Olivier Derivière, la musique en action

Olivier Derivière, la musique en action

14 novembre 2023
Cinéma
Olivier Derivière - Crédit DR
Olivier Derivière, un touche-à-tout musical DR

Prix d’honneur aux Pégases 2023 pour l’ensemble de son œuvre, le compositeur français s’est fait un nom dans le monde du jeu vidéo en signant notamment les musiques de Streets of Rage 4, A Plague Tale : Innocence ou encore Assassin’s Creed IV. Avec Gueules noires, le premier long métrage de Mathieu Turi, il réalise sa première collaboration musicale pour le cinéma. Portrait d’un artiste au service de tous les univers.


Le Français Olivier Derivière, 44 ans, est l’un des compositeurs de musique de jeux vidéo les plus demandés au monde. Son nom est associé aux jeux Obscure, Assassin Creed IV – Black Flag, The Technomacer, A Plague Tale : Innocence ou Streets of Rage 4, mais aussi depuis peu au septième art avec Gueules noires de Mathieu Turi, sa première incursion musicale dans le cinéma. « Le cinéma m’accompagne depuis ma tendre enfance comme le jeu vidéo », souligne celui qui voue une « admiration » à l’œuvre de Paul Thomas Anderson. « Et ce qui les unit, c’est bien sûr la musique ». 

Le sens du rythme

La musique s'est immiscée très tôt dans la vie d’Olivier Derivière . Son « voyage » personnel débute à Nice quand ses parents l’inscrivent au conservatoire à l’âge de 5 ans. « Très vite, mes professeurs décèlent chez moi un sens du rythme. On m’incite à poursuivre et je me retrouve à suivre des cours de percussion classique. À 12 ans, j’étudie l’harmonie, le contrepoint, l’orchestration... La musique a toujours fait partie de moi. » Et de fait, si Olivier Derivière continue de développer sa fibre musicale, le jeune homme est un vrai gamer. Plutôt que chef d’orchestre ou soliste, il se rêve ingénieur informatique. « À l’époque, on me riait au nez. Les ordinateurs, les consoles n’avaient pas encore envahi notre quotidien... » Avec des copains, il crée un groupe de demo-making [productions informatiques mêlant graphisme, musique et animation – ndlr]. Olivier, on s’en doute, s’occupe de la musique. Un bac scientifique en poche, le jeune homme laisse de côté des études de maths, « je n’étais pas assez bon », et se demande alors comment concilier plus sérieusement sa passion pour le jeu vidéo et la musique.

Quand on écrit pour de la musique de film, on écrit pour des images, pour des situations qui vont émouvoir, provoquer les spectateurs [...] Dans le jeu vidéo, la musique doit être avant tout fonctionnelle, c’est-à-dire répondre à une fonction d’informer, de récompenser, de mettre en avant telle ou telle action, ce qui n’existe pas au cinéma.

Il n’a toutefois pas vraiment le temps de tergiverser car il décroche une bourse pour étudier au prestigieux Berklee College of Music de Boston. Un monde s’ouvre à lui. « Dans le cadre de mes études, on me propose de suivre le Boston Symphony Orchestra. Tous les jours, j’assiste aux répétitions, je vais à tous les concerts et me retrouve face aux plus grands chefs d’orchestre. C’était la meilleure formation possible. » Le célèbre compositeur américain John Williams (Les Dents de la mer, Les Aventuriers de l’arche perdue, Star Wars...) est alors à la direction de l’Orchestre Boston Pops. Il propose à Olivier Derivière, dont il aime la passion et le talent, de la rejoindre à Los Angeles. L’idée de se lancer dans le grand bain hollywoodien excite évidemment le jeune homme. « C’était au début de l’été 2001. Je retourne en France et prépare mon voyage pour la Californie. Le mois de septembre arrive. Le 11, les tours jumelles s’effondrent et mon rêve américain avec. Que faire ? »

 

Olivier Derivière, de retour à Paris, cherche des contacts dans une industrie du jeu vidéo « encore minuscule » dans l’Hexagone. Toutefois, sa formation de musicien couplée à sa grande connaissance de la technologie va très vite le faire remarquer. La société de production Hydravision (ancêtre de Mighty Rocket Studio) lui propose de mettre en musique leur nouveau-né, Obscure, en 2004. Depuis, le musicien ne cesse de voyager dans les univers infinis du jeu vidéo avec l’ambition d’en révéler, par sa musique, la complexité et la richesse. « L’appellation “jeu vidéo” est en soi réductrice. Si la notion de jeu est bien sûr très importante, je préfère utiliser le terme d’expérience. Ma musique est tout entière au service de cette expérience. La musique du jeu vidéo n’est plus prisonnière d’un environnement hermétique où l’ordinateur adaptait lui-même les sons en fonction du déroulé d’une partie, elle s’est libérée de ces contraintes... »

