Anne Berest et Rebecca Zlotowski : « Avec Vie privée, nous avons joué à écrire un scénario »

Anne Berest et Rebecca Zlotowski : « Avec Vie privée, nous avons joué à écrire un scénario »

24 novembre 2025
Cinéma
« Vie privée » réalisé par Rebecca Zlotowski
« Vie privée » réalisé par Rebecca Zlotowski Jérôme Prébois

Amies depuis leur adolescence, la romancière et la cinéaste cosignent leur premier scénario : l’histoire d’une psychanalyste enquêtant sur la mort suspecte d’une de ses patientes. Un film qui évolue entre thriller et comédie de remariage, porté par le duo Jodie Foster et Daniel Auteuil. Entretien.


Vous vous connaissez depuis des années mais Vie privée marque votre toute première collaboration. Pourquoi avoir attendu autant de temps ?

Anne Berest : Nous nous sommes connues à 19 ans. Nous avons tissé au fil du temps un lien très fort. C’est sans doute pour cette raison que nous n’avons jamais travaillé ensemble. Je sais d’expérience que le travail sépare davantage les êtres qu’il ne les soude, même s’il existe des exceptions miraculeuses. Je pense que Rebecca et moi chérissions trop notre amitié pour la mettre en danger.

Rebecca Zlotowski : En ce qui me concerne, Vie privée est une première à bien des égards, car c’est un projet qui a démarré de manière inattendue. D’habitude, pour me lancer dans un film, j’attends d’avoir terminé le précédent, mais Vie privée, lui, est né d’une stimulation, d’un dialogue avec Anne qui m’a proposé un scénario. Ce qui ne m’était jamais arrivé jusque-là. Dans ce scénario qui s’appelait Lilian Steiner, du nom de son personnage central, il y avait déjà tout ou presque. C’était l’histoire d’une psy qui réagissait avec trop d’empathie à la mort d’une de ses patientes, et qui faisait des séances d’hypnose.

Vie privée me permettait de réaliser deux de mes obsessions : diriger Jodie Foster et creuser le sujet qui donne son titre au film et qui me hante depuis des années […].
Rebecca Zlotowski

Anne Berest, qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

AB : En tant que romancière, j’aime de temps en temps prendre des « vacances » car la littérature peut parfois être pesante. J’ai donc des idées de films qui me viennent et que j’écris comme des sortes de récréations sans but précis, sans chercher à ce qu’ils soient produits ou réalisés. Ce sont des jaillissements, comme si ces films se déroulaient devant mes yeux et que je n’avais plus qu’à les écrire. Je ne compte plus les brouillons qui dorment dans mes tiroirs ! (Rires.) Mais pour cette histoire de thérapeute assez rigide qui, à la suite de la mort d’une de ses patientes, va avoir une crise existentielle et découvrir l’hypnose, c’était différent. C’était un scénario jouant sur une double chronologie, un procédé que l’on trouve dans mes livres, où le passé ressurgit dans le présent.

En quoi était-ce différent ?

AB : Le scénario contenant en lui une part de comédie, j’ai tout de suite pensé qu’il pourrait devenir un film de Rebecca. C’est l’une des femmes les plus drôles que je connaisse, ce que son cinéma ne laisse pas forcément entrevoir. J’espérais qu’elle me ferait confiance pour s’autoriser à explorer cette tonalité.

 

Rebecca Zlotowski, qu’est-ce qui vous a fait penser que vous étiez la bonne personne pour porter cette histoire à l’écran ?

RZ : J’ai été émue par ce personnage de femme très solide mais débordée par son corps. Après Les Enfants des autres (2022), j’étais à un moment de ma vie où j’avais conscience d’avoir construit une forme de rigueur intellectuelle sans laquelle on ne m’aurait jamais confié de tels budgets, mais qui pouvait aussi me rétrécir, me faire sentir dans une impasse. Mon travail aujourd’hui consiste à m’assouplir et à faire confiance aux sens et aux corps. C’est le cas dans la série Glamsquad [qui suit trois jeunes talents du HMC, Habillage, Maquillage, Coiffure, qui sortira prochainement, NDRL] que j’ai coécrite avec Olivier Nicklaus. Et c’est le cas ici : ce que vit Lilian Steiner dont le questionnement – enregistrer les gens suffit-il à bien les entendre ? – résonne avec celui que je peux avoir comme réalisatrice : filmer les gens suffit-il pour bien voir ? J’aimais aussi cette idée d’une femme qui se remette en question au travail. Sans compter le fait que j’avais moi-même commencé une psychanalyse quatre ans plus tôt, je l’ai arrêtée depuis, car je ne cessais de demander à ma psy : « Et vous, comment allez-vous ? » (Rires.) C’est elle qui m’intéressait, pas moi. Je me demandais ce qu’elle vivait.

