Cédric Ido sur « La Gravité » : « Je voulais rompre avec les clichés propres aux films sur la banlieue »

Cédric Ido sur « La Gravité » : « Je voulais rompre avec les clichés propres aux films sur la banlieue »

10 mai 2023
Cinéma
Max Gomis dans « La Gravité ».
Max Gomis dans « La Gravité ». Caroline Dubois

Pour son deuxième long métrage après La Vie de château en 2017, le cinéaste franco-burkinabé mélange les genres et signe un film sur la banlieue entre cinéma d’action, thriller et science-fiction. Entretien.


Vous avez grandi principalement à Stains en banlieue parisienne. La Gravité a-t-elle une part autobiographique ?

Cédric Ido : Avec ce film, je voulais rendre hommage aux personnes qui, dans mon enfance, m’ont inspiré, des personnes issues des quartiers dits difficiles, bourrées de talent, mais qui n’ont pas pu véritablement s’exprimer, la faute à une forme de racisme institutionnel, de déterminisme social… La Gravité tente d’évoquer ce plafond de verre qui incite tout un chacun à se dépasser.

La cité que vous décrivez dans La Gravité s’inspire-t-elle d’un endroit précis ?

Le Clos Saint-Lazare à Stains, où j’ai grandi, était certes un quartier très enclavé mais il y avait de la verdure, des espaces pour faire du sport… c’était plus heureux que ce que je montre ici. J’assume une représentation purement cinématographique. Je voulais que la vision de mes personnages soit obstruée par les bâtiments, que leur horizon soit bouché. La cité du film est une prison à ciel ouvert.

Ce côté carcéral est accentué par cette idée qu’aucun élément extérieur au quartier ne peut y pénétrer…

Je tenais à m’éloigner du cliché propre aux films dits « de banlieue », avec cette opposition systématique entre la police et la population. Les problèmes doivent pouvoir se régler entre citoyens, sans l’aide des représentants de l’État. D’où ce monde en vase clos. Le conflit que je montre est avant tout intergénérationnel. Le dialogue entre les plus jeunes et les « grands frères » est rompu. En revanche, je ne voulais surtout pas verser dans le manichéisme, avec d’un côté les gentils, de l’autre, les méchants. Les jeunes que je montre sont conscientisés, ils sont sensibles aux enjeux écologiques, spirituels… Des préoccupations que n’ont pas eues les générations précédentes. Les jeunes qui forment la bande dite des « Ronins » peuvent apparaître nihilistes et pourtant, leur conscience politique contredit cet aspect. Je suis allé puiser dans la culture asiatique et africaine une forme de spiritualité. La nature et les esprits se retrouvent ici intimement liés. D’où la dimension fantastique du film…

Je suis allé puiser dans la culture asiatique et africaine une forme de spiritualité. La nature et les esprits se retrouvent ici intimement liés. D’où la dimension fantastique du film…

Les personnages semblent se demander s’il faut partir pour se libérer de cette « prison » ou rester pour améliorer les choses de l’intérieur…

Sabrina, incarnée par Hafsia Herzi, veut quitter le quartier car les choses ne lui conviennent pas. C’est plus compliqué pour Daniel (Max Gomis), son compagnon, qui accepte de la suivre alors qu’au plus profond de lui, il veut rester. Se pose alors la question de la contrainte. Faut-il s’affranchir ou continuer à accepter ce que les autres attendent de nous ? Daniel se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis de Sabrina, mais aussi de son coach sportif qui l’entraîne pour gagner des courses. Lorsque l’on évoque la réussite en banlieue, il est d’ailleurs souvent question d’exploits sportifs. À partir du moment où Daniel décide de courir librement, pour lui-même, il prend, enfin, sa vie en main et peut donc faire évoluer les mentalités, percer ce plafond de verre que j’évoquais plus haut.

 

Plus jeune, aviez-vous la sensation que le monde du cinéma ne vous était pas accessible ?

La route est difficile pour tout le monde, quel que soit le milieu d’où on vient. Je ne me suis jamais dit que je n’y arriverais pas car je ne venais pas du bon endroit. Cela aurait été trop facile. En revanche, je ressentais que j’avais moins le droit à l’erreur qu’un autre. C’était soit l’excellence, soit l’effondrement. Cela peut être un bon moteur pour travailler. Ce qui était peut-être le plus compliqué, c’est l’absence de modèles sur lesquels se projeter. Il est important lorsque l’on débute de pouvoir se dire : « Lui l’a fait, je vais le faire aussi ! » Or ces figures étaient plutôt à chercher du côté du cinéma américain : Spike Lee, Denzel Washington, Sidney Poitier… Il fallait donc transposer ces références dans notre univers…

La notion de minorité, cette envie de bouger les lignes, chacun peut se l’approprier… Ma productrice, Emma Javaux, a tout de suite été sensible au projet et s’est reconnue alors qu’a priori elle est éloignée de l’univers des quartiers.

Comment avez-vous fait ?

En partant du principe que toutes les histoires peuvent avoir une portée universelle. Il est gratifiant de voir que ce que je raconte dans La Gravité peut avoir un écho au-delà du cercle à qui le film est censé s’adresser. La notion de minorité, cette envie de bouger les lignes, chacun peut se l’approprier… Ma productrice, Emma Javaux, a tout de suite été sensible au projet et s’est reconnue alors qu’a priori l’univers des quartiers est éloigné d’elle.

Vous évoquiez la dimension fantastique de votre film… La Gravité emprunte à différents genres : le cinéma d’action, le thriller, la science-fiction…

Ce mélange me permettait d’être le moins frontal possible par rapport au sujet et de rompre avec la veine très réaliste des films sur la banlieue. Chaque incursion dans un genre précis agissait de manière métaphorique sur le récit. Les références aux films de samouraïs, à l’univers des mangas, avec ces notions de sacrifice bien précises, très codifiées, me permettaient de parler du fondamentalisme religieux qui perce en banlieue sans stigmatiser une religion plutôt qu’une autre. Le fondamentalisme que j’évoque ici est celui de la pop culture.

La Gravité

La Gravité

Réalisation : Cédric Ido
Scénario : Cédric Ido, en collaboration avec Mélisa Godet et Jeanne Aptekman
Musique originale : Evgueni et Sacha Galperine
Directeur de la photographie : David Ungaro
Production : Une Fille Productions
Distribution : Alba Films, Trésor Cinéma
Sortie salles : le 3 mai 2023

Soutiens du CNC : avance sur recettes avant réalisation, aide à la création de musiques originales, Fonds images de la diversité (aide à la production)