« They Shot the Piano Player » : entretien avec ses coproducteurs français

« They Shot the Piano Player » : entretien avec ses coproducteurs français

02 février 2024
Cinéma
They Shot the Piano Player
« They Shot the Piano Player » réalisé par Fernando Trueba et Javier Mariscal Dulac Distribution

Entretien avec les producteurs des Films d’Ici Méditerranée, Serge Lalou et Sophie Cabon, sur le documentaire d’animation They Shot the Piano Player. Une enquête signée Fernando Trueba et Javier Mariscal autour du pianiste brésilien Francisco Tenório Júnior, génie du jazz et de la bossa-nova, mystérieusement disparu à Buenos Aires en 1976, à la veille du coup d’État militaire.


Comment Les Films d’Ici Méditerranée se sont-ils retrouvés impliqués dans They Shot the Piano Player ?

Serge Lalou : Via Josep [film d’Aurel produit par Les Films d’Ici Méditerranée et sorti en 2020 – ndlr]. Il y avait sur ce film un assistant-réalisateur colombien vivant à Barcelone, qui s’est retrouvé à avoir un poste important sur They Shot the Piano Player, à un moment où la première société française qui avait été sollicitée a fermé. Ils cherchaient donc un partenaire en France. La deuxième raison est éditoriale : que ce soit avec Valse avec Bachir ou avec Josep, nous avons montré que nous sommes intéressés par des films documentaires d’animation qui se rapprochent du roman graphique plutôt que de l’animation traditionnelle. La troisième raison, c’est notre potentiel de production déléguée, notre capacité à monter des financements sur ce type de films. Nous ne sommes pas un studio d’animation. Ce que nous amenons, ce n’est pas la capacité technique, mais des dimensions à la fois artistiques et financières. En sachant qu’on s’appuie ensuite sur des studios : certains qu’on connaît bien, comme Les Fées Spéciales à Montpellier, et d’autres qu’on a découverts comme Gao Shan Pictures à La Réunion – un vrai beau studio d’animation, impliqué dans de nombreux projets, et très soutenu par la région.

 

De Valse avec Bachir à They Shot the Piano Player, le documentaire historique d’animation est devenu un genre à part entière. Comment l’avez-vous abordé ?

SL : Oui, mais sans que ce soit une décision éditoriale délibérée. J’étais arrivé sur Valse avec Bachir sans n’avoir jamais fait d’animation. Josep est lié à notre rencontre avec Aurel. Puis est arrivé They Shot the Piano Player et on s’est rendu compte a posteriori que, sur Josep comme sur ce film, il y avait à la fois un fond documentaire très fort, mais aussi une manière, en termes d’animation, d’aller artistiquement à rebours de tous les studios d’animation. Même de ceux avec lesquels on travaillait.

Que ce soit avec Valse avec Bachir ou avec Josep, nous avons montré que nous sommes intéressés par des films documentaires d’animation qui se rapprochent du roman graphique plutôt que de l’animation traditionnelle.
Serge Lalou
Les Films d’ici Méditerranée

C’est-à-dire ?

SL : Généralement, dans l’animation, vous cherchez à être le plus fluide possible. Nous, en revanche, nous sommes sur la question du dessin. Josep comprend 35 % de vraie animation. Dans They Shot the Piano Player, il y a eu un travail de rotoscopie qui a permis, à partir des sources documentaires réunies par Fernando Trueba, d’obtenir une animation assez fluide mais, en réalité, tout le travail a consisté à redessiner, et à enlever des images, pour se concentrer sur ce qu’il y avait d’important dans chaque séquence, plutôt que de prétendre à la perfection en matière de mouvement. C’est ce qui caractérise ces films : on mise sur la force du dessin comme lieu de l’émotion et du récit. Ensuite, il faut convaincre les studios d’animation qu’il faut mettre l’effort sur cet aspect. Ce qui n’est pas forcément ce sur quoi tout le monde a été formé, c’est-à-dire le mouvement le plus fluide possible. Quand on travaillait sur Josep, le film Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary se faisait en parallèle : leur but était d’effacer le trait, le nôtre était de l’affirmer. Dans They Shot the Piano Player, l’univers de Javier Mariscal était plus important que la fluidité des mouvements.

Ce genre passe donc par une affirmation esthétique forte…

SL : Une affirmation esthétique, oui, qui est une croyance dans le dessin. Disons qu’on vient plus du roman graphique que de Walt Disney.

