Dora Moutot : « Ma maladie a été mon université »

Dora Moutot : « Ma maladie a été mon université »

25 novembre 2020
Séries et TV
Dora Moutot dans Comment j'ai hacké mes intestins
Dora Moutot dans Comment j'ai hacké mes intestins Effervescence Doc en coproduction avec l'Atelier de l'Audiovisuel Public - ARTE France - France Médias Monde - France Télévisions - TV5MONDE - INA - Radio France
Dans la websérie documentaire Comment j’ai hacké mes intestins, disponible sur Arte, France.tv slash et TV5 Monde, Dora Moutot explore les différentes thérapies pouvant l’aider à traiter la maladie rare des intestins dont elle souffre depuis une dizaine d’années. Rencontre avec cette journaliste, blogueuse et auteure au parcours atypique.

Quel est l’élément déclencheur du projet Comment j’ai hacké mes intestins ?

J’ai écrit un premier livre, A Fleur de pet [Editions Tredaniel La Maisnie, NDLR], sur la maladie intestinale dont je souffre et plus particulièrement sur le SIBO [small intestinal bacterial overgrowth, une « maladie du microbiote », NDLR]. J’évoquais dans le dernier chapitre mes espoirs pour rétablir ce microbiote. C’est à partir de là que j’ai eu l’idée de proposer un documentaire à une société de production et de créer en même temps un compte Instagram. Je me suis dit que si mon projet ne se vendait pas, j’aurais au moins le compte sur les réseaux sociaux.

Pourquoi avoir traité ce sujet en documentaire et pas à travers un deuxième livre ?

Les choses étaient expliquées dans le livre mais d’une manière assez théorique. Je n’avais pas rencontré tous ces médecins mais j’avais lu leurs études. Pour Comment j’ai hacké mes intestins, je voulais quelque chose de plus animé et de plus accessible également. Je me suis en effet rendu compte que beaucoup de personnes ne lisent pas, surtout lorsqu’il s’agit de sciences, nutrition ou maladies. La websérie documentaire était donc une autre manière de communiquer avec cette frange de la population.

Comment j’ai hacké mes intestins se compose de 6 épisodes d’une dizaine de minutes chacun. Pourquoi un tel format web et court ?

Je viens du web : j’ai été rédactrice en chef adjointe de Konbini, j’ai toujours eu des sites et des blogs, j’ai un autre compte Instagram qui s’appelle « T’as joui ? »... J’ai toujours fait des contenus pour internet, j’ai donc une certaine expertise dans ce domaine même si en présentant le projet au producteur j’étais ouverte à différents formats (la télévision, le web, même le cinéma). Il y a ensuite eu cet appel d’offres de l'Atelier de l'Audiovisuel Public (Arte France, France Médias Monde, France Télévisions, Ina, Radio France, TV5 Monde) que nous avons remporté. Je pense que nous avons été sélectionnés en partie parce que j’ai une présence sur internet et une capacité à raconter des histoires pour ce medium.

Est-ce pour rester dans la lignée de ce que vous faites sur internet que vous avez choisi, dans certaines séquences, de vous filmer vous-même avec votre smartphone ?

Oui mais il fallait également répondre à l’appel à projets qui était centré sur la thématique « Ma vie sur internet ». J’avais déjà raconté mon pitch sur des groupes Facebook qui m’ont beaucoup aidée dans mon parcours de malade et je me filmais aussi beaucoup sur mon compte Instagram personnel pour parler de mes problèmes de santé ou d’autres sujets. J’ai donc repris ce modèle qui était parfois plus agréable pour moi que de me faire filmer par une équipe de télévision.

Ces séquences donnent également un côté « journal intime » à votre documentaire.

Certains documentaires scientifiques restent inaccessibles à une partie de la population, les spectateurs ayant l’impression qu’ils ne comprendront pas s’ils n’ont pas un certain niveau. Mais ils auront moins peur de regarder lorsque la maladie est expliquée via l’expérience d’une autre personne. Il était donc important pour moi d’incarner ce documentaire. C’était aussi une manière de « détabouiser » une maladie intestinale qui n’est pas très glamour et de réexpliquer les propos de scientifiques qui ne savent pas toujours vulgariser.

Votre statut de patiente a-t-il posé un problème de légitimité médicale ?

