Charline Bourgeois-Tacquet, l’art de la comédie romantique

Charline Bourgeois-Tacquet, l’art de la comédie romantique

15 septembre 2021
Cinéma
Anaïs Demoustier et Valeria Bruni Tedeschi dans
Anaïs Demoustier et Valeria Bruni Tedeschi dans Les Amours d'Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet Haut et Court
Découverte en 2019 avec le court Pauline asservie, récit d’une obsession amoureuse, la réalisatrice prolonge cette thématique en format long avec Les Amours d’Anaïs, un autre voyage palpitant sur la carte du Tendre. Elle raconte au CNC la fabrication d’une héroïne de comédie romantique pas comme les autres, et la manière dont ses deux films se répondent et se complètent.

Même si votre héroïne change de prénom, Les Amours d’Anaïs apparaît comme le prolongement de votre court métrage Pauline asservie. Est-ce l’envie de réaliser une comédie romantique qui vous a porté vers ces projets ?

C’est l’histoire qui m’a amené vers la comédie romantique. L’histoire du long métrage – car ce projet est en fait antérieur au court – avec, au cœur du récit, un triangle amoureux, une histoire de désir totalement imprévue entre ma jeune héroïne et la femme de son amant. Anaïs, comme la Pauline du court, très proches en effet l’une de l’autre, sont largement nourries de moi, de ma sensibilité, de mes questionnements. Il ne s’agit pas d’autobiographies, mais pour une large part d’autofiction. Avec cependant des différences entre les deux projets. Pauline asservie est une pure comédie qui s’appuie sur une héroïne commentant ce qui se passe autour d’elle et ses attentes. Alors que dans Les Amours d’Anaïs, tous les personnages du triangle amoureux sont présents à l’écran, et le défi a été d’apporter au personnage d’Anaïs une profondeur que je n’avais pas eu le temps de creuser chez Pauline.

Vous avez vécu ce court métrage comme un exercice d’entraînement avant le long ?

Non, comme un vrai projet autonome, même s’il allait favoriser le passage au long en faisant découvrir mon univers. Au départ, je voulais être actrice. Je n’avais pas du tout prévu d’écrire. Puis j’ai fait des études de lettres, j’ai travaillé dans l’édition. Et quand j’ai quitté mon poste chez Grasset pour me consacrer au cinéma, j’avais déjà 25 ans. J’avais conscience que personne ne m’attendait. J’ai commencé à m’écrire des rôles, dont le personnage de Pauline asservie, né aussi de mon envie de longue date de faire quelque chose à partir des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. J’ai relu cette œuvre et travaillé sur le thème de l’absence et de l’obsession pour élaborer mon scénario.

À quel moment se fait la rencontre avec Anaïs Demoustier, élément détonateur et commun aux deux films ?
Une fois le scénario de Pauline asservie terminé. Assez tôt, Stéphane Demoustier m’avait fait part de son envie de travailler avec moi. Envie réciproque ! Et même si ça paraît dur à croire, je ne savais pas qu’ils étaient frère et sœur ! Donc quand il m’a parlé d’Anaïs après deux ou trois mois où l’on peinait à trouver le financement avec moi dans le rôle-titre, je lui ai dit que je l’adorais, mais que je pensais qu’elle n’accepterait jamais un court métrage. Là, d’un air malicieux il m’a dit qu’il la connaissait bien… mais je n’ai toujours pas tilté. Je lui ai même expliqué que finalement j’avais très envie de jouer ! Heureusement, quand j’en ai parlé à Philippe Carcassonne, qui est un peu mon parrain de cinéma, il m’a tout de suite suggéré de rappeler Stéphane, d’expliquer que j’avais eu un moment d’égarement et d’accepter sans réserve. Ce que j’ai fait ! (Rires.) Quand Anaïs a accepté, j’ai très vite découvert à quel point elle était proche de mon personnage, à quel point elle était faite pour ce rôle. Y compris au niveau de l’élocution et de l’aspect très physique du rôle. Je n’ai rien eu à réécrire pour elle.

Les Amours d'Anaïs
Les Amours d'Anaïs Haut et Court

Une fois le court achevé, vous revenez au long. Est-ce que son écriture va alors évoluer et se nourrir de Pauline asservie ?
J’avais terminé d’écrire le long avant de réaliser le court. Et j’ai d’ailleurs proposé les deux à Anaïs en même temps. Mais après le court, où on s’était tellement amusés avec ce personnage excessif et drôle, et comme il a eu pas mal de succès en festivals, on m’a conseillé de réécrire le long métrage afin qu’il colle plus à Pauline asservie. Pendant un petit moment, ça m’a paralysée car je savais que je ne devais pas refaire le court en version longue. J’ai mis du temps à traduire concrètement ce souhait. Et puis, une fois ce blocage passé, je n’ai pas hésité à accentuer tous les excès du personnage d’Anaïs, notamment dans la première partie du film. J’ai été assez loin dans la comédie, sachant qu’Anaïs compenserait ces débordements par son capital sympathie.

