Réinventer l’espionnage en animation : dans les coulisses de « Splinter Cell : Deathwatch »

Réinventer l’espionnage en animation : dans les coulisses de « Splinter Cell : Deathwatch »

20 octobre 2025
Séries et TV
« Splinter Cell : Deathwatch »
« Splinter Cell : Deathwatch » créée par Derek Kolstad Netflix

La série d’animation Splinter Cell : Deathwatch, visible sur Netflix, est l’adaptation du célèbre jeu vidéo d’infiltration d’Ubisoft. Le producteur Hugo Revon (Ubisoft Film & Television) et le coréalisateur Guillaume Dousse (FOST Studio) reviennent sur la genèse de ce projet ambitieux, entre hommage au personnage de Sam Fisher et réinvention des codes de l’espionnage. 


Un film Splinter Cell en prises de vues réelles a longtemps été en projet. Pourquoi avoir finalement choisi le format de la série d’animation ?

Hugo Revon : Nous trouvions le cadre d’un film trop restrictif et trop contraignant. Il y a tout de même beaucoup d’objectifs dans le projet : réinstaller le personnage de Sam Fisher et son univers, tout en posant une intrigue géopolitique avec des enjeux adultes. La série d’animation s’est donc un peu imposée à nous. Nous y avons vu une opportunité d’aller sur un terrain de jeu différent, en sachant par ailleurs que nous possédons cet avantage énorme en France de disposer d’un vivier de talents assez fou. Et puis, quelque part, il y avait aussi cette envie de se réapproprier et de réinventer un peu les codes de l’espionnage, parce que le fait de devoir les transposer en animation invite à se poser de nombreuses questions et à passer outre des choses que nous avons l’habitude de faire en live. C’était pour nous un exercice intéressant.

Comment le studio FOST est-il arrivé dans l’équation ?

Guillaume Dousse : J’ai cofondé un studio qui s’appelle Sun Creature, au Danemark, et qui a ensuite ouvert une branche en France. J’en suis parti il y a un peu plus d’un an, mais nous avions déjà une relation naissante avec Netflix, qui nous a présentés aux équipes d’Ubisoft, dont Hugo, en nous disant que nous avions peut-être des choses à faire ensemble. Les équipes de Netflix avaient raison. (Rires.) Nous nous sommes lancés dans un premier développement visuel : il fallait trouver une esthétique à la série, avant même qu’elle ait un réalisateur, et il n’était pas encore question que ce soit moi. Nous voulions poser des jalons sur la base de ce qu’avait écrit Derek [Kolstad, scénariste]. Une première phase de développement littéraire avait été rédigée et il s’agissait de définir les codes cinématographiques de la série, son esthétique, ses références. Cela a pris trois ou quatre mois, avec de nombreux concept arts. Et c’est à partir de là que Hugo m’a proposé la réalisation.

Splinter Cell
« Splinter Cell : Deathwatch » créée par Derek Kolstad Netflix

Quelles étaient les premières intuitions visuelles ?

GD : Dans le travail de Derek, certaines intentions étaient déjà très clairement évoquées, de la saga Bourne à Mission : Impossible, en passant par James Bond. Nous voulions produire une série mature, visionnable par tout le monde, et pas seulement les férus d’animation ou de jeu vidéo. À partir de ce constat, je me suis demandé quelles étaient les références qui me parlaient et qui, selon moi, se prêteraient bien à la marque. Ça s’est fait principalement en me replongeant dans les jeux. Quelque chose m’avait marqué à l’époque et je l’ai de nouveau remarqué par la suite : si le premier jeu a marché, ce n’est pas uniquement parce qu’il était très bon, mais aussi parce qu’il y avait toute une mécanique de jeu où le personnage se muait dans l’ombre et la lumière. Il était alors assez innovant que dans l’ombre les ennemis ne vous voient pas, et a contrario qu’ils vous repèrent dans la lumière. Cela contribuait à une direction artistique très sobre, très « cinéma », avec des ombres marquées, des silhouettes de personnages… Une esthétique assez minimaliste qui m’a fait penser notamment à Michael Mann. J’ai toujours été très féru de son cinéma hyper léché, stylisé, et ancré dans une forme d’urbanisme assez réaliste et dur.

