Vincent Maël Cardona : « Avec Les Magnétiques, j’ai voulu célébrer le crépuscule du monde analogique »

Vincent Maël Cardona : « Avec Les Magnétiques, j’ai voulu célébrer le crépuscule du monde analogique »

16 novembre 2021
Cinéma
Timothée Robart tient le rôle principal dans
Timothée Robart tient le rôle principal dans "Les Magnétiques" de Vincent Maël Cardona Paname Distribution - Celine Nieszawer
Pour son premier long métrage, Vincent Maël Cardona met en scène un récit initiatique vécu par un ado passionné de radio dans la France du début des années 80. Le cinéaste raconte au CNC comment il a travaillé pour représenter cette période à l’écran, à l’image comme au son.

Pourquoi avoir choisi de situer l’action de votre premier long métrage dans les années 80 ?

Le projet est né d’un sentiment d’éloignement entre mon ressenti du monde actuel et celui de ma petite enfance. Je suis donc parti sur une idée de reconstitution, non pas d’une époque, mais de sensations de mes souvenirs de cette époque. Les souvenirs d’un oncle qui me porte dans ses bras, d’une manière de parler de mes cousins, de cette campagne d’où je viens. Du monde d’avant. Du monde analogique. À travers un récit initiatique, j’avais envie de célébrer le crépuscule du monde d’avant l’arrivée du numérique. J’ai commencé à y travailler en sortant de la Fémis, porté par mon court métrage Coucou-les-nuages qui avait été primé à Cannes en 2010. Et j’ai demandé à des amis scénaristes, tous nés comme moi au tout début des années 80, de se joindre à l’écriture : Romain Compingt, Chloé Larouchi, Maël Le Garrec, Catherine Paillé et Rose Philippon. Mais ça a pris du temps, beaucoup de temps.

C’est aussi pour symboliser concrètement ce passage du physique au numérique que vous avez choisi de situer une large partie de votre action dans l’univers des radios pirates ?

Je voulais en effet saisir ce moment historique du début des années 80 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir qui correspond à un moment singulier dans l’histoire de la radio. Ça venait télescoper mon envie de départ que ce film soit en lui-même une espèce d’émission, de bouteille à la mer avec cette idée de parler dans un micro sans savoir si quelqu’un vous entend. C’est ainsi que j’ai construit mon personnage principal, Philippe. Et j’y vois aussi un écho fort avec le geste d’un premier film. 

Cette idée donne naissance à une scène virtuose, autre bouteille à la mer lancée par votre jeune héros à celle qu’il aime en faisant une performance sonore à la radio de l’armée où il effectue son service militaire. Comment l’avez-vous conçue ?

Dans le scénario, ce que Philippe faisait avec ces machines dans cette scène-là n’était pas détaillé. J’avais évidemment une idée précise de l’effet que ça devait générer mais il a fallu le fabriquer de toutes pièces. Et rien n’aurait été possible sans Samuel Aïchoun, le mixeur du film et Pierre Bariaud, son monteur son. Comme j’étais inquiet de notre capacité à donner vie à ce moment, j’ai commencé à le travailler au tout début de la préparation avec Pierre et Sam et tout le matériel qu’on avait pu accumuler dans la cave de mes producteurs. Pendant toute cette phase, on a inventé plein de gestes, plein de petites manies… en piquant évidemment des choses à plusieurs artistes, bruitistes, performers, compositeurs dont le fameux Pendulum Music où Steve Reich faisait se balancer des micros au-dessus des enceintes pour générer du larsen. Puis on est parti de cette chorégraphie et de la bande-son qu’on a générée pour découper la scène et aller chercher ces plans-là en une journée sur le plateau avant de directement les monter sur la bande-son. 

Replonger dans les années 80, c’est aussi reconstituer à l’écran cette période. Comment avez-vous travaillé pour que ce travail de reconstitution n’étouffe jamais le récit ?

C’était un écueil qu’on avait identifié dès le départ. On a apporté énormément de soin à ne pas tomber dans une forme de facticité de l’époque. D’abord en portant une attention à ce qu’était profondément la sensibilité de ces années-là, sur la base de documentation, d’archives, mais aussi en s’appuyant sur les films de Maurice Pialat et ceux de Raymond Depardon. On a fait très attention à ce qui nous semblait constituer l’univers sensible de l’époque : la manière de parler, un certain type de lumière… On a pour cela utilisé énormément de sources présentes dans le plan comme les phares, les réverbères… Ensuite on a tenu à rester proche de l’ordinaire. Ne pas se laisser emporter par une sorte d’enthousiasme de la reconstitution, mais retourner systématiquement aux photos de famille, aux photos de classe, à la « petite archive ». Cela colle parfaitement avec le milieu rural dans lequel s’inscrit le récit. Mes personnages ne sont pas des héros des années 80 mais des gens ordinaires.

Une époque, c’est aussi une bande-son. Est-ce que les chansons qu’on entend dans le film étaient déjà présentes à l’écriture et pourquoi avoir choisi cette ambiance rock/punk ?

Ces chansons étaient là, car elles constituaient un élément fondamental de ce projet. On avait d’ailleurs prévu une enveloppe spécifique dans notre budget pour en payer les droits. Ces morceaux étaient des passerelles privilégiées par rapport à notre volonté de faire ressentir de manière sensorielle cette époque. Et on a choisi certaines chansons qui ne sont pas forcément celles qui viennent spontanément en tête quand on parle des années 80 ! Elles décrivent l’avant-garde de la jeunesse de l’époque, cette petite partie qui avait ressenti des impasses, une problématique qui allait s’affirmer au fur et à mesure des années et qui apparaît aujourd’hui comme une évidence.

C’est tout sauf un hasard si on commence Les Magnétiques avec Joy Division, car Ian Curtis, mort au tout début des années 80, a imposé un son, une voix et un cri comme une vision prophétique de l’enjeu de notre temps : un rapport au futur, une remise en question de ce futur comme lieu de résolution des problèmes du moment et la nécessité de réinvestir le présent.

Cette idée-là s’exprime dans la rupture avec la musique des années 70, portée par une certaine partie de la vague punk, new wave, cold wave. On a essayé de faire ressortir cette tonalité, témoin d’un désenchantement qui ne confine pas au défaitisme, à la tristesse et à l’incapacité, mais au contraire donne à ressentir une beauté profonde, une rage de vivre, une volonté de s’ancrer dans le présent avec beaucoup de lucidité. 

On peut aussi entendre de la variété française comme Le Premier Pas de Claude-Michel Schönberg…

Ce titre fait en effet partie des chansons dont l’importance est précisément liée à l’écart qu’elle propose par rapport au reste de la BO. Elle donne à entendre ce qui passait sur les radios périphériques à ce moment-là et elle permet de mettre des mots sur ce que mes personnages ressentent au moment où elle surgit dans le film, alors qu’ils sont incapables de les dire.

LES MAGNÉTIQUES

De Vincent Maël Cardona
Scénario : Vincent Maël Cardona, Romain Compingt, Chloé Larouchi, Maël Le Garrec, Catherine Paillé et Rose Philippon
Photographie : Brice Pancot
Musique : David Sztanke
Montage : Flora Volpelière
Production : Easy Tiger, SRAB Films, Port-au-Prince Pictures GmbH, France 2 Cinéma, Elemag Pictures
Distribution : Paname Distribution
Ventes internationales : Indie Sales.