Du jeu vidéo au cinéma

Il y a peu, Olivier Derivière s’est donc frotté à un autre monde exigeant : celui du grand écran. C’est le réalisateur Mathieu Turi lui-même qui le contacte pour lui proposer de composer la musique de son prochain film Gueules noires [en salles le 15 novembre – ndlr]. « Avec Mathieu Turi, nous nous sommes rendu compte que nous partagions les mêmes références cinématographiques et musicales. La musique au cinéma, c’est d'abord un rapport de sensibilité entre les réalisateurs et les compositeurs ». Pour cette entrée dans le monde du septième art, le compositeur est invité sur le tournage du film dans une mine du Nord de la France afin de s’imprégner au mieux de l’histoire et des envies du cinéaste. « Le premier défi en tant que compositeur est de trouver une partition originale. Ensuite sur Gueules noires, le véritable enjeu a été de trouver la place de la musique, c’est-à-dire de réfléchir aux moments où elle va prendre son rôle, comment elle va être exploitée dans le film par rapport aux dialogues, à l’action, au sound design, mais aussi au temps du film et au montage. »

 

Olivier Derivière a composé sa partition en parallèle du montage faisant appel aux membres de l’Ensemble intercontemporain de Paris, de « véritables explorateurs de sons et d’instruments » avec qui il collaborait déjà sur certains projets de jeux vidéo. « Avec Eric-Maria Couturier, le violoncelliste, nous nous sommes donc retrouvés sur ce projet. Nous avons mis environ 9 heures pour trouver 15 secondes de musique. » Un travail de longue haleine fait de recherche et d’expérimentation pour donner naissance à une musique qui ne soit pas seulement une illustration du scénario ou des émotions des personnages mais bien un élément à part entière de l’histoire du film. « Le fil du film suit le fil de la musique et inversement », souligne Olivier Derivière. S’inspirant notamment de la musique expérimentale de Jonny Greenwood derrière la BO de There Will Be Blood, Olivier Derivière a souhaité une musique « qui vienne des tripes » pour accompagner le récit de Gueules noires sur le quotidien d’une bande de mineurs du Nord de la France dans les années 1950. « Le film se déroule dans une promiscuité absolue. L’intention était de créer une palette sonore qui joue sur la proximité des sons, sur le côté presque claustrophobique de la mine ». La musique a été composée au violoncelle et à la contrebasse auxquelles ont été ajoutées des percussions. « Ensuite, Jérôme Devoise, l’’ingénieur du son, a mixé les sons de sorte à faire ressentir toute la granularité de la musique ».

Musique de film ou de jeu : les différences

« La musique reste de la musique, mais ce qui change c’est l’état d’esprit dans lequel nous sommes plongés. Quand on écrit pour de la musique de film, on écrit pour des images, pour des situations qui vont émouvoir, provoquer sans action des spectateurs puisqu’ils sont passifs devant le film. On se concentre donc sur le caractère illustratif et émotionnel de la musique, explique Olivier Derivière. En revanche, le jeu vidéo requiert un état d’esprit proactif puisque le joueur participe à l’action. Dans le jeu vidéo, la musique peut être illustrative, évocative comme au cinéma mais elle doit être avant tout fonctionnelle, c’est-à-dire répondre à une fonction d’informer, de récompenser, de mettre en avant telle ou telle action, ce qui n’existe pas au cinéma », rappelle le compositeur. Autre différence notable : le temps de travail. « Une musique de film c’est 4 à 5 mois de travail ; une musique de jeu vidéo 1 à 3 ans ». Développeurs et musiciens planchent en effet de longs mois pour trouver la formule adéquate entre récit, gameplay et musique. « Un jeu vidéo ne se fabrique pas comme un film puisqu’il s’agit d’abord d’un gameplay, ce qui fait qu’avant de travailler la narration, il faut s’assurer que les règles de jeu fonctionnent. En tant que musicien, notre rôle est d’articuler la musique autour de ces règles de jeu ».

Dans le jeu vidéo comme au cinéma, Olivier Derivière souligne qu’il ne « parle jamais musique » avec un réalisateur mais de « l’intention » que ce dernier souhaite transmettre. « Mathieu Turi a eu la gentillesse de me laisser venir avec mes idées parce qu’il a compris justement que je ne fonctionnais pas avec le fait de copier une référence. Je ne souhaite pas ressasser ma propre musique ni celles des autres, mais trouver une partition unique qui donne l’identité du film ou du jeu en question ».

gueules noires

Affiche de "Gueules noires" Alba Films
Réalisation et scénario : Mathieu Turi
Production : Fulltime Studio et Marcel Films
Avec Samuel Le Bihan, Amir El Kacem, Jean-Hugues Anglade...
Distribution : Alba Films
Ventes internationales : Kinology