Image de Splinter Cell : Deathwatch
Splinter Cell : Deathwatch Netflix

Et puis, sur l’approche de l’animation, je suis fasciné par les films d’animation japonais des années 1990 qui avaient leur propre langage, très cinématographique, sans pour autant se singer entre eux. Ils avaient tous des inspirations très différentes. Akira, par exemple, était particulièrement inspiré par Blade Runner. J’ai senti quil y avait des passerelles de ce genre à imaginer. L’idée n’était pas de singer Satoshi Kon ou qui que ce soit d’autre, mais de repartir de cette logique-là. Se dire : « Quel est le cinéma que j’aime ? Quelles sont les références qui me parlent ? Et sur cette base, comment créer une esthétique autour ? » Tout le choix de la direction artistique s’est concentré sur le fait de me mettre dans la peau d’un directeur de la photographie et d’imaginer ce que j’aimerais si on utilisait des focales comme en prises de vues réelles. Quel type de plan je voudrais ? Quel type de mouvement de caméra, de lumière ?

Dans cette phase de création, Ubisoft joue-t-il le rôle de gardien du temple ? Même si le dernier jeu vidéo Splinter Cell remonte à 2013, et qu’on imagine que cela offre une certaine liberté par rapport à la franchise.

HR : Je ne sais pas si l’expression « gardien du temple » est la bonne. Cependant, comme la franchise n’est pas aussi active que peuvent l’être d’autres chez Ubisoft, il y a peut-être plus de liberté. Mais Splinter Cell reste tout de même une de nos marques assez mythiques. Donc, si nous gagnons sûrement en vélocité en interne, nous nous heurtons toujours au mur des fans et de leur projection sur qui est Sam Ficher et ce que représente Splinter Cell. Il fallait garder à l’esprit en permanence que, pour certains, nous allions jouer avec leur héros d’enfance ou d’adolescence. Tout cela génère un certain nombre de questionnements. Sauf que nous pouvons décider que c’est aussi tout l’intérêt d’un projet comme celui-ci : arriver à se détacher du médium d’origine, faire un pas de côté. Bien entendu, l’idée n’a jamais été d’adapter le jeu tel quel, car selon moi c’est faire fausse route, ou au mieux être redondant. Ce qui m’intéresse, c’est justement que l’on puisse se permettre des choses hyper stylisées qu’il n’y a pas dans le jeu vidéo. Quelque part, cela détache Deathwatch du projet original et en fait une œuvre à part.

GD : Je n’ai jamais eu l’impression qu’Ubisoft nous a mis des barrières pour respecter la licence. Après, beaucoup de choses avaient déjà été établies à l’écriture. Ce qui était important pour moi, c’était de ne pas trahir une forme d’immersion que nous avions dans le jeu, et de trouver des références qui semblaient naturelles, tout en pensant la mise en scène à travers la direction artistique. Il était intéressant de se dire que, comme nous sommes estampillés Splinter Cell, il y avait une forme de respect des codes à avoir, mais qu’à partir de là, nous accepterions peut-être plus facilement des variations et de nouvelles histoires.

 

La série s’autorise une violence inédite pour la franchise, à la fois dans des combats au corps à corps mais également dans les projections de sang, très nombreuses.

HR : Il y a beaucoup de sang, c’est vrai. (Rires.) Je me suis également fait la remarque. Mais je pense que sa présence est d’autant plus marquante que nous avons peu l’habitude d’en voir autant dans l’animation. Si nous tournions ces scènes sanguinolentes en live action, il y aurait également du sang, des os qui craquent, mais ce serait certainement moins marquant : quelque chose dans la représentation graphique animée fait que tout est amplifié. La question d’où placer le curseur de la violence s’est évidemment posée, mais nous étions tous assez raccords sur une volonté de faire un projet adulte, mature, assumé, et donc violent. Mais même en ayant cette idée en tête, l’idée était que la violence ne soit jamais gratuite. Frappante, oui, mais pas gratuite.

