Avant d’être un long, Partir un jour a été un court. Quelle en avait été la principale source d’inspiration ?
Amélie Bonnin : Il y avait dès le départ l’idée d’un film peuplé de chansons qui évoqueraient des souvenirs comme des marqueurs d’une époque. Celles qui vous reviennent spontanément en mémoire quand vous revenez là où vous avez grandi. Des chansons liées à votre enfance, à votre jeunesse, à vos 45 Tours et vos CD de l’époque qui sont toujours là. Mais ce court est aussi né d’une réflexion que nous nous étions faites avec mon coscénariste Dimitri Lucas : dans notre enfance, dans nos écoles primaires, dans nos collèges, nous avions connu beaucoup de Jennifer… alors qu’il n’y en avait plus aucune dans nos entourages proches. Nous avions même commencé à écrire un projet qui s’intitulait Où sont passées les Jennifer ? autour d’un personnage qui retournait sur les terres de son enfance pour retrouver leurs traces. Nous ne sommes pas allés au bout mais cette réflexion a découlé sur des questions plus larges qui ont donné naissance à Partir un jour : pourquoi il y a des choses qui ne sont plus comme avant ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui nous éloigne de notre passé quand on quitte son village d’enfance et qu’on y retourne des années plus tard ? Avec cette idée de distiller de l’humour dans tout cela…
Est-ce que vous vous lancez dans ce court avec l’idée d’un futur long métrage en tête ?
Absolument pas ! L’idée est née pendant le montage du court chez mes producteurs qui, en découvrant la première version, m’ont demandé si je n’avais pas envie de développer un long à partir de ce matériau. Spontanément, je leur ai dit non. Je trouvais que le film avait une durée qui lui correspondait. Et je craignais qu’en me lançant dans un long, j’essaie de reproduire certaines choses précisément impossibles à reproduire. De courir après des chimères.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Le regret d’avoir dû couper dans la trajectoire des parents car il n’y avait pas la place pour tout traiter, et par ricochet travailler davantage avec François Rollin pour qui j’avais écrit le rôle. Mais le vrai déclic a eu lieu le jour où Dimitri [Lucas] est revenu avec un livre de photos sur les relais routiers en m’assurant qu’il avait trouvé le décor d’un éventuel long métrage. Il avait vu juste. Immédiatement, j’ai eu des images en tête et l’écriture du long a pu commencer : en déplaçant le lieu où allait se dérouler le récit, nombre de mes réticences initiales se sont envolées.
Le court métrage racontait le retour d’un écrivain dans son village natal où il retrouvait son amour de jeunesse, enceinte. Le long métrage suit, lui, le retour d’une cheffe sur le point d’ouvrir son restaurant gastronomique à Paris. Elle revient voir son père, à la tête d’un restaurant routier, victime d’un infarctus. Pourquoi avez-vous choisi d’inverser le sexe de vos deux personnages principaux ?
Tout est parti d’un entretien que j’avais mené autour du court métrage. Mon interlocuteur m’avait demandé pourquoi mon héros était un garçon et pas une fille. Et j’avais été absolument incapable de lui répondre… car je ne m’étais jamais posé la question ! J’ai vraiment éprouvé un sentiment étrange à comprendre que je l’avais fait spontanément alors que j’avais pourtant envie de raconter des choses – notamment sur la grossesse – qui auraient dû me conduire à choisir une héroïne. Dès lors, il était évident que le personnage central du long serait une femme. Et ce d’autant plus que j’avais envie d’offrir quelque chose de plus important à Juliette Armanet tout en amenant Bastien Bouillon vers un registre plus blagueur, celui que j’avais perçu de lui entre les prises alors que son rôle dans le court était un peu sage.
Vous offrez ici à Juliette Armanet son premier grand rôle au cinéma. Qu’est-ce qui vous avait donné envie de travailler avec elle ?
