Adilkhan Yerzhanov, cinéaste d’une géographie imaginaire

Adilkhan Yerzhanov, cinéaste d’une géographie imaginaire

10 juillet 2023
Cinéma
EDUCATION_ADEMOKA (c) Destiny Films
L’Éducation d’Ademoka, réalisé par le cinéaste kazakh, Adilkhan Yerzhanov. Destiny Films

Doublement à l’affiche des cinémas le 12 juillet pour L’Éducation d’Ademoka et Assaut, le cinéaste kazakh, adepte des cadres précis et de l’humour à froid, était aussi présent au FEMA de La Rochelle dans le cadre d’un hommage organisé par le festival.


Deux films qui sortent en salles le même jour, deux histoires que tout oppose, a priori. D’un côté, le récit de la difficile accession à l’éducation d’une ado lyuli [peuple nomade et apatride d’Asie centrale souvent confronté au racisme – ndlr] ; de l’autre, la description sèche et violente d’une prise d’otages dans une école perdue au milieu de nulle part. Et pourtant, les deux films portent indubitablement la signature du même réalisateur : Adilkhan Yerzhanov. Ils se déroulent dans son univers à l’humour noir, rempli de silhouettes absurdes, magnifié par de longs plans-séquences au cadre fixe. Un cinéma tout en précision, héritier d’Aki Kaurismäki et de Darezhan Omirbaev, compatriote de Yerzhanov. Le FEMA (Festival de cinéma de La Rochelle) a accueilli le cinéaste le 7 juillet dernier pour lui rendre hommage, en projetant des films inédits en France comme Night God (2018) ou La Peste dans le village de Karatas (2016).

 

Entre maths et mythes

Né à Jezkazgan, au Kazakhstan, en 1982, Adilkhan Yerzhanov étudie à l’Académie nationale des arts de son pays, où il obtient un diplôme en réalisation. Son père était professeur de maths, sa mère enseignait la littérature russe. Son cinéma est né de ces deux univers, entre la rigueur pure des chiffres et le lyrisme désenchanté des grands romans russes. Son premier long métrage, Rieltor, sort en 2011 : l’histoire d’un jeune Kazakh qui se retrouve propulsé dans le passé et fait la rencontre d’une galerie de personnages plus fantasques les uns que les autres. On y croise déjà son sens de l’absurde ainsi que son humour noir et distancié… Mais Adilkhan Yerzhanov commence à se faire connaître véritablement en 2014 avec la sélection cannoise, en séance spéciale, de The Owners. Suivront La Tendre indifférence du monde [le premier de ses films à sortir en France – ndlr] à Un Certain Regard en 2018, puis la présentation à L’Étrange Festival de son faux documentaire The Story of Kazakh Cinema – Underground of Kazakhfilm. Deux ans plus tard, A Dark, Dark Man esquisse le portrait d’un flic campagnard corrompu. C’est l’occasion pour Adilkhan Yerzhanov d’autopsier à nouveau sans concession son pays. Enfin, Goliath, tourné entre Assaut et L’Éducation d’Ademoka, a été récompensé au dernier Festival de Venise, ainsi qu’à Reims Polar 2022 où il a reçu le prix du Jury.

"Assaut" de Adilkhan Yerzhanov
"Assaut" de Adilkhan Yerzhanov LLC Look Film - Kinovista

Le village qui n’existe pas

Le Kazakhstan d’Adilkhan Yerzhanov se situe entre réalité et fiction : le village de Karatas, dans lequel se déroule Assaut, n’existe pas. Le cinéaste l’avait d’ailleurs déjà mis en scène dans La Peste dans le village de Karatas (2016). À propos d’Assaut, qui décrit avec férocité un pays délabré où les citoyens normaux doivent prendre les armes, Adilkhan Yerzhanov explique : « Les événements se déroulent dans un village imaginaire appelé Karatas. Son école est prise d’assaut par des personnes masquées non identifiées. Le village est isolé, de sorte que si la route est bloquée par la neige, personne ne peut l’atteindre. Je ne connais pas de tels endroits au Kazakhstan. Cet espace est, bien sûr, totalement symbolique. Assaut ne devrait pas être rapproché d’événements réels. Le film est psychologique et non sociopolitique. »

Ce refus du « sociopolitique » se retrouve également dans L’Éducation d’Ademoka : le metteur en scène kazakh l’envisage comme une parabole et non comme un documentaire édifiant. « Les films sociaux ne doivent pas forcément être lourds et tristes, le public et les réalisateurs ont le choix d’embrasser une certaine légèreté, quelle que soit l’importance du sujet. Le film se concentre sur la personnalité des protagonistes, sur les gens. Un minimum d’effets, de musique et d’action : rien ne doit détourner l’attention du spectateur des personnages. Leurs sentiments et leurs luttes intérieures passent en premier, affirme le réalisateur. La simplicité dans la mise en scène aide à découvrir l’histoire de personnes sincères et gentilles, qui ne cèdent pas à la fatalité et à l’insensibilité de la civilisation. C’est une sorte d’hymne à la connaissance, au savoir qui aide l’humanité à échapper à l’obscurité de la bureaucratie et à l’âge des ténèbres. » Avec sa galerie de comédiens non professionnels, son petit ballet de voyous et de bureaucrates perdus au milieu de nulle part, Adilkhan Yerzhanov continue film après film de construire un pays imaginaire et pourtant terriblement vrai.

L’Éducation d’Ademoka

Affiche de l’Éducation d’Ademoka d'AdilkhanYerzhanov
Réalisation et scénario : AdilkhanYerzhanov
Photographie : AzamatDulatov
Production : ShortBrothers
Coproduction : ArizonaProductions
Distribution : Destiny Films
En salles le 12 juillet 2023

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