Amplitude Studios, la stratégie à la française

Amplitude Studios, la stratégie à la française

17 septembre 2025
Jeu vidéo
« Endless Legend 2 »
« Endless Legend 2 » Amplitude Studios

En moins de quinze ans, le studio parisien Amplitude s’est imposé comme l’un des grands noms du jeu de stratégie, en imposant sa « french touch » au très exigeant genre du 4X. Fondé en 2011, il a séduit des millions de joueurs avec son univers Endless et des créations où profondeur tactique rime avec ambition artistique. Racheté par Sega puis redevenu indépendant, le studio s’apprête à sortir Endless Legend 2 et travaille sur une série d’animation. Portrait de la société avec Romain de Waubert de Genlis, son cofondateur et PDG.


Il y a dans l’histoire d’Amplitude Studios quelque chose qui tient autant du pari insensé que de l’évidence. Fondé en 2011 par Romain de Waubert de Genlis et Mathieu Girard, passés notamment par Ubisoft, le studio parisien s’est imposé en une quinzaine d’années comme l’un des acteurs majeurs du jeu de stratégie. Un genre réputé difficile mais qui captive des millions de joueurs à travers le monde. Dès son premier titre, Endless Space, Amplitude s’inscrit dans le registre du 4X, acronyme qui signifie explore, expand, exploit, exterminate (explorer, étendre, exploiter, exterminer). Autrement dit, des jeux où l’on bâtit un empire, gère des ressources et des territoires, négocie et combat. Une niche dont le studio va faire sa spécialité.

« Nous sommes passionnés par un genre, et c’est grâce à cela que nous nous sommes distingués. Et nous avons tout fait pour être les meilleurs dans notre partie », résume Romain de Waubert de Genlis, aujourd’hui seul à la tête du studio après le départ de Mathieu Girard.

La « french touch » du 4X

Le succès d’Amplitude ne repose pas seulement sur une maîtrise purement mécanique du genre. La patte du studio se situe dans un mélange d’ambition et de profondeur ludique : « Nous avons voulu créer des jeux à la fois très profonds, très artistiques, avec de superbes histoires et images, de belles interfaces, une super musique. Ce qui permet de créer une expérience très forte, très englobante, qui fait que l’on voyage. »

Ce souci esthétique, Romain de Waubert de Genlis le rattache volontiers à une sensibilité française, une forme de french touch appliquée à un genre réputé austère. Là où certains 4X se concentrent sur l’efficacité pure, les titres d’Amplitude misent sur la narration (l’auteur est le même depuis les débuts) et l’univers graphique : « Nos jeux sont des mondes où l’on peut passer des centaines, voire des milliers d’heures. »

Cette ambition n’était pourtant pas destinée à toucher le grand public. Rapidement, au mitan des années 2010, Amplitude surfe sur la vague du numérique et de Steam, qui ont transformé la distribution des jeux vidéo. Plus besoin de miser sur les ventes physiques en magasin, les niches pouvaient devenir rentables en ligne, et parfois même prospérer. Le bouche-à-oreille fonctionne, la communauté se forme, et le succès dépasse tout ce que le studio avait imaginé. « Pour notre premier jeu, Endless Space, on cherchait à en vendre 60 000. Dans nos rêves les plus fous, on en faisait 200 000. Aujourd’hui, presque tous nos jeux ont fait entre 2 et 3 millions de ventes. On est très, très loin de nos rêves les plus fous. »

De l’indépendance au grand large

Cette réussite attire vite l’attention. En 2016, Amplitude est racheté par le géant japonais Sega. L’opération permet de donner corps à l’idée audacieuse de développer Humankind, un rival assumé de la saga Civilization. « C’était un choix stratégique. On aurait pu rester indépendants, mais nous avions besoin d’investissement, de grandir, et de stimulation aussi », résume Romain de Waubert de Genlis.

