Depuis quand connaissez-vous Romane Bohringer ?
Céline Cloarec : Nous nous sommes rencontrées en 2017 sur la série Héroïnes d’Audrey Estrougo, dans laquelle elle incarnait une catcheuse. Romane est venue à la salle de montage et nous avons sympathisé. La série était produite par Denis Carot et quand Sophie Révil et lui se sont lancés dans l’aventure de L’Amour flou, ils lui ont glissé mon nom. C’est ainsi que je me suis retrouvée à monter son premier long métrage.
À quel moment vous a-t-elle parlé de son désir d’adapter Dites-lui que je l’aime ?
Je me souviens que pendant L’Amour flou, Romane m’a parlé du livre de Clémentine Autain qui l’a bouleversée, en me conseillant de le lire. Elle m’a d’ailleurs précisé que ce texte a trouvé plein d’échos en elle. Mais je ne savais pas précisément lesquels car Romane ne parlait jamais de sa mère [qui l’a abandonnée quand elle avait 9 mois, NDLR]. D’ailleurs, quand elle s’est lancée dans ce projet, elle devait en faire une adaptation littérale, sans entremêler le vécu de Clémentine Autain et le sien. Après, quand nous connaissons Romane et la manière dont elle fabrique ses films et ses séries, il était impossible qu’elle ne mette pas un peu d’elle dans le film. Mais le processus a été long. Romane a fait un déni d’évidence car tout le monde autour d’elle savait qu’elle finirait par s’éloigner d’une transposition littérale.
Après sa première version du scénario, ses producteurs lui ont d’ailleurs dit : « C’est une jolie adaptation mais où es-tu, toi ? » Même si elle était contre cette idée au départ, c’est ce qui a fini par l’amener à faire dialoguer l’histoire de sa mère Maguy avec celle de Clémentine Autain…
Romane ne m’a pas fait lire cette première version. Je n’ai lu le scénario qu’une fois les deux histoires entremêlées. Et j’ai adoré. C’était rythmé, drôle et émouvant à la fois. Nous nous sommes appuyées là-dessus pour la première version du montage, en suivant à la lettre le scénario qui avait d’ailleurs décroché l’Avance sur recettes. Et là, ça a été la douche froide.
Pour quelle raison ?
Ce qui fonctionnait à l’écrit ne marchait pas à l’écran. Le liant entre l’histoire de Clémentine et celle de Romane ne se faisait pas vraiment. Et puis il y avait au milieu des deux toutes les scènes d’enquête de Romane sur sa mère, mises en scène, fictionnées, qui apportaient une touche de comédie dans le ton de L’Amour flou, mais tombaient un peu comme un cheveu sur la soupe en ayant une fâcheuse tendance à casser l’émotion qui s’était installée.
Comment êtes-vous retombées sur vos pieds ?
Nous avons pris le mois d’août pour réfléchir et je crois que Romane a passé un très mauvais été. (Rires.) Puis, à la rentrée de septembre, nous avons décidé de couper toutes les scènes d’enquête, soit près d’un tiers du film ! Ces scènes-là nous gênaient parce qu’elles étaient trop explicatives et redondantes avec le reste du film. Mais elles contenaient des informations indispensables pour que le spectateur puisse suivre le récit. Il a donc fallu trouver un moyen de glisser ces infos autrement. Romane a donc reconstruit ce qui manquait en utilisant des photos et ses propres mots. Avec Gabor Rassov, elle a réécrit le scénario de son point de vue. C’est ainsi, je pense, que le dernier rempart de ses réticences à se raconter a cédé. Nous avons pu tenter, tester des choses. Ça a pris du temps, d’autant qu’il ne fallait pas abîmer le patchwork qui constitue l’ADN du film (qui mêle un extrait du Cendrillon de Joël Pommerat, des images d’archives de Dominique Laffin et de la mère de Romane, des scènes de fiction…). Et ce n’est que le dernier jour de montage que Romane est venue me dire qu’elle avait des photos de sa mère et m’a demandé si ça pouvait m’intéresser.
Comment fait-on pour que ce patchwork fonctionne ?
C’est vraiment un travail de coupes pour dépouiller chaque moment de ses artifices… tout en prenant garde de ne pas aller trop loin ! Ça nous est d’ailleurs arrivé de tomber dans ce travers et nous avons rapidement constaté que tout devenait trop sec, trop factuel, manquait d’émotions. Ce questionnement fut permanent. Car à vouloir trop enlever des choses, on dévitalise. Et il faut alors remettre une partie de ce que nous avions coupé, voire non retenu. Je pense à ce plan de Romane et Clémentine qui pleurent et se prennent dans les bras. Il ne faisait pas partie des rushes, quelqu’un l’avait juste filmé après une scène. Mais quand, à un moment du récit où on se situe dans l’enquête de Romane sur sa mère et où on perd un peu de vue l’histoire de Clémentine, il a fallu recréer un lien entre les deux, je l’ai inséré. Nous pouvons vraiment parler d’un travail de fourmi.
Amélie Massoutier est aussi créditée au montage. Quel a été son rôle ?
Amélie est une amie monteuse qui a commencé à travailler sur Dites-lui que je l’aime pendant que je finalisais un autre projet. Elle faisait partie de l’équipe de L’Amour flou, et Romane était en totale confiance avec elle.
Se connaître aussi bien que Romane et vous était plus qu’un atout sur un projet aussi intime, non ?
Oui, parce que ce matériau-là ne m’est pas inconnu, mais aussi parce que mon amour profond pour Romane m’a permis de la remettre plusieurs fois au centre de son film alors qu’elle avait tendance à s’en éloigner. Par timidité, par pudeur, par peur de trop se mettre en avant. Par exemple, nous lui avions tous dit, depuis le départ, que c’est elle et personne d’autre qui devait prêter sa voix à sa mère. Mais elle ne voulait pas l’entendre. Elle a fait passer des essais à des comédiennes qui étaient plus douées les unes que les autres mais ça ne fonctionnait pas, ça nous sortait du film et Romane a fini par en être convaincue. C’est symptomatique de sa personnalité de femme et d’artiste.
Quand sait-on qu’on a fini de monter un film ?
C’est l’éternelle question ! Nous avons évidemment un temps délimité par la production mais je sais d’expérience que si le film n’est pas là, on nous laissera continuer. Donc je ne me mets jamais de pression là-dessus. Sur Dites-lui que je l’aime, nous avons eu la chance de profiter de la grosse coupure estivale qui nous a offert le recul nécessaire pour comprendre que nous faisions fausse route. Ça a accéléré le processus de vouloir essayer des choses plus radicales. Ce temps d’infusion a permis une remise en question que nous n’aurions sans doute pas prise à ce point à bras-le-corps. Ça a aidé Romane à aller au bout de son geste, à verbaliser toutes ces choses qu’elle voulait dire par rapport à son père, sa mère. Je crois que pour ce film, la fin du montage a coïncidé avec ce moment-là. Le symbole de la fin d’un voyage à rebondissements, passionnant et fort, que j’ai vécu à ses côtés.
DITES-LUI QUE JE L’AIME
Réalisation : Romane Bohringer
Scénario : Romane Bohringer Gabor Rassov, d’après l’œuvre de Clémentine Autain
Montage : Céline Cloarec, Amélie Massoutier
Production : Escazal Films
Distribution : ARP
Ventes internationales : Kinology
Sortie le 3 décembre 2025
Soutiens sélectifs du CNC : Aide à la création de musiques originales, Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)