Quatre tournants majeurs dans l’œuvre de Jean-Luc Godard

Quatre tournants majeurs dans l’œuvre de Jean-Luc Godard

14 septembre 2022
Cinéma
« À bout de souffle »
Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo dans « À bout de souffle » de Jean-Luc Godard BELA Production - DR - TCD

Le cinéaste Franco-suisse, figure emblématique de la Nouvelle Vague, s’est éteint à l’âge de 91 ans. Retour sur quatre moments de mutation majeurs d’une œuvre colossale. Quatre films et autant d’instants charnières qui ont, chacun à leur manière, redéfini et réinventé JLG.


À bout de souffle et la naissance de la Nouvelle Vague (1960)

Si Jean-Luc Godard était déjà connu avant de tourner À bout de souffle, grâce à ses courts métrages et, surtout, à son travail critique aux Cahiers du Cinéma, c’est, ce film qui fait de lui le leader de la Nouvelle Vague, aux côtés de son ami François Truffaut. Œuvre de rupture, manifeste esthétique, le film casse les codes du cinéma traditionnel et impose une nouvelle manière de voir, de faire, de penser, de ressentir. La jeunesse française se reconnaît dans le couple moderne formé par Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, et Jean-Luc Godard devient plus qu’un réalisateur acclamé : un chef de file, un maître à penser. Il va alors dévorer les années 1960 en tournant à toute allure : Une femme est une femme (1961), Vivre sa vie (1962), Le Mépris (1963), Bande à part (1964), Alphaville (1965), Pierrot le Fou (1965), Masculin Féminin (1966)... Un mythe naît, moderne et pop : Godard, théoricien génial et impertinent, frondeur et insolent, accompagne ou initie les débats d’une société française en pleine mutation.

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La Chinoise et l’engagement révolutionnaire (1967)

La Chinoise de Jean-Luc Godard @Simar Films

Mai 68 n’aura lieu que dans un an, mais, pour Jean-Luc Godard, la révolution a déjà commencé. Sa révolution, en tout cas. Avec La Chinoise, il entame son grand virage politique, à gauche toute, via ce portrait d’une étudiante de Nanterre qui transforme l’appartement bourgeois de ses parents en cellule de réflexion maoïste. Jean-Luc Godard avait filmé au cours des années 1960 les comédiens les plus populaires de son temps (Bardot, Belmondo), mais il abandonne alors ce cinéma cossu pour militer plus ouvertement, plus frontalement. Au cours des années suivantes, il va se fondre dans le collectif marxiste-révolutionnaire Dziga Vertov (Un film comme les autres, 1968), partir tourner en Palestine (Ici et ailleurs, 1976), comme pour changer d’air et faire oublier un nom devenu très lourd à porter… Le divorce avec le grand public est consommé, symbolisé par Tout va bien, avec Jane Fonda et Yves Montand, en 1972. La fin des années 1970 sera consacrée à des travaux en vidéo, puis à la série France Tour Détour Deux Enfants, détournement d’une commande d’Antenne 2. En dix ans, Godard est devenu un cinéaste de la marge.

 

 

Sauve qui peut (la vie) et le retour au cinéma (1980)

Au début des années 1980, Jean-Luc Godard se réconcilie avec le cinéma « traditionnel » et ce retour est vu par beaucoup comme une renaissance artistique. JLG redevient ce cinéaste dont les films sont vus, discutés, commentés. C’est l’époque de Passion (1982), Prénom Carmen (1983), Je vous salue, Marie (1985), Détective (1985), Nouvelle Vague (1990)… Les stars sont au rendez-vous (Jacques Dutronc, Isabelle Huppert, Nathalie Baye, Michel Piccoli, Johnny Hallyday, Alain Delon…), le public aussi, et les budgets plus confortables que lors de la décennie précédente. Godard redevient également une figure médiatique de premier plan, intervenant régulièrement à la télévision, souvent pour des interviews frôlant le happening. C’est l’époque où les intellectuels s’inquiètent d’une éventuelle et imminente « mort du cinéma », la télévision commerciale semblant menacer le Septième Art, bientôt centenaire. Les formules et traits d’esprit godardiens deviennent parfois plus célèbres que les films eux-mêmes : « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »

 

Histoire(s) du cinéma et le temps de l’histoire (1998)

De 1988 à 1998, Jean-Luc Godard travaille à ses Histoire(s) du cinéma, essai en 8 épisodes, vaste plongée dans l’histoire du XXe siècle et du cinéma lui-même : « une échographie de l’Histoire par le biais du cinéma », explique-t-il alors. La matière même des films de Godard change à nouveau : elle sera désormais constituée en partie de fragments issus d’autres films, de peintures, de livres, d’archives télévisuelles, de bandes d’actualités, comme un immense concassage de l’histoire des images. Les films qui suivront Histoire(s) du cinéma, d’Éloge de l’amour (2001) au Livre d’image (2018) imposeront un peu plus le cinéaste en sphinx du cinéma moderne, ermite mystérieux et de plus en plus inatteignable, exilé dans son fief suisse de Rolle, aux bords du lac Léman. De nouveau marginal, « bricolant » parfois ses films depuis son propre domicile, JLG reste surtout un innovateur farouche, expérimentant avec la 3D (Adieu au langage, 2014), continuant de travailler à réinventer un médium qu’il a fini par personnifier.