« Au cimetière de la pellicule », à la recherche du film perdu

« Au cimetière de la pellicule », à la recherche du film perdu

« Au cimetière de la pellicule »
« Au cimetière de la pellicule », le premier long métrage du documentariste guinéen Thierno Souleymane Diallo. Dean Medias

Pour son premier long métrage, le documentariste guinéen Thierno Souleymane Diallo est parti sur les traces de Mouramani, le tout premier film réalisé par un cinéaste d’Afrique de l’Ouest. Le réalisateur revient sur l’histoire de son road movie documentaire, une enquête qui l’a mené jusque dans les collections du CNC à Bois d’Arcy.


Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir réalisateur ?

Comme on peut le voir dans le film, j’ai étudié le cinéma en Guinée. En revanche, j’ai appris l’histoire de tous les cinémas du monde sauf celui de mon pays. Quand je suis sorti de l’école, j’estimais ne pas avoir d’avenir. Je me suis donc orienté vers le cinéma documentaire, que j’ai longuement étudié, et qui m’a permis de réaliser mes propres films. Grâce au programme AfricaDoc [de l’association DocMonde – ndlr], j’ai pu rencontrer des producteurs français, qui ont depuis travaillé avec moi sur Au cimetière de la pellicule. La triste réalité, c’est qu’il n’y a pas d’argent pour le cinéma en Guinée. C’est un art considéré comme une perte de temps dans les mentalités guinéennes. J’ai longtemps pensé qu’il y avait précisément quelque chose à raconter sur ce système moribond. Au cimetière de la pellicule est le film de mes peurs, mais aussi celui de mes envies.

Ce qui frappe dans votre film, c’est la manière dont est considérée la pellicule et tous ces objets de cinéma, enterrés ou bien tout simplement brûlés…

Au fil des années, les gouvernements guinéens se sont succédés, sans pour autant prendre en compte le cinéma. Dans les années 1980, il a été privatisé par l’État, qui avait la responsabilité d’archiver les films qui ont marqué l’histoire de notre pays. Ils se sont vite rendu compte qu’ils ne pouvaient pas garder ces bobines. Ils les ont laissé se détériorer, avant de finalement les enterrer. Le gouvernement craignait de regarder son passé dans les yeux, car dans ces films, on peut y voir une certaine histoire de la Guinée. La plupart des films guinéens sont aujourd’hui conservés dans d’autres pays, alors qu’une cinémathèque pourrait exister sur le territoire pour conserver ces œuvres.

 

Au cimetière de la pellicule est le film de mes peurs, mais aussi celui de mes envies.

Vous parlez archives et patrimoine. Ce film raconte votre quête de Mouramani, le premier film de l’histoire de l’Afrique Noire, et celui de la Guinée. Comment avez-vous eu connaissance de ce long métrage ?

J’ai appris son existence grâce à un professeur de cinéma durant mes études en master au Niger. Il nous répétait que le premier film d’Afrique Noire n’était pas Afrique-Sur-Seine (Mamadou Sarr, 1955), mais Mouramani du cinéaste Mamadou Touré en 1953. Je suis allé fouiller sur Internet, et j’ai découvert que le film étai répertorié dans plusieurs dictionnaires du cinéma d’Afrique Noire, bien que personne ne semble en avoir vu une seule image. Les résumés du film sont également complètement différents : l’un évoque l’histoire de l’islamisation du peuple Sarakholé, tandis que l’autre parle de l’histoire d’un homme et son chien. Pour en savoir plus, je suis donc parti à la recherche de ce film. Petit à petit, j’ai eu la certitude qu’il existait bel et bien, notamment grâce à une critique du journal Le Monde datée de 1955.

Pourquoi le retrouver vous tenait-il à cœur ?

Avant que ce professeur n’évoque le film, je n’en avais jamais entendu parler. On parle d’un film qui date de 1953, ce qui n’est pas si vieux. L’idée qu’un film de 1953 puisse disparaître sans laisser de trace interroge sur l’avenir du cinéma en Guinée. Est-ce que mes propres films sont amenés à disparaître aussi ? Aller à la recherche de ce film me permettait d’aller à la recherche de mon passé et de mon identité.

Et cette (en)quête vous amène jusqu’aux archives du CNC en France, à Bois d’Arcy.

C’était important pour moi de rechercher le film dans un autre pays. C’est la grande différence entre la préservation des archives en Guinée et en France : en Guinée, quand les pellicules sont dégradées, elles sont soit enterrées soit brûlées, tandis qu’en France, j’ai eu l’opportunité de retrouver des archives inutilisables, mais bel et bien conservées. Je n’ai pas eu la chance de retrouver le film dans les archives du CNC, mais aller à la recherche de Mouramani en France m’a permis de dresser unparallèle entre votre tradition d’archivage et de préservation du patrimoine et ce qui se passe dans mon pays. Et à partir de là, de m’interroger sur l’avenir du cinéma dans mon propre pays.

