Les Sauvages : la création d’une ambitieuse série politique française

Les Sauvages : la création d’une ambitieuse série politique française

23 septembre 2019
Séries et TV
Les Sauvages
Les Sauvages David Koskas - CPB Films - Scarlett Production - Canal +
L'auteur des romans originaux, Sabri Louatah, et sa co-créatrice, Rebecca Zlotowski, nous racontent leur collaboration et la transposition pour Canal + de ce grand thriller politique.

Canal + diffuse à partir du 23 septembre Les Sauvages : cette mini-série politique ambitieuse en 6 épisodes, à la fois thriller et drame familial déchirant, a été co-écrite par Sabri Louatah, auteur du roman original (en 4 tomes) et Rebecca Zlotowski (réalisatrice de Grand Central et Une Fille Facile). Une adaptation qui n'était pas du tout une évidence pour le créateur de cette grande saga : « Quand j'ai publié le premier tome, il y a une dizaine d'années, je n'avais pas ça en tête. C'est Marco Cherqui qui, après avoir lu les deux premiers tomes, s'est dit qu'on devrait en parler à Canal + », confie Sabri Louatah. « Il y a eu un moment de battement, j'écrivais les deux tomes suivants en réfléchissant déjà à une adaptation, mais c'était difficile : adapter un roman, ça a des bons côtés, l'histoire et les personnages ont une qualité organique, ils ont déjà vécu sur le papier, mais ce n’est pas forcément un gain de temps, surtout quand il s'agit d’aborder - comme dans Les Sauvages - des questions d’une actualité littéralement brûlante. J'écrivais le tome 4 quand ont eu lieu les horribles attentats de 2015, et à ce moment-là, on a failli tout arrêter. Le projet a vraiment décollé avec ma rencontre avec Rebecca en 2017. Sans cette rencontre et l’opiniâtreté des producteurs et de Canal, il n’y aurait pas eu de série. »

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Justement, Rebecca Zlotowski se souvient avoir lu Les Sauvages, au moment où elle discutait déjà d'une possible adaptation : « Je l'ai lu avec l'idée que j'allais l'adapter pour la série, en sachant que j'allais y mettre les mains. Donc c'était déjà une lecture un peu technique. J’ai lu les quatre tomes d'une traite, comme un outil de travail, mais aussi comme un récit français passionnant. »

La cinéaste raconte ensuite être « arrivée assez tard sur le projet, un peu comme une outsider » mais avoir rapidement fait quelques remarques, pour permettre la réussite de la transposition du roman à l'écran : « Je trouvais que le méchant n'était pas assez incarné dans le livre et que cela allait poser un problème pour le casting et pour la série. Donc on a eu l'idée, en en discutant, de le mettre en prison, ce qui n'est pas le cas dans le roman. Après, il y a des choses que le romancier peut écrire dans son livre, mais qui sont difficiles à convertir à l'écran, où il faut d'abord montrer et pas raconter... » Il faut dire que l'écrivain n'est pas « scénariste de souche », selon ses propres mots. « Mais j’ai toujours rêvé d’écrire une série... Je suis d’une génération qui a eu 20 ans au moment de l’âge d'or des séries américaines : Les Soprano, Mad Men, Lost... C'était à la télé qu'on trouvait les grands romans pour nous former, nous apprendre ce que c'était que la société, l'ambition, l'amour, la nature humaine. Il n’a jamais été question de procéder autrement que de faire l’adaptation moi-même. Les deux écritures se complètent : en tant que romancier, je suis proche d’une narration de feuilleton, en tant que scénariste je cherche toujours le souffle romanesque. La rencontre avec Rebecca a été déterminante et on s'est merveilleusement entendus. J'ai énormément appris à son contact. »

Une collaboration efficace, qui a également enthousiasmé la réalisatrice. D'abord parce que « Sabri, c'est quelqu'un de très brillant. Il était encore tout jeune quand il a écrit son best-seller en 4 tomes, tellement ambitieux, alors qu'il venait du milieu prolétaire de Saint-Étienne ! Chez lui, il y a donc déjà cette personnalité hors normes. Et puis personnellement, c'est la première fois que je travaillais avec un romancier et la première fois que j'adaptais un roman. Du coup, j'ai travaillé avec lui comme avec un co-scénariste. Lui est arrivé avec des arguments d'autorité évidents, puisque c'est lui qui avait écrit le texte à la base. Moi, je me suis approprié son roman et on a fait des allers-retours comme ça. Mais c'est lui qui a beaucoup écrit. Il sentait que c'était lui qui devait tenir la plume. »