Fernando Trueba est arrivé avec sa matière documentaire, et ce film qu’il portait en lui depuis des années. Il savait que grâce à Javier Mariscal il pourrait trouver la retranscription graphique adéquate. Celui-ci a tout construit de A à Z et imaginé pour chaque époque des colorimétries différentes.
Sophie Cabon
Les Films d’ici Méditerranée

Comment s’est réparti le travail entre les différents studios d’animation ? 

SL : Le cœur du projet se situait à Barcelone, au studio Mariscal, à partir duquel toutes les étapes du travail étaient ensuite réparties en fonction des compétences et des capacités particulières des différents studios : Submarine Sublime aux Pays-Bas, Animanostra au Portugal, Gao Shan à La Réunion et, pour compléter le travail, Les Fées Spéciales à Montpellier, qui se chargeait du compositing. En fonction des compétences des uns et des autres, il y a eu une répartition presque image par image, ou disons groupe d’images par groupes d’images, puisqu’il y avait différentes natures d’images. Ensuite, il y avait une coordination entre Barcelone et nous pour vérifier une scène lorsqu’elle avait été traitée, pour qu’elle passe à l’étape suivante dans le studio suivant.

Qu’apporte au film sa fabrication dans plusieurs aires géographiques ?

SL : Du point de vue de la production, cela signifie que le film est international avant même d’exister. Concrètement, c’est assez stimulant, parfois compliqué. Il faut être d’une très grande rigueur. En fait, il vaudrait mieux être industriel pour que ça marche vraiment bien, or nous sommes extrêmement artisanaux. L’artisanat est assez antinomique avec un fonctionnement de studio, alors quand on multiplie les studios, ça devient encore plus compliqué ! Mais nos interlocuteurs nous ont compris, parce qu’ils étaient forts d’un point de vue artistique.

Comment étaient formulées les intentions esthétiques du film ?

Sophie Cabon : Tout partait de l’intention de Javier Mariscal. Fernando Trueba est arrivé avec sa matière documentaire, et ce film qu’il portait en lui depuis des années. Il savait que grâce à Javier il pourrait trouver la retranscription graphique adéquate. Javier Mariscal a tout construit de A à Z et imaginé pour chaque époque des colorimétries différentes. Ça se voit dans le film et dans son travail en général : c’est quelqu’un de très attaché à la couleur, ainsi qu’à l’idée de la spontanéité. Il a donc impulsé cette conduite, avec toute son équipe au studio Mariscal, à commencer par son directeur technique Juan Carlos Concha Riveros. 

Quel supplément l’animation apporte-t-elle selon vous à la forme documentaire ?

SL : À chaque fois, c’est la première question que je pose : « Pourquoi faire ce film en animation ? » Généralement, c’est parce qu’on est sur des représentations mentales, sur l’imaginaire d’une situation plutôt que sur la situation elle-même. They Shot the Piano Player, permet à Javier Mariscal d’être non-réaliste, et de donner un sens à ce non-réalisme par rapport à une interprétation de la musique ou à une vision de l’histoire. On ne se situe pas dans une simple transposition documentaire. Les lieux, par exemple, ont d’abord été très précisément reconstitués, puis « interprétés ». On s’appuie donc sur un caractère documentaire très précis, et on y apporte une vision qui déréalise et nous emmène du côté de l’imaginaire. C’est la puissance du dessin, plus que le jeu des acteurs, qui devient évocatrice. En une image, vous racontez beaucoup et surtout vous ne sollicitez pas l’imaginaire de la même façon que la fiction.

 

They Shot the Piano Player

They Shot the Piano Player
They Shot the Piano Player Dulac

Réalisation : Fernando Trueba et Javier Mariscal
Scénario :  Fernando Trueba
Direction artistique : Javier Mariscal
Production déléguée : Fernando Trueba Pc Sa
Coproduction : They Shot The Piano Player Aie, Les Films D’ici Méditerranée, Submarine Sublime, Animanostra, Gao Shan Pictures, Julian Piker & Fermin Sl, Arte France Cinéma
Production associée : Gao Shan Pictures
Studios d’animation : Studio Mariscal, Submarine Sublime, Animanostra, Gao Shan, Shan Too, Les Fées Spéciales
Distribution : Dulac distribution
Sortie en salle : 31 janvier 2024

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