attardant sur les yeux, on raconte quelqu’un, sans forcément tomber dans le voyeurisme ou la sensiblerie. Je souhaitais m’attarder sur ceux-ci, laisser le temps nécessaire pour que les yeux racontent d’eux-mêmes. D’autant plus avec des gamins : leurs regards racontent parfois l’inverse de ce qu’ils disent quand ils parlent.

Qu’est-ce qu’un bon documentaire selon vous ?

Stan Zambeaux : Dans un bon documentaire, les personnages sont transcendés, ils se dépassent eux-mêmes. Il faut regarder les gens que tu filmes avec tendresse et amour, et ça se sent à l’image. Un bon documentaire, c’est une aventure collective, la rencontre de deux mondes : celui du sujet, des personnages, et celui du réalisateur. C’est donc quelque chose de fondamentalement différent du reportage. Dans un reportage, le journaliste vient en sachant d’avance ce qu’il veut. Il ne se laisse pas dépasser par ce que racontent les gens. Dans un bon documentaire, le réalisateur progresse autant que les personnages qu’il suit en traversant leur monde.

Edouard Zambeaux : Un documentaire est d’ailleurs très différent d’un reportage. Il y a un point de vue beaucoup plus affirmé dans une écriture documentaire. Le sujet d’Un jour ça ira aurait par exemple été bien trop « grand » pour un reportage.

un jour ça ira

Réalisé par Stan et Edouard Zambeaux et produit par Magneto Prod, Un jour ça ira sort en DVD le 8 janvier 2019. Ce documentaire a reçu deux aides du CNC : l’avance sur recettes et l’aide à la création de musique originale.