Nous nous sommes rencontrées à l’occasion d’un des spectacles Radio Live que j’organise avec Aurélie Charon qui mêlent performance contemporaine, lecture et musique. J’avais invité Juliette à jouer et chanter et elle avait accepté. Je dirais qu’il y a quelque chose de très physique dans mon envie de la faire tourner. Un désir pour moi – qui viens du dessin – de la dessiner et, par ricochet, de la filmer. C’est quelqu’un de vraiment irrésistible, dont vous tombez instantanément sous le charme dès que vous la rencontrez. J’ai vraiment écrit les deux rôles pour elle.
Comment s’est fait le choix des chansons qui peuplent votre récit, de Stromae à Dalida en passant par les 2Be3, Claude Nougaro, Bénabar… ?
Ces chansons prolongent les pensées de nos personnages et remplacent en quelque sorte des monologues. Elles sont arrivées dans nos têtes à Dimitri et moi en même temps que nous écrivions l’histoire. Certaines spontanément comme le Mourir sur scène de Dalida pour exprimer la difficulté qu’a le père du personnage de Juliette Armanet de raccrocher à la tête de son restaurant routier. D’autres ont été plus compliquées à imaginer, mais par contre à chaque fois que nous les trouvions, elles sonnaient comme une évidence. Il y a eu évidemment quelques soucis de droits – notamment pour des morceaux de rap à cause des samples – mais ils sont arrivés suffisamment tôt dans l’écriture pour ne pas la perturber.

Saviez-vous très tôt la manière dont ces chansons allaient être interprétées par vos comédiens ?
Une évidence s’est d’emblée imposée : le live ! J’ai sans doute été inspirée par ma passion pour Les Chansons d’amour de Christophe Honoré où, même si tout n’est pas en live, nous entendons qu’elles sont interprétées par des comédiens et non des chanteurs. Nous ne sommes donc jamais dans la quête de perfection vocale. Ce film avait provoqué un tel effet émotionnel chez moi que j’ai voulu aller dans la même direction. Une direction qui traduit aussi l’aspect artisanal du cinéma dans sa fabrication. Quand nous ressentons spontanément l’émotion d’entendre les comédiens chanter sur le plateau, ça change tout. S’impose naturellement ce sentiment qu’il faut capturer quelque chose qui se passe ici et maintenant et pas dans un studio des mois plus tard.
Dans les premiers films, les cinéastes reviennent souvent sur leur adolescence comme un carrefour décisif dans leur destin. Mais avec Partir un jour, vous racontez, une femme qui se réinvente à la trentaine et s’apprête à ouvrir son premier restaurant gastronomique après avoir gagné Top Chef. Cela fait écho à votre discours sur scène en recevant votre César du court : « Ce prix prouve qu’on peut avoir 40 ans, avoir deux enfants, avoir des cheveux blancs et sentir qu’on est au commencement des choses, ce qui est extrêmement précieux. » Ce fut aussi un moteur essentiel de l’écriture ?
Sans doute mais de manière assez inconsciente. Comme le prolongement naturel de quelque chose en quoi je crois profondément. Le fait que tant que nous sommes vivants, nous nous réinventons, nous bougeons, nous nous questionnons. Je trouve beau que rien ne soit figé ou acquis. Même si c’est souvent difficile, notamment à l’intérieur des familles, de faire bouger les choses, de se sortir de la place qui vous a été très tôt assignée.
Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre humour et émotion qui constitue l’ADN de Partir un jour ?
C’est notre ADN à Dimitri et moi, notre manière de regarder le monde. Écrire un film prend du temps. Et je pense que ni lui ni moi ne serions capables de rester dans une atmosphère de pure noirceur pendant quatre ou cinq ans. Et puis ce passage du rire aux larmes ou plus largement l’enchaînement d’émotions contradictoires épouse ce qui se passe dans nos vies. Tout cela s’est fait de manière spontanée pour les deux films.
PARTIR UN JOUR

Réalisation : Amélie Bonnin
Scénario : Amélie Bonnin et Dimitri Lucas
Production : Topshot Films, Les Films du Worso
Distribution et Ventes internationales : Pathé Films
Sortie le 13 mai 2025
Soutien sélectif du CNC : Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée
Partir un jour est présenté, le 13 mai 2025, en ouverture de la 78e édition du Festival de Cannes.