Le casting du premier président kabyle de la fiction française

Les Sauvages n'est pas une série comme les autres. Elle place au palais de l'Elysée le premier président d'origine kabyle. Le Président Chaouch est, d’après Sabri Louatah, « directement inspiré d'Obama, comme je le dis souvent, même si ce n’est pas tout à fait vrai. Il est inspiré du personnage de fiction qui a, dit-on, favorisé l’élection d’Obama : le démocrate Matt Santos dans la septième et dernière saison de The West Wing. Contrairement à Rebecca, je ne suis pas ultra fan de la série, mais ce personnage-là m'a intéressé, c'est un optimiste invétéré, charismatique et sans prises pour les boules puantes de l'adversaire, sans cadavres dans le placard. C'était fondamental que le premier président français d’origine arabe dans la fiction française soit un personnage de conte, plus grand que nature, un vrai héros positif, même s'il doute après l'attentat. »

Un personnage qu'il n'a pas été difficile de caster, pour de mauvaises raisons, rappelle de son côté Rebecca Zlotowski : « Il était très évident pour moi qu'il fallait que ce soit Roschdy Zem. Il y a un parcours qui se fait, qui est presque de l'ordre du problème politique de casting en France : si l'on cherche un acteur, qui est d'origine maghrébine, qui puisse incarner la stature, le charisme d'un président de la République, d'un intellectuel, d'un économiste, on a très peu le choix. Des acteurs rassembleurs, bankables, et qui ont cet âge d'une cinquantaine d'années, ils sont deux ou trois en France ! Et ça en dit long sur la représentation des acteurs arabes en France. »

La série de Canal + a justement quelque chose d'une prise de parole, pour faire émerger des voix jamais entendues dans la fiction française. « Plus encore que le roman », insiste l'écrivain. « Parce que le casting génial effectué par Rebecca et Judith Challier permet de faire coexister des grands acteurs confirmés et une génération d’acteurs arabes formidablement doués, qu'on va voir partout. Les acteurs se sont emparés de leurs rôles d’une façon personnelle, ils ont créé leurs personnages et l'histoire qu'on raconte, ils la racontent aussi avec leurs voix et leurs corps. »

Pas de message à faire passer

D'ailleurs, Rebecca Zlotowski reconnaît volontiers que, ce qui l'a surtout intéressée dans la saga littéraire, « c'est l'intelligence du récit national. Il y a une intelligence politique. Une situation politique crédible, avec des personnages contemporains, tout en restant une fiction de genre, enterrée dans un soap familial », raconte la réalisatrice. « Il y a une volonté de prise de conscience politique dans Les Sauvages, par rapport à l'impossibilité qu'a la France, et les Français, de regarder en face leur multiculturalisme. Il existe un problème avec les anciennes colonies françaises et la décolonisation qui n'a pas été expié. Pour le dire simplement, Les Sauvages c'est une famille qui se divise, à l'image d'un pays qui se divise. » Reste que Sabri Louatah assure que dans son histoire, il n'y a pas vraiment de message à faire passer : « Les personnages sont écartelés comme nous sur ces sujets difficiles, comme tout ce qui a trait à l'identité. Nous nous posons plus de questions que nous n'apportons de réponses, mais la série constate que nous traversons, en tant que peuple, une crise d'identité, sans doute liée à notre incapacité à nous concevoir comme le pays multiculturel que nous sommes. D'où l’urgence d’actualiser le « roman national », c'est-à-dire le miroir que nous nous tendons à nous-mêmes, et qui montre enfin les Français tels qu’ils sont aujourd’hui, divers dans leurs origines ethniques, leurs religions, leurs sexualités. »

Les Sauvages -  6 épisodes – à voir sur Canal + à partir du lundi 23 septembre 2019.