Studio Foliascope, ou l’animation traditionnelle en ADN

Studio Foliascope, ou l’animation traditionnelle en ADN

02 août 2022
Cinéma
The Inventor brain (c) Studio Foliascope
The Inventor Brain Studio Foliascope

En dix ans d’existence, le studio Foliascope a su s’imposer comme un acteur majeur de l’animation 2D et en volume. La structure rhônalpine a produit, entre autres, Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto ou encore The Inventor, la nouvelle réalisation de l’Américain Jim Capobianco. Retour sur une irrésistible ascension avec Ilan Urroz, son directeur général.


Comment est né Foliascope ?

En 2011, Pascal Le Nôtre décide de vendre ses parts de Folimage, le studio d’animation qu’il a cofondé. À l’époque, il souhaite développer plusieurs projets en stop motion tout en continuant à faire de l’animation traditionnelle (avec notamment Le Petit Nicolas, un projet qu’il a initié et accompagnera jusqu’au storyboarding et qui recevra dix ans plus tard le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy). Il veut bouger, changer de structure. Il lance donc la société de production Foliascope. En 2013, fort de nombreux projets, il crée un studio qu’il va localiser à Beaumont-lès-Valence dans la Drôme, en Auvergne-Rhône-Alpes, avec, toujours, la ferme intention de faire de l’animation en volume. Il a dans ses cartons des projets de courts, de séries et puis surtout, un long métrage, Owen et la forêt des loups de Pierre-Luc Granjon. Ce film ramène le producteur Nicolas Flory à Foliascope. Nicolas devient le directeur artistique du studio. On travaille sur des séries (Le Petit Nicolas, L’Armée des lapins…), puis on décide de se lancer dans une autre aventure, celle de Wardi (The Tower), le premier long métrage intégralement réalisé par Foliascope en 2018. Tout est fait chez nous : la production évidemment, mais aussi la technique du stop motion, l’animation 2D… Tout !

Le stop motion est donc au cœur du studio depuis le début…

Oui. Au sein de Folimage, Pascal Le Nôtre avait produit et réalisé les quatre épisodes de 26 minutes de la collection Les quatre saisons de Léon (2012). Il avait aussi remporté un BAFTA pour la série Hôpital Hilltop en 2013. L’animation en volume est vraiment dans son ADN. En 2013, quand il monte Foliascope, il ambitionne de passer à la vitesse supérieure, et de produire des longs en stop motion. En 2018, il décide de prendre sa retraite. Il refuse toutes les offres reçues et choisit de transmettre ses parts à Nicolas et moi-même.

Pourquoi vous ?

Pascal Le Nôtre travaille depuis très longtemps avec Nicolas Flory sur le plan artistique. Moi j’étais du côté développement et on a beaucoup partagé au sein du conseil d’administration du pôle rhônalpin Imaginove. On était tous les trois très proches. Je crois qu’il a surtout voulu transmettre le studio à des fils spirituels – en termes professionnels. C’est lui qui nous a fait grandir. C’est notre mentor. Et d’ailleurs, il est toujours là : c’est le président d’honneur de la structure.

Que se passe-t-il quand vous prenez les rênes ?

On est en 2018, et on arrive au moment de la postprod de Wardi (The Tower) qui sera présenté à Annecy. Mais la vraie bascule, c’est le projet Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto. On vient de finir un long métrage qui a tourné dans des festivals, et on enchaîne avec ce nouveau film très ambitieux. En parallèle, on développe de nouvelles séries. On sent qu’il se passe quelque chose et qu’il y a une nouvelle impulsion. 

C’est aussi le moment où Foliascope se retrouve au cœur du boom du stop motion…

En première ligne même ! Deux ans en arrière, si vous m’aviez posé la question de l’écosystème, ma réponse aurait été simple. En France, on était quelques studios à faire du volume : la Ménagerie à Toulouse, Vivement Lundi en Bretagne, Manuel Cam à Paris… On s’associait, on rassemblait nos forces, on faisait un peu de coproduction et, bon an mal an, on réussissait à sortir un long métrage ou une série. Entre-temps, Interdit aux chiens et aux Italiens puis The Inventor, le long métrage d’animation de Jim Capobianco, ont tout changé. Tout. On a littéralement basculé dans une nouvelle dimension. 

Comment ? 

Pendant la production du film Interdit aux chiens et aux Italiens, on a structuré un nouvel outil qui nous a permis de changer nos méthodes de travail. Le logiciel Blackmagic DaVinci Resolve nous a fait passer à des standards de production mondiaux. On travaille désormais avec des outils aux standards de l’Académie des Oscars. En l’occurrence, c’est notre directeur technique VFX, Fabrice Faivre, qui a mis en place ce « pipeline ». Il est parti travailler sur le Pinocchio de Guillermo del Toro, mais juste avant, il avait installé tous ces outils chez nous. Se dire qu’on travaille avec les mêmes standards que la plus grosse production de stop motion du moment… C’est impressionnant. Et ce logiciel nous a permis de lancer The Inventor, notre premier projet américain !

Concrètement, que cela signifie-t-il pour Foliascope ? 

Pour The Inventor, on a pu bénéficier du crédit d’impôt international (C2I). On a changé de bâtiment et investi 1200 mètres carrés. On a candidaté au choc de modernisation de l’appareil de production du plan de relance et on l’a eu. Du coup, on a conçu un vrai studio, écologique et durable.

Quelles sont les conséquences artistiques pour le studio ? 