Votre film s’ouvre précisément sur un cinéma en ruines, situé en plein cœur de la Guinée. Que raconte cette séquence de l’état du cinéma guinéen ?

Cette scène montre un cinéma fermé, où il n’y a plus personne. Des tickets jonchent le sol. De nombreuses salles de cinémas sont abandonnées en Guinée. C’est l’illustration de l’état de la production cinématographique dans le pays : l’industrie est complètement à l’arrêt. Je regrette qu’il n’existe pas de réelle industrie cinématographique sur le continent africain, bien que certains pays s’impliquent particulièrement dans la production de films. Je pense à la Tunisie, à l’Afrique du Sud ou encore au Maroc. Malheureusement, on compte seulement 3 à 4 réalisateurs influents par pays. Il faut d’ailleurs ajouter que la mention de « cinéma d’Afrique » est souvent trompeuse. L’Afrique est un continent, chaque pays possède ses propres codes. Le cinéma africain est enfin confronté à un problème de structuration : comment archiver les films, et surtout comment les garder ? Comment les transmettre à la génération suivante ? À titre d’exemple, il est plus facile de trouver des films du réalisateur sénégalais Sembene Ousmane à Paris qu’à Dakar.

J’ai besoin du cinéma documentaire pour parler à la population guinéenne, mais aussi au reste du monde. Ce format est, je crois, une arme puissante contre l’obscurantisme.

Vous êtes le personnage principal de votre film. Pourquoi ce choix ?

C’était un choix central. Je suis le personnage principal, parce que le film évoque ma recherche de Mouramani, mais aussi mes envies de cinéma, et mes rencontres avec les habitants guinéens. Sans mon personnage, on aurait pu avoir un film complètement différent, proche d’un documentaire plus classique, avec des entretiens face caméra et des clips d’archives, mais ce n’était pas mon intention. Je voulais avoir un contrôle total sur la mise en scène, qui accompagne le contrôle total que j’ai sur cette quête. Il ne faut pas oublier que le cinéma est un spectacle, et il faut divertir le spectateur. Même dans un documentaire.

Justement, quelle est votre relation avec le cinéma documentaire ?

J’ai découvert le cinéma documentaire grâce au programme AfricaDoc, au début des années 2010. J’y ai trouvé une approche très intime, mais aussi très libre et très humaniste. Je n’arrive plus à m’en débarrasser, même quand je suis face à une œuvre de fiction, je pense tout de suite à l’envers du décor, comme dans un documentaire. C’est le cinéma dont j’ai besoin pour parler à la population guinéenne, mais aussi au reste du monde. Ce format est, je crois, une arme puissante contre l’obscurantisme.

Dans une séquence, on vous voit derrière la caméra recréer une scène de Mouramani, comme si vous vouliez inclure une part de fiction dans le documentaire…

À défaut de retrouver le film, il me paraissait important de proposer ma version de Mouramani. Néanmoins, même durant la partie fictionnelle, on voit l’équipe du film, avec mon personnage qui donne des indications aux acteurs. On ne sort jamais du documentaire. La fiction, j’y viendrais sans doute un jour, mais il reste avant un devoir de mémoire à construire autour de la Guinée. J’aimerais réaliser un deuxième long métrage documentaire sur mon pays.

Au cimetière de la pellicule a bénéficié du programme AfricaDoc de l’association DocMonde, ainsi que du Fonds jeune création francophone et de l’Aide aux cinémas du monde du CNC. Comment ces dispositifs ont aidé à la création de votre film ?

Mon film existe grâce au programme AfricaDoc, qui m’a aussi permis de financer mes études. J’ai pu réaliser mon premier moyen métrage grâce au CNC, qui m’a ensuite offert le luxe de concevoir Au cimetière de la pellicule, avec des financements comme le fonds jeune création francophone et l’aide aux cinémas du monde. Sans l’aide du CNC, plusieurs films réalisés par des cinéastes d’Afrique Noire n’auraient jamais vu le jour. Banel & Adama, le premier film de la franco-sénégalaise Ramata Toulaye-Sy, en est la preuve : le film a été sélectionné en compétition au Festival de Cannes ! Ces films ont pu être faits grâce à l’exception culturelle française.

Au cimetière de la pellicule
Réalisation : Thierno Souleymane Diallo
Production : L’image d’après, JPL Productions
Distribution : Dean Medias
Ventes internationales : Reservoir Docs
En salles depuis le 5 juillet 2023
Soutiens du CNC : Fonds jeune création francophone, Aide aux cinémas du monde