Adilkhan Yerzhanov, un homme de bien

Adilkhan Yerzhanov, un homme de bien

12 octobre 2020
Cinéma
A Dark-Dark Man - Adilkhan Yerzhanov
A Dark-Dark Man - Adilkhan Yerzhanov Arizona Distribution
Découvert il y a deux ans grâce à La Tendre indifférence du monde, le cinéaste kazakh confirme avec A Dark-Dark Man son potentiel. Portrait.

À l’instar du héros de A Dark-Dark Man, un jeune flic corrompu jusqu’à la moelle, Adilkhan Yerzhanov est un taiseux qui ne parle pas pour ne rien dire - certaines des questions qu’on a pu lui faire parvenir ont débouché sur un simple “oui” ou “non”. Les images qu’on a de lui montrent pourtant un visage ouvert où perce une certaine mélancolie. Mais on devine un homme préoccupé. Il y a de quoi : comme le montre A Dark-Dark Man, dans son pays, la corruption semble généralisée au sein de l’establishment et les libertés fondamentales y sont parfois foulées au pied. À tel point qu’on se demande comment un film pareil a pu voir le jour là-bas. Réponse de l’intéressé : difficilement. Il ne s’étendra pas sur la question ni sur la sortie confidentielle du film - comme ses précédents longs métrages - dans son pays d’origine. « Les films qui abordent des sujets sociaux brûlants ne sont pas bien accueillis par la distribution en général », plaide-t-il prudemment. Est-il libre de ses paroles, de ses faits et gestes ? « Je répondrai par une anecdote très populaire chez nous : peut-on manger des champignons venimeux ? Oui, mais une seule fois. »

Né le 7 août 1982, Adilkhan Yerzhanov n’a que 38 ans et déjà une demi-douzaine de films à son actif (« Il y a des universités et beaucoup d’écoles privées qui enseignent le cinéma, donc pas mal d’opportunités pour ceux qui souhaitent prendre ce chemin », affirme Yerzhanov, lui-même diplômé). La plupart ne sont pas sortis en France, à l’exception de A Dark-Dark Man et de son précédent, La Tendre indifférence du monde, tous deux coproduits et distribués par le français Guillaume de Seille via sa société Arizona Films. « J’ai eu de la chance de rencontrer Guillaume, devenu un ami. Il connaît extrêmement bien le cinéma asiatique et nous avons les mêmes goûts. Grâce à Arizona Distribution, j’ai la chance d’être vu en France et dans d’autres pays. Pour notre petit cinéma kazakh, c’est une très grande chance. » Adilkhan Yerzhanov voue à la France une affection particulière. La sélection de La Tendre indifférence du monde dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2018 a été déterminante dans sa montée en puissance et la visibilité d’un cinéma kazakh jusque-là réduit à la figure tutélaire de Darezhan Omirbaev. « Je pense que beaucoup de réalisateurs n’existeraient pas sans Cannes », déclare-t-il avant de confesser sa déception quant à la non-sélection de A Dark-Dark Man en 2019 sur la Croisette.

A Dark-Dark Man est aussi brutal et loufoque que La Tendre indifférence du monde était émotionnel. Imagine-t-il chacun de ses films contre le précédent ? « Je n’ai qu’un but : réaliser des films le plus sincèrement possible. Dans La Tendre indifférence du monde, les personnages faisaient un voyage de la lumière vers l’obscurité. Dans A Dark-Dark Man, c’est l’inverse ; nous assistons, tout au long du récit, à la renaissance du personnage principal. » Dans les deux cas, ses œuvres sont empreintes d’un profond humanisme. Adilkhan Yerzhanov le doit principalement à son éducation, relativement protégée. « Ma mère enseignait à l’école la littérature et les langues. Elle m’autorisait toujours à pratiquer des activités artistiques, même si personne ne comprenait à quoi ça pourrait me servir ! Durant toute mon enfance j’encombrais notre maison de personnages en pâte à modeler, je remplissais mes cahiers de bandes dessinées... Grâce aux conseils maternels, j’ai compris assez tôt que pour créer un bon personnage il fallait chercher en lui le drame et la contradiction. C’est devenu la base de mon éducation artistique. Mon père était de son côté un contrôleur de gestion, un mathématicien avare de sentiments. Ainsi, mon esprit a toujours été tiraillé entre les mathématiques et la littérature. » Le mystère Adilkhan Yerzhanov est en partie levé.

A Dark, Dark Man, qui sort ce mercredi 14 octobre, a reçu l'Aide aux cinémas du monde et l'aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.