C’est d’ailleurs le pari du film : comment rendre attachante une héroïne qui pourrait vite paraître insupportable ?
Vous avez raison. Je cite d’ailleurs souvent Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau car le film est emblématique d’un personnage féminin très libre, à la fois irrésistible et insupportable. 

Avec cette idée d’une comédie très physique, en particulier dans le court et la première partie du long…

Oui, c’est une obsession pour moi. J’y suis très attentive dès l’écriture dans la manière de dialoguer, de construire des scènes, de les faire s’enchaîner. Chez le personnage d’Anaïs, l’énergie naît de sa manière de s’exprimer.

J’ai répété toutes les séquences du film bien avant le tournage en jouant moi-même le rôle d’Anaïs et en confiant à mon assistante les autres rôles pendant que mon chef opérateur filmait. Ma mise en scène s’est construite en trouvant les déplacements du personnage. Enfin, sur le plateau, j’ai demandé à Anaïs Demoustier de jouer très vite. Le premier jour du tournage du court métrage, au bout de trois ou quatre prises, elle s’en est inquiétée, car elle avait le sentiment de réciter son texte comme un perroquet. Je lui ai demandé de me faire confiance car je savais qu’elle allait spontanément apporter des nuances à son jeu. À l’écran, sa virtuosité et son naturel paraissent évidents.

Cette effervescence disparaît dans la deuxième partie des Amours d’Anaïs, plus apaisée, avec le développement de l’histoire d’amour entre Anaïs et la femme de son amant. Vous travaillez différemment ces scènes-là ?
Je les répète un peu moins en amont. Et au montage, j’ai bien pris soin d’accentuer cette dichotomie entre les deux parties du film pour souligner qu’à partir du moment où la rencontre avec la femme de son amant se déploie, Anaïs se calme, le film ralentit. Je m’intéresse alors beaucoup plus aux corps et à ce qui se joue entre les personnages d’Anaïs Demoustier et Valeria Bruni-Tedeschi au-delà des mots. À la naissance du désir.

On ne pense pas spontanément à Valeria Bruni-Tedeschi pour ce rôle aux antipodes de ses emplois habituels…
C’est exact. J’avais une idée précise de la comédienne qui devrait incarner ce rôle : une femme belle, sensuelle et crédible en intellectuelle. Le visage de Valeria, que j’adore aussi comme cinéaste, a fini par m’apparaître comme une évidence. J’avais conscience qu’il y avait dans ce choix une forme de pari, précisément car on l’a rarement vue ainsi. Je lui ai envoyé mon scénario et mon court métrage. Elle a accepté. On a fait deux lectures avec Valeria, Anaïs (Demoustier) et Denis (Podalydès). J’ai tout de suite été éblouie par ce qui était en train de se passer entre eux. Valeria lisait les dialogues de manière très brute et très simple. Tout ce que je souhaitais. Et puis, une fois sur le plateau, elle a commencé à jouer différemment car elle avait très envie de faire, elle aussi, rire ses partenaires et l’équipe. Elle était frustrée. Je sentais son absence de plaisir. Or moi, je veux que les gens soient heureux sur mes tournages. Valeria avait peur d’ennuyer. Mon travail a donc consisté à la convaincre du contraire. Qu’elle allait être fascinante, belle, puissante. On a mis trois jours à se trouver et à partir de là, elle s’est complètement abandonnée. Elle est même allée très loin avec cette scène d’amour sur la plage, en plein jour.

Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir Denis Podalydès, dans le rôle de l’amant, autre figure essentielle de cette comédie romantique ?
Je savais que ce personnage pourrait spontanément paraître déplaisant car un peu lâche. Il ne fallait surtout pas l’accabler et qu’on perçoive son humour. Denis m’est donc apparu comme l’acteur idéal. Un acteur très littéraire dont je savais qu’il serait spontanément à l’aise avec les dialogues et la manière dont je travaille, et si subtil dans l’art de distiller dans la comédie. J’ai tenté ma chance et il a accepté, car il avait un trou dans son emploi du temps. Sauf que tout s’est figé avec le confinement. Comme je souhaitais tourner l’été, en décalant d’un an, j’étais sûre de perdre mes acteurs. Finalement, on a pu tourner entre les deux confinements. J’ai vraiment eu de la chance !

LES AMOURS D’ANAÏS

Date de sortie en salles : 15 septembre 2021
Réalisation : Charline Bourgeois-Tacquet.
Scénario : Charline Bourgeois-Tacquet. 
Directeur de la photographie : Noé Bach. 
Montage : Chantal Hymans. 
Musique : Nicola Piovani. 
Producteurs : David Thion, Philippe Martin, Stéphane Demoustier, Igor Auezpy. 
Distribution : Haut et Court.

Aides obtenues auprès du CNC :  
Aide au développement, Avance sur recette avant réalisation,  Aide à la création de musiques originalesAide à la distribution (aide au programme)