Oui et non. Je suis malade depuis dix ans mais je suis aussi journaliste. J’ai lu un nombre de livres et d’études record sur le microbiote, la nutrition, le fonctionnement des cellules... Je me rends aussi souvent qu’un professionnel dans une librairie médicale. Ma maladie a été mon université. J’ai accumulé beaucoup de connaissances, peut-être davantage qu’un médecin qui connaît de nombreuses pathologies mais pas toujours l’une d’entre elles dans le détail. Lorsqu’on est malade, on peut devenir obsessionnel pour s’en sortir. On n’accepte pas, et c’est mon cas, le fait de subir toute sa vie. Mon premier livre a été très bien accueilli par les médecins parce que j’avais justement fait un important travail de documentation. Il était difficile de me contrer. Beaucoup de médecins le recommandent, même certains professeurs d’université. Ce qui m’a permis de me sentir légitime et de faire ce documentaire dans lequel je ne fais que répéter ce que disent les scientifiques.

Sur votre compte « T’as joui ? », vous évoquez un autre tabou que la maladie intestinale : la sexualité féminine. Vous parlez de ces sujets car vous souhaitez partager vos questionnements ou parce qu’il est temps qu’ils ne soient plus tabous ?

Les deux. Je me suis beaucoup questionnée sur ma maladie mais également, à partir de l’âge de 30 ans, sur l’hypersexualisation des femmes qui me mettait mal à l’aise. J’avais l’impression que toutes les femmes se racontaient un monde où elles adoraient le sexe. Mais en posant des questions personnelles, je me suis rendu compte que beaucoup d’entre elles n’étaient en fait pas heureuses avec leur sexualité. Quand j’ai créé ce compte « T’as joui ? », il a rencontré un succès fulgurant, presque fou. Lancé un midi en août, il était suivi le soir-même par plus de 5 000 personnes. Je crois qu’il répondait à un besoin. Et ces tabous, que j’aime aborder, n’ont pas lieu d’être pour moi.

Ce non-conformisme reflète votre parcours. Vous n’avez pas eu le bac mais avez malgré tout décroché un master et avez même enseigné à la Sorbonne…

J’ai eu une scolarité difficile. Je suis très autodidacte et je ne supportais pas l’autorité ce qui a été un gros problème pour mes études. Lorsqu’on me disait de lire tel livre ou de répondre de telle manière à un contrôle, je faisais du hors-sujet. J’ai eu des problèmes de dépression dans mon adolescence et des difficultés qui m’ont empêchée d’avoir une scolarité normale. Sans le bac, les choses étaient compliquées en France. Mais je dessinais beaucoup et j’ai pu passer les concours pour entrer à la Central Saint Martins - University of the Arts de Londres. Ils ne m’ont jamais demandé mon bac même pour me donner mon diplôme. Je ne sais pas s’il s’agit d’une erreur ou si le bac ne les intéressait pas… J’ai donc obtenu un bachelor puis un master.

Vous êtes passée ensuite du stylisme au journalisme. L’envie d’écrire a-t-elle toujours été présente en vous ?

J’ai toujours eu envie d’écrire. J’ai fait mes premières armes avec un blog lorsque je travaillais dans la mode. Il était suivi par plus de 40 000 followers sur Facebook et était plus ou moins connu de la sphère fashion et de la presse féminine. J’ai par ailleurs beaucoup écrit pour le magazine Vice britannique et j’ai fait des stages. Je suis rentrée dans le monde du journalisme plus classique grâce au concours du « Monde Académie ». Le quotidien sélectionnait ainsi de jeunes journalistes et leur permettait de piger pendant un an tout en bénéficiant d’un tutorat. J’ai ainsi été accompagnée par Florence Aubenas et cette expérience m’a appris à écrire de façon plus conventionnelle. C’était également une belle carte à mettre sur mon CV. J’ai ensuite été chroniqueuse sur France 2 et j’ai essayé de vendre un premier projet de série documentaire sans succès. Mais ça m’a permis de rencontrer des personnes de Konbini. Je suis ainsi devenue journaliste grâce à plusieurs concours de circonstances. Lors de ma scolarité, j’ai vraiment eu l’impression que les consignes qu’on me donnait ne faisaient pas sens d’un point de vue personnel. Il faut que j’arrive à agripper les choses intimement pour arriver à apprendre. J’ai toujours fonctionné ainsi. J’ai vraiment le sentiment qu’avec du temps et de la volonté on peut tout faire.

Comment j’ai hacké mes intestins a été soutenu par le CNC.