Elles sont énormes. À moyen terme, on va pouvoir travailler avec de nouveaux moyens, de nouveaux animateurs, qui vont nous apporter un autre savoir-faire, et qui viennent du long métrage. Certains animateurs de The Inventor ont travaillé sur L’Étrange Noël de Mr Jack (1993) ou Coraline (2009) de Henry Selick, d’autres planchent sur Pinocchio de Guillermo del Toro… Les nouveaux outils de production permettent d’avoir une nouvelle équipe. Donc d’autres projets. C’est un cercle vertueux. 

Vos animateurs étrangers ne sont pas trop dépaysés ? 

Pas du tout. Certains artistes techniciens me disent qu’ils ont ici, dans l’Ardèche et la Drôme, de meilleures conditions de travail qu’à Portland, aux États-Unis. Nos studios sont efficients, écologiques, durables. On a de l’impression textile, de l’impression 3D… C’est vraiment le stop motion 2.0.

Vous parlez de Foliascope comme d’un studio « écologique et durable ». Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Cet aspect précis faisait partie du projet de Pascal Le Nôtre dès l’origine. Quand il s’est installé à Beaumont-lès-Valence, il l’a fait dans des bâtiments qui existaient déjà, il n’a pas pris de terres agricoles, et a respecté le bâti. Un autre exemple : il a investi dans les premiers projecteurs LED à l’époque où l’on était encore au tungstène dans toutes les productions… De notre côté, quand on a pris la relève, on a amplifié ces choix. Chez nous, tout est connecté avec un seul câble via une technologie DMX. Du coup, nos plateaux sont entièrement dédiés aux animateurs. Ils peuvent mieux se concentrer sur l’animation, il n’y a plus de fils qui traînent. Cette technologie favorise une consommation d’énergie réduite (les lumières LED, le recyclage de chaleur…). On a été accompagnés par le CIT (dispositif de soutien aux industries techniques) qui nous a notamment permis de développer une technologie très innovante de ciels en LED. 

Vu votre inventivité, finalement, un projet comme The Inventor devait forcément être produit chez vous…

En l’occurrence, il ne vient pas de nous. Il sort de l’esprit génial de Jim Capobianco, réalisateur, auteur et story-artist de Disney et Pixar. Il y a dix ans, il a commencé à écrire l’histoire de Leonard de Vinci. Son ouverture d’esprit, son inventivité, lui semblaient très pertinentes aujourd’hui. Il a écrit un premier script, réalisé un court en 2D, et commencé à écrire l’histoire pour une série télé. Mais il ne parvenait pas à convaincre ses partenaires habituels. Il a rencontré un jeune producteur indépendant, Robert Rippberger, et à deux ils sont allés voir tous les studios américains – Disney/Pixar, Warner, Apple… – en vain. Depuis le début, Jim Capobianco voulait revenir au stop motion. Il en avait assez de la 3D ; il avait envie de voir les choses s’animer devant lui. Robert et Jim ont alors fait le tour de l’Europe pour trouver des partenaires et par des amis en commun, ils sont arrivés chez Foliascope. Robert a tout de suite compris qu’on avait d’autres qualités que les Américains. De fil en aiguille, on a enchaîné les réunions par Zoom ; j’ai lu le script – que j’ai trouvé super – et on a décidé d’aller ensemble au salon Cartoon Movie pour pitcher le projet. Il a remporté un franc succès. Au moment où on allait le lancer officiellement, le confinement est arrivé. Cela a compliqué un peu les choses, mais les partenaires sont restés. Nous avons obtenu le crédit d’impôt, lancé la production (avec un coréalisateur, Pierre-Luc Granjon) ; présenté le work in progress au Festival d’Annecy… C’est un énorme projet pour nous, et les retours sont déjà magnifiques.

Le buzz autour de The Inventor témoigne – parmi d’autres – du nouvel attrait du stop motion. Comment l’expliquez-vous ? 

J’ai l’impression que le marché mondial du long métrage animé repose aujourd’hui sur des standards graphiques qui se ressemblent. La plupart des gros films sortis en salles ont un « look » finalement très proche. Il y a un côté lisse, sans défaut, presque froid. Certaines œuvres sont magnifiques évidemment, mais la technique du stop motion permet de remettre un peu d’humanité. Au fond, c’est de l’animation mais en réel. Plus chaleureuse. Plus authentique. Certains s’étonnent de voir des grands réalisateurs (comme Wes Anderson ou Guillermo del Toro) revenir au stop motion, mais c’est la base ! Quand les animateurs animent en CGI (ndlr : Computer Generated Imagery), ils ne font que bouger des éléments, prendre des images clé. Exactement la même chose que nous. Sauf que nous, on joue avec le réel. 

Après The Inventor, quels sont les projets de Foliascope ? 

On va proposer à Cartoon Forum en septembre, à Toulouse, la série dérivée de The Inventor qui s’appelle L’Atelier de Léonard. L’histoire se passe bien avant que Léonard de Vinci ne rejoigne la France. Il est alors en Italie, au service d’un duc turinois pour lequel il va réaliser de nombreuses inventions avec le concours d’une petite duchesse et d’un gamin des rues. En mars prochain, on présentera notre nouveau film 2D, Retour à Tomioka de Laurent Galandon et Michaël Crouzat. On sort également la série Music Queens pour Arte : un petit format sur des chanteuses qui ont influencé le féminisme dans l’industrie musicale, coécrit par la journaliste Rebecca Manzoni et la scénariste Émilie Valentin, illustré par Leslie Plée (au design graphique) et réalisé par Amandine Fredon. Bref, l’équipe d’exception !

The Inventor de Jim Capobianco sortira en salles en 2023.