GD : Beaucoup de choses se jouaient aussi dans le fait de retrouver un personnage de Sam Fisher vieillissant, un homme sur la sortie, au passé sanglant. Ce qui était intéressant, c’était justement la charge émotionnelle qu’a le passé sur lui. Je vois ça comme une sorte de force qui va à son encontre. C’est un homme formaté, militaire, qui vient du terrain, et en même temps, son âge le retient. Sans compter que plusieurs personnes qui l’ont entouré sont décédées. Quand bien même ce ne sont pas des éléments de l’intrigue essentiels, ils restent des éléments fondateurs de cette version du personnage. Donc cette « force » contre laquelle il lutte, il fallait la montrer aussi dans ses faiblesses. Les combats devaient avoir un vrai impact, esquisser un sens de la survie. Nos références, qu’elles aillent de films coréens à ceux de David Cronenberg, ne font pas dans l’esthétisation de la violence mais dans son impact. Nous exagérons certaines choses visuellement et nous dépassons parfois une certaine forme de réalisme pour que chaque mort à l’écran ne soit pas banale. Nous ne sommes pas là pour faire du grand spectacle autour de ça. Et c’est sûrement ce qui nous différencie d’œuvres comme John Wick, où un tir dans la tête a lieu toutes les dix secondes ! Nous sommes vraiment sur deux réflexions assez différentes autour de la violence.

Y a-t-il eu des questionnements sur le choix d’une animation 2D, alors que le jeu vidéo est en 3D ?

HR : Pas vraiment. Déjà parce qu’il y a une forte tendance à la 2D dans l’animation adulte, et que choisir la 3D nous aurait envoyés directement face au jeu vidéo, au modèle. Par ailleurs, cela aurait ajouté une complexité technique. Et comme je vous le disais, nous avons à disposition un des meilleurs viviers d’animateurs et de dessinateurs au monde. Mais c’était un pari, car avant que Guillaume ne réalise les premiers dessins préparatoires, nous ne savions pas quel studio serait capable de produire la série.

GD : Et peu d’animateurs sont formés au réalisme en 3D, qui reste finalement assez rare.

Justement, ce réalisme des corps et des différents états par lesquels ils passent dans la série ressemble tout de même à un défi technique énorme, même en 2D…

HR : Tout à fait, et d’ailleurs les équipes de FOST ont dépassé tout ce que nous espérions. Guillaume et son coréalisateur Félicien Colmet-Daage m’ont fait comprendre à quel point chaque strate de création d’animation pouvait rendre le projet meilleur. Félicien, qui est animateur de formation, a apporté toute sa science avec lui. Il peut parler durant des heures de la façon dont réagit un corps en fonction de son poids, de la trajectoire de la balle qui va le toucher… Il a fait tout un document préparatoire qui est à mourir de rire, où il s’est lui-même pris en photo pour donner des références aux animateurs : nous le voyons prendre la pose avec des pistolets, en train d’attendre, en train de se battre… On croirait voir un roman-photo ! Un travail de titan.

GD : Une division s’est faite naturellement dans l’équipe en fonction des rôles et de l’expérience de chacun. Cela fait plus de dix ans que je suis dans l’animation, mais je n’ai jamais été animateur. Je préférais les décors ! Le fait que je me retrouve à la supervision éditoriale m’impose de mettre un cadre, là où Félicien – et c’est ce qui était génial – peut se permettre d’arriver avec des subtilités dont je n’avais pas forcément conscience. Des choses qui contribuent beaucoup à l’acting, notamment sur des postures des personnages. Cette étape a été énormément travaillée au moment de l’animatique, pour mieux définir les caractères de chacun des personnages.

HR : Mais la question du réalisme est en fait vertigineuse et passionnante. Est-ce que la série est vraiment réaliste, ou bien imite-t-elle le réel ?

Vous voulez dire qu’il s’agit d’une sorte de réel fantasmé par les animateurs, mais acceptable pour le spectateur dans le cadre de l’animation ?

HD : Voilà, tout à fait. En live action, chaque micro-détail est capté par la caméra, mais en animation, il faut choisir ses batailles : qu’est-ce que l’on anime ? Qu’est-ce que l’on n’anime pas ? Et si vous regardez bien, vous verrez qu’il y a des plans ultra précis dans la série, comme un personnage qui remet en place son vêtement, un autre qui transpire… Des choses en fait très compliquées à mettre en place mais qui apportent beaucoup à la série dans sa globalité.
 

Splinter Cell : Deathwatch, sur Netflix depuis le 14 octobre

Affiche de « Splinter Cell : Deathwatch »
Splinter Cell : Deathwatch Netflix

Créée par Derek Kolstad, d'après le jeu vidéo Tom Clancy's Splinter Cell de Ubisoft
Réalisation : Guillaume Dousse et Félicien Colmet-Daage
Scénario : Derek Kolstad, Matias Wulff, David Daitch, Katie J. Stone, Naomi G. Davis
Production : Ubisoft, Sun Creature, Fost
Distribution : Netflix

La série a bénéficié du crédit d’impôt international (C2i)