« Points de repères » : les codes du jeu vidéo appliqués au documentaire

« Points de repères » : les codes du jeu vidéo appliqués au documentaire

18 avril 2019
Séries et TV
Points de repères
Points de repères Mad Films - Trarii Prod - Arte GEIE - Les Films de la Butte

Diffusée sur Arte, et disponible en streaming sur Arte.tv, Points de repères fait découvrir des événements historiques en utilisant les codes du jeu vidéo et du cinéma d’animation. Explications avec Pierre Lergenmüller, son auteur et réalisateur.


Pour Points de repères, vous utilisez la 3D ou encore les ombres chinoises. Pourquoi avoir choisi un tel traitement visuel ?

Pour capter au maximum le public qui ne s’intéresse pas aux documentaires. La série n’est pas destinée aux spécialistes et aux personnes qui aiment l’Histoire, mais à ceux qui pensent par exemple que les cours d’Histoire à l’école sont pénibles. Nous essayons de les capter le plus possible en leur parlant avec leur langage, c’est aussi simple que ça. Nous avons un langage que les amateurs de jeux vidéo connaissent très bien autant graphiquement que d’un point de vue narration.

En utilisant les codes du jeu vidéo, votre objectif est-il d’apprendre en se divertissant ?

Nous prenons en effet des techniques de mise en scène du divertissement pour rendre l’Histoire la plus captivante possible et pour donner la sensation - et faire prendre conscience – aux téléspectateurs qu’ils ont un contrôle sur elle. Dans Points de repères, nous aimons rappeler que l’on est tous, en tant qu’être humain, acteur de l’histoire de l’Humanité : c’est notre histoire, elle nous appartient. Plus on ressemblera à du jeu vidéo, plus les gens vont se dire : je peux faire quelque chose pour changer cet avenir si j’ai envie de le faire. Nous commençons d’ailleurs chaque épisode par une uchronie : nous proposons quelque chose de complètement faux pour aiguiser l’attention et faire en sorte que le public se rende compte qu’on peut modifier les choses en fonction des événements.

Pourquoi avoir choisi un format de 26 minutes ?

Ma toute première version du pilote ne faisait que 3 minutes, mais c’était trop peu pour que ça fonctionne. Nous voulions faire quelque chose de court pour que la série soit moins fastidieuse à regarder pour les téléspectateurs. Il faut pouvoir dire à ce public qui ne s’intéresse pas à l’Histoire, que ça ne va pas durer longtemps et qu’il va prendre du plaisir.

Cette durée a-t-elle également été pensée en vue d’une diffusion dans les salles de classe ?

Oui, avec un épisode de 26 minutes, on peut avoir une discussion ensuite pour poser des questions et avoir des éclaircissements. Ça rentre dans les 45 minutes effectives qu’a un professeur en classe et ça permet donc de ne pas être coupé par la sonnerie.

Les épisodes sont-ils testés avant diffusion par des professeurs ou élèves ?

Avant de faire ce métier de réalisateur, j’ai travaillé pendant 6 ans comme formateur dans une école privée d’effets visuels. J’ai adoré et j’ai testé beaucoup de choses pendant cette période pour savoir comment captiver les élèves et faire en sorte qu’ils retiennent des choses. J’applique ces méthodes au quotidien. Je suis également entouré d’amis profs sur qui je teste la série régulièrement. Nous diffusons également des épisodes devant des panels d’élèves à qui nous soumettons un questionnaire pour savoir ce qu’ils ont aimé ou non. La question de ce qu’ils vont retenir me hante lorsque j’écris un script. Je ne veux pas citer trop de dates ou trop de noms. Je veux que le peu qu’on mette soit retenu.

Comment se passe l’écriture du scénario ?

Ce processus s’étire dans le temps. Entre le moment où les historiens font une synthèse de 150 à 180 pages, le temps de lecture de cette dernière, les retours vers les historiens pour préciser des points qui ne sont pas clairs, l’écriture du script qui connaît différentes versions et l’envoi pour validation à Arte, il s’écoule entre 1 mois et demi et 2 mois. Certains épisodes comme celui sur Tchernobyl ne sont pas simples : il faut comprendre par exemple comment marche un réacteur nucléaire.

Combien d’historiens travaillent avec vous pour Points de repères ?

Il y en a 5, tous avec leur spécificité. Certains sont plus axés sur la reconstitution historique ce qui est utile pour les épisodes où il y a des batailles, d’autres s’intéressent plus à la géopolitique… J’ai construit l’équipe de base au fur et à mesure de mes rencontres avant le lancement de la série. Avec le succès, nous avons maintenant des candidatures aussi bien d’historiens que de graphistes plus difficiles à recruter. Les élèves qui sortent d’une bonne école de jeu vidéo peuvent travailler n’importe où sur la planète. Les séduire, n’était donc pas si simple au départ.

Combien de personnes sont mobilisées pour réaliser un épisode ?

Historiens compris, l’équipe rassemble 37 personnes. La réalisation de la série documentaire se rapproche de celle d’un film d’animation. Toutes les images sont fabriquées à partir d’un story-board, il n’y a aucune archive. Nous travaillons également avec des comédiens et figurants qui tournent sur fond vert. Tout est fait sur mesure, des images à la musique. Nous collaborons d’ailleurs avec 2 musiciens chargés de réaliser la bande son en amont de chaque épisode. Les musiques sont créées avant même la synthèse historique : quand je lis cette dernière, je peux donc écouter en même temps la future musique de l’épisode. Nous écrivons d’ailleurs les chapitres sur la musique pour que tout soit le plus fluide possible. Je suis persuadé que la fluidité et l’absence de longueurs facilitent l’apprentissage.

Vous avez réalisé l’année dernière un épisode en réalité virtuelle sur l’éruption du Vésuve et la destruction de Pompéi. Envisagez-vous de retenter l’expérience régulièrement ?

L’immersion est très importante pour Points de repères. Plus on ressent ce qu’il se passe avec de la musique, des effets sonores, une mise en scène qui immerge dans l’action, plus on retient le téléspectateur. Avec la VR, l’immersion est maximale mais le contenu est moindre : lorsqu’on est totalement immergé, on écoute moins la voix-off. Il faut donc faire passer beaucoup moins d’informations. Mais je pense qu’une expérience VR peut être un bon produit d’appel pour donner envie de voir un épisode.

Une saison 4 "plus féminine"

Diffusée actuellement sur Arte, la saison 3 de Points de repères ne sera pas la dernière. De nouveaux épisodes sont en préparation, précise Pierre Lergenmüller. « Les thèmes sont choisis en amont et nous essayons d’être les plus exhaustifs possible en termes de géographie et de répartition chronologique. La saison 4 aura plus de présence féminine et un nouvel épisode autour de l’environnement. Il y aura également davantage de sujets sur l’Afrique qui sont difficiles à traiter car il y a peu de sources historiques ».