« A Plague Tale : Requiem », immersion dans la suite du jeu à succès des Bordelais d’Asobo

« A Plague Tale : Requiem », immersion dans la suite du jeu à succès des Bordelais d’Asobo

27 octobre 2022
Jeu vidéo
Amicia et Hugo essaient dans apprendre plus sur le mystérieux « Ordre» dans ce deuxième opus.
Amicia et Hugo essaient dans apprendre plus sur le mystérieux « Ordre» dans ce deuxième opus. Asobo/Focus Entertainment

Trois ans après A Plague Tale : Innocence, le studio bordelais Asobo rempile avec Requiem. Un deuxième opus plus sombre, qui suit les pérégrinations de la jeune Amicia et de son petit frère Hugo dans la France du XIVe siècle, gangrenée par la peste noire et ses hordes de rongeurs. Kevin Choteau, le game director de la saga, raconte les coulisses de sa fabrication.


Comment avez-vous imaginé A Plague Tale : Requiem, suite directe de son prédécesseur Innocence ?

Tout d’abord, l’idée d’une suite n’était pas évidente. On a écrit A Plague Tale : Innocence en se disant qu’il n’y aurait peut-être pas de lendemain à cette aventure. Quand on a daté la suite, on est vraiment reparti de zéro parce qu’on n’avait rien prévu. (Rires.) Si le premier jeu signait la fin de l’innocence, Requiem est une quête d’avenir. On souhaitait parler de l’espoir d’une vie meilleure pour Amicia et Hugo, celui de la rédemption pour d’autres personnages… On voulait amplifier les contrastes. Pour que cette quête d’espoir existe, avec sa beauté et sa grâce flamboyante, il fallait creuser le côté sombre. On a énormément travaillé les moments de respiration et les moments de ténèbres intenses, où tout est fait pour détruire ce qui anime les personnages afin de voir s’ils vont s’en relever. Au niveau du gameplay, le but était d’offrir davantage de latitude et de liberté aux joueurs et d’être moins punitif. Nous avons pris en compte les retours des joueurs, qui ont trouvé Innocence trop dirigiste dans sa façon d’approcher de manière unique chaque situation.

Après la Guyenne, ancienne province bordelaise, dans A Plague Tale : Innocence, vous déroulez l’action de Requiem sur les rivages de la Méditerranée. Pourquoi avoir choisi ces contrées ensoleillées ?

Il ne se passe que six mois entre les deux opus. On voulait donc quelque chose qui puisse être faisable pour nos personnages. Il fallait que le voyage paraisse crédible en termes de temps de trajet pour l’époque, surtout avec un enfant. Le choix de la Méditerranée est né aussi de la volonté de parler de lieux, de géographie, de végétation que l’on connaissait bien. Beaucoup de membres de l’équipe viennent de cette région, à l’image de notre scénariste originaire de Nice. On désirait parler de l’été : avec ses journées de soleil ardent, la Méditerranée a ce côté extrêmement coloré, un aspect que l’on ne retrouvait pas dans Innocence car le jeu se déroulait en hiver. Cela permettait d’offrir un dépaysement total et de nouveaux paysages : les calanques, la garrigue... La mer nous appelait. Et avoir une île à proximité était plus crédible en Méditerranée qu’au large de l’Aquitaine. 

 

L’île de La Cuna, sur laquelle Amicia et Hugo débarquent, semble influencée par l’esthétique de Midsommar (Ari Aster, 2019)…

Midsommar est un film d’horreur dans la lumière, c’est génial ! Il a été une référence fondatrice pour la structure de l’histoire. La Cuna, c’est Midsommar : cette gloire flamboyante, cette beauté spirituelle qui cache un millefeuille d’horreurs. L’île est à l’image de nos personnages : tout ne va bien qu’en surface. Plus on l’explore en profondeur, plus elle devient ignoble. Cela nous a poussés à nous intéresser aux rituels païens, surtout ceux des pays du Nord et de l’Est. La Cuna est un vestige du passé, mais comme face à une fresque ou une statue, chacun peut en avoir une interprétation différente en fonction de son histoire ou de ses références personnelles. 

Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre fantastique et fidélité historique ?

Un des points fondateurs d’A Plague Tale est la quête d’authenticité, dans le monde comme dans les personnages. Le seul cas où l’on se réserve de la fantaisie et du fantastique, c’est pour les rats. Le monde doit paraître crédible et le plus authentique possible du point de vue de la reconstitution. On a travaillé avec l’historienne Roxane Chilà qui a « fact-checké » la cohérence et la crédibilité du récit. Un vrai jeu de ping-pong. On lui proposait des idées et elle nous répondait en nous apportant davantage de détails ou des petites histoires pour étayer le scénario, comme celle du camp de pèlerins par exemple. On voulait incarner dans ce cinquième chapitre un retour à la lumière après la noirceur des quatre premiers. Roxane Chilà nous a alors parlé de ces pèlerinages pendant l’année sainte de 1350. Les gens se rendaient à Rome, malgré la peste noire. 

Les rats sont légion dans A Plague Tale : Requiem Asobo/Focus Entertainment

Pourquoi représenter la peste à travers une horde de rats qui emporte tout sur son passage ?

Incarner une maladie n’est pas évident. Dans de nombreuses références très modernes, la peste est représentée avec des messages d’alerte sur de grands écrans. On a commencé par des miasmes et des volutes de fumée, mais cela donnait un ton trop fantastique à notre monde, en plus d’offrir une sorte de « méta-conscience » à la peste. On aimait le côté sauvage des rats qui se propagent arbitrairement pour dévorer tout ce qu’ils trouvent.  Les rats sont l’incarnation populaire de la peste, ils la représentent dans beaucoup de gravures ou de peintures. Mais adopter cette idée, c’était aussi relever un défi technique, parce qu’une infection qui se répand, c’est absolu. Cela nous imposait donc de modéliser des milliers de rats à l’écran pour en faire une masse impossible à arrêter. 

Outre les influences cinématographiques, le jeu semble aussi s’inspirer de la saga The Last of Us dans la mise en scène de la violence et son irruption dans un monde enfantin…

Cette approche nous a énormément touchés dans The Last of Us. Je pense qu’on l’a exacerbée en prenant des protagonistes encore plus jeunes. Le propos nous intéressait, surtout au travers d’Hugo, un enfant de 5 ou 6 ans qui regarde ce monde-là avec une certaine naïveté. La période de la peste nous plaisait car elle était le carrefour de tous les maux et on voulait mettre les enfants, qui sont l’incarnation même de l’innocence, au pire endroit de la Terre. Autant dans Innocence, Amicia se met à tuer malgré elle pour survivre, autant dans Requiem c’est moins clair. Jusqu’où est-elle prête à aller pour parvenir à ses fins ? On voulait aborder l’impact de la violence sur elle et sur son petit frère. Nous avons nourri nos environnements et notre gameplay de manière à faire écho à l’état émotionnel de nos personnages. Nous voulions une résonance jusque dans le pad [la manette, NDLR] du joueur. Lorsque Hugo tue par lui-même, la violence devient la norme. Nous renvoyons à l’idée qu’à force de montrer des choses horribles aux enfants, on en fait des monstres. Il faudrait peut-être apprendre à préserver ce qui leur reste d’innocence.

A Plague Tale : Requiem 

Développeur : Asobo Studio
Éditeur  : Focus Entertainment
Game Director : Kevin Choteau
Scénariste : Sébastien Renard
Compositeur : Olivier Derivière
Le jeu est disponible sur PC, Nintendo Swich, PlayStation 5 et Xbox Series X. Il a été soutenu par le CNC.