L’expérience sera contrastée. D’un côté, le soutien de Sega permet à Humankind de voir le jour et d’asseoir la réputation d’Amplitude. De l’autre, la logique d’un grand groupe finit par brider une équipe habituée à l’autonomie. « Ça a commencé à nous manquer. Et avec la crise du jeu vidéo, tout le monde est devenu un peu défensif et a eu tendance à se recentrer sur ses forces. »

En 2024, Amplitude retrouve son indépendance, fort d’une identité affirmée et d’une communauté fidèle. Son rapport aux joueurs est une autre de ses singularités : dès ses débuts, l’équipe met en place un système de cocréation, où la communauté participe aux choix de design et de contenus à travers la plateforme Games2Gether, devenue depuis une entreprise indépendante d’Amplitude. Pas de financement participatif, mais une collaboration créative. « On a voulu réduire la distance entre les joueurs et nous. Et je pense que nos jeux sont forts également grâce à ça. » Cette proximité n’est pas une coquetterie puisqu’elle structure la manière de concevoir les jeux. « Faire une pièce de théâtre sans public, ça n’a aucun sens. On est là vraiment pour faire plaisir aux joueurs. Si notre raison d’être n’est pas de les contenter, alors on n’a pas de raison d’être du tout. »

Parti de sept fondateurs, Amplitude compte aujourd’hui environ 145 employés, épaulés par un réseau actif de fans, dont certains suivent l’univers Endless depuis plus d’une décennie. « On a une Bible énorme de l’univers mais nos joueurs pointent parfois du doigt des incohérences. (Rires.) Ce qui montre la force de la marque et l’implication des fans. D’ailleurs, un tiers de nos deux millions de joueurs inscrits possède tous nos jeux. »

Légende sans fin

Avec Endless Legend 2, prévu pour le 22 septembre, Amplitude reprend le fil de son univers de fantasy. Les joueurs incarneront différentes factions aux personnalités marquées – des endurcis Héritiers de Sheredyn aux harmonieux Aspects –, et affronteront les redoutables Nécrophages en explorant le monde luxuriant de Saiadha. Deux événements de marées rythmeront les parties d’accès anticipé, limitées à environ 90 tours. Le jeu proposera cinq factions et un nombre de tours illimités, laissant libre cours à l’ambition stratégique et narrative. Entre exploration des mystères de la planète, héritages à forger et rivalités à embraser lorsque les océans reculeront, l’expérience promet une richesse sans précédent. Pas étonnant, donc, que Endless Legend 2 suscite déjà une immense attente. Il figure d’ailleurs dans la liste de souhaits de centaines de milliers de joueurs sur Steam, confirmant qu’Amplitude a su frapper une corde sensible.

Sur ce jeu, le studio travaille pour la première fois avec un nouvel éditeur, Hooded Horse, spécialisé dans la stratégie de manière globale « et pas seulement le 4X. Nous nous sommes retrouvés dans la situation très agréable où un éditeur nous propose de prendre le temps qu’il faut pour travailler sur le jeu ». Techniquement, l’équipe continue de développer avec une version customisée du moteur Unity « qui a l’avantage de permettre de faire de très beaux jeux, mais le désavantage d’être un peu unique. Dès qu’il faut adapter le jeu sur une nouvelle console, c’est plus coûteux, plus compliqué. Voilà pourquoi il est tellement important de nous distinguer dans la partie artistique ».

Un univers qui déborde du jeu vidéo

L’histoire ne s’arrête pas là, car l’univers Endless prépare son expansion hors du jeu vidéo. Une série d’animation est en développement avec le studio Passion Paris, preuve qu’Amplitude croit au potentiel transmédia de ses créations. « Depuis toujours, nos joueurs nous le demandent et le succès des franchises issues du jeu vidéo sur d’autres supports ont fait que de nombreuses sociétés sont venues nous démarcher. Nous en avions envie, mais il fallait trouver des partenaires qui partagent la meilleure compréhension de l’univers et la passion pour le faire vivre autrement. » Même si le projet n’en est encore qu’à ses balbutiements, pas question de faire de l’interventionnisme. « L’idée est plus d’être en support, car nous sommes très conscients que ce n’est pas notre métier. Nous restons à notre place, tout en cherchant évidemment à protéger notre univers. Mais nous ne sommes pas là pour apprendre à Passion Paris à faire des séries ! »

Romain de Waubert de Genlis conserve un regard lucide sur le parcours du studio. Il assure avoir eu « une chance inouïe. Nous avons le luxe de pouvoir nous focaliser sur ce que l’on aime faire et ce que l’on sait faire, et cela pour les années à venir. Quand nous observons ce qui se passe autour de nous, nous avons parfois presque honte d’être aussi chanceux ».

Le jeu a bénéficié du soutien du CNC.