Comment avez-vous retravaillé ensemble le scénario ?

AB : Dans une fluidité totale ! Je peux dire que nous avons joué à écrire un scénario, sans se prendre au sérieux. Rebecca a eu envie d’emmener le récit vers le thriller avec cette idée géniale : et si cette patiente qui s’est apparemment suicidée avait été assassinée ? La matière du scénario a permis d’explorer cette idée tout en respectant l’aspect comédie auquel je tenais. Mais il n’y avait pas de méthode à proprement parler. Nous avons simplement retrouvé cet esprit de débutantes qui se lancent en suivant leur instinct et en s’appuyant sur leurs rêves. Quand Rebecca m’a dit qu’elle rêvait de Jodie Foster, je lui ai répondu : « Mais oui, bien sûr », sans même savoir si c’était possible. Nous avons été comme des enfants qui jouent.

RZ : Un film m’intéresse si je peux me l’approprier. Vie privée me permettait de réaliser deux de mes obsessions : diriger Jodie Foster et creuser le sujet qui donne son titre au film et qui me hante depuis des années sans que je sache précisément pourquoi. À partir de là, nous avons vraiment travaillé à deux, Anne et moi, avec l’aide de Gaëlle Macé comme « sparring-partner ». Nous avons allégé la partie traumatique et nous avons ajouté le thriller et la comédie de remariage. Avec comme inspiration, Hantise (1944) de George Cukor, puisque Lilian Steiner est un peu folle. Raison pour laquelle, en clin d’œil, nous avons prénommé le personnage de la patiente incarnée par Virginie Efira, Paula, comme celui d’Ingrid Bergman dans le film de George Cukor.

Il n’y avait pas de méthode à proprement parler. Nous avons simplement retrouvé cet esprit de débutantes qui se lancent en suivant leur instinct et en s’appuyant sur leurs rêves.
Anne Berest

Jodie Foster a-t-elle tout de suite été convaincue ?

RZ : Je ne l’avais jamais rencontrée. Je lui ai envoyé une première version du scénario car je savais que la couleur du film et du personnage ne changerait plus. Jodie était en pleine promotion de la saison 4 de True Detective mais elle l’a lu très vite avec une rigueur et une précision incroyables. Je vais être honnête : elle m’aurait demandé de tout réécrire, j’aurais dit oui ! Mais elle a été séduite par ce qu’Anne et moi avions proposé. Nous avons donc simplement réécrit le personnage pour l’adapter à une Américaine expatriée à Paris, avec le corps, le physique et l’intelligence qui se lit sur le visage de Jodie.

Quel plaisir avez-vous pris à cette expérience, Anne Berest ?

AB : Le travail de romancière est si solitaire et si douloureux que le cinéma, dans son aspect collectif et communautaire – malgré la difficulté de se heurter aux egos et à la liberté des autres – m’apporte dans ces échanges plus de joie que de désagréments. Et puis j’ai la chance, avec mes livres, de dire exactement ce que je veux, c’est mon endroit de Narcisse absolu. Donc la confrontation à l’autre dans le scénario me passionne parce que, par ailleurs, j’ai « ma chambre à moi ».

Quand s’arrête l’écriture ?

AB : Nous avons travaillé jusqu’au premier jour du tournage. Les scénaristes doivent apprendre, même si c’est douloureux, qu’à partir de ce moment-là, nous devons nous éloigner sur la pointe des pieds car nous n’avons plus rien à faire sur le plateau.

RZ : Cependant, le scénario s’est modifié en cours de tournage. Au départ, l’ex-couple formé par Jodie Foster et Daniel Auteuil prenait moins de place. C’est le lien fort et immédiat qui s’est noué entre les acteurs sur le plateau qui m’a poussée à le faire grandir. En voyant les rushes au fur et à mesure du tournage, ma monteuse m’appelait et me disait : « C’est le feu ! Tu dois écrire d’autres scènes entre eux deux ! » (Rires.)

Anne Berest, vous n’êtes donc pas allée sur le plateau ?

AB : Si mais en tant qu’amie, pour soutenir Rebecca et avoir le bonheur de la voir travailler. J’ai aussi vu diverses versions du montage. Une habitude depuis son premier film. Rebecca m’a toujours sollicitée de même que je lui ai toujours demandé ses retours pendant le processus d’écriture de mes livres. Cet échange amical, intellectuel existe depuis nos 19 ans et n’a jamais varié.
 

VIE PRIVÉE

Affiche de « VIE PRIVÉE »
Vie privée Ad Vitam

Réalisation : Rebecca Zlotowski 
Scénario : Rebecca Zlotowski, Anne Berest et Gaëlle Macé 
Production : Les Films Velvet 
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : Goodfellas
Sortie le 26 novembre 2025

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