Cinéma d’animation : les écoles françaises s’imposent à l’international

Cinéma d’animation : les écoles françaises s’imposent à l’international

01 août 2022
Cinéma
Le court métrage
Le court métrage "Yallah", réalisé par des élèves de l’école Supinfocom Rubika (Valenciennes), primé au Siggraph 2022 Rubika

En France, les écoles attirent de nombreux étudiants étrangers désireux de se former à la « french touch » en matière d’animation. Quels sont les cursus qui s’offrent à eux ? Et comment expliquer l’attractivité de l’enseignement français dans le monde ?


Chaque année, le site anglophone Animation Career Review, une référence dans le secteur de l’animation et du jeu vidéo, publie son classement mondial des écoles d’animation. En 2022, trois françaises figurent parmi les dix premières : Gobelins, l’école de l’image (en pole position pour la deuxième année consécutive), l’École supérieure des métiers artistiques (ESMA) et Supinfocom Rubika. Troisième industrie d’animation au monde derrière les États-Unis et le Japon, première en Europe, l’Hexagone attire de nombreux étudiants étrangers qui souhaitent se former au savoir-faire français. Pour les accueillir, les écoles ont développé une offre spécifique allant de la mise en place de cursus anglophones au sein de leurs campus à la création de structures partenaires dans des pays étrangers. Et c’est bien l’ensemble de la chaîne des métiers de l’animation qui est concerné par ces formations internationales, des animateurs 3D aux story-boarders en passant par les réalisateurs d’effets spéciaux ou les monteurs.

Les écoles françaises ont une large palette de savoir-faire et de créativité
Christine Mazereau, déléguée générale du RECA

 

Un enseignement entièrement en anglais

« Les étudiants étrangers représentent la moitié des effectifs aux Gobelins », constate Cécile Blondel, directrice du développement international de l’école, d’où est sorti, entre autres, Pierre Coffin, le coréalisateur des Minions (2015) et de Moi, moche et méchant (2010), deux succès au box-office mondial. Depuis 2018, l’école pionnière du genre – son département cinéma d’animation fête ses 47 ans cette année – propose un cursus entièrement dispensé en anglais sur son campus parisien du 13e arrondissement. Du bachelor au master, il est également ouvert aux francophones qui peuvent justifier d’une expérience internationale. Une manière de préparer l’ensemble des élèves à l’univers multiculturel des grands studios. En parallèle, l’école propose des « summer schools » à destination d’étudiants et de jeunes professionnels internationaux. Depuis le début de l’année, elle a aussi lancé la version anglophone de sa classe préparatoire qui permet d’acquérir les bases pour être admis dans un cursus d’animation. « Ce programme est entièrement en ligne. Il rassemble aujourd’hui 18 nationalités », souligne Cécile Blondel. C’est également dans l’optique de favoriser à la fois l’émergence de nouveaux talents, la diversité des profils et l’égalité des chances que l’école s’est associée à la plateforme américaine Netflix en 2019 pour offrir des bourses à des étudiants du continent africain et leur permettre de suivre le cursus anglophone de l’école.

À l’image de sa consœur parisienne, l’école Rubika, spécialisée dans le design, le jeu vidéo et l’animation – avec le programme Supinfocom –, se positionne comme une école ouverte sur le monde. « L’expérience internationale ouvre de nouveaux horizons et permet de pousser toujours plus loin la création », explique Stéphane André, le directeur de l’école, laquelle est devenue depuis six mois une structure associative. Son enseignement anglophone en animation 3D est accessible en bachelor sur le campus de Valenciennes et en master sur celui de Montréal. « Il est essentiel d’apprendre à nos étudiants de travailler avec d’autres qui ne pensent pas comme eux ». Le campus du Nord accueille environ 15 % d’étrangers. « Dans ce cursus, nous avons également des enfants de familles qui ont toujours vécu à l’international ou encore des internationaux qui parlent très bien le français », rappelle le directeur.

L’expérience internationale ouvre de nouveaux horizons et permet de pousser toujours plus loin la création
Stéphane André, directeur de Rubika

Les écoles permettent aux étudiants de se former en parallèle à la langue de Molière grâce à des cours donnés sur les campus ou à des accords passés avec des structures de FLE (français langue étrangère). À l’ESMA, les élèves peuvent bénéficier de la deuxième option tout en suivant le cursus anglophone en animation 3D et effets spéciaux sur le campus de Lyon depuis 2017. « Nous avons toujours accueilli des étudiants étrangers mais il s’agissait le plus souvent de francophones ou de francophiles, explique Isabelle Teissedre, la directrice pédagogique. Ne pas proposer de cursus en anglais excluait de fait des talents qui n’avaient pas un niveau de français suffisant. C’était dommage ». Le choix s’est porté sur la ville de Lyon, « cité étudiante et troisième ville française », mais l’ESMA réfléchit à proposer cet enseignement en anglais sur ses campus de Nantes, Montpellier et Toulouse.

…et un savoir-faire qui s’exporte

Si les élèves étrangers peuvent suivre des cours en France, ils ont aussi la possibilité de se former à la pédagogie française dans leur pays. C’est l’autre stratégie du groupe Rubika qui a lancé, dès 2016, son campus à Montréal, au Canada, puis trois campus partenaires, en Inde en 2018, au Kenya en 2019 et au Vietnam, en 2020. « Dans chacun de ces pays, nous avons accès à un imaginaire extrêmement différent du nôtre qui booste la créativité et la qualité des productions », constate Stéphane André. Chaque campus partenaire possède son propre concours et compte un programme international, qui répond aux standards internationaux, et un programme national, qui regroupe des formations courtes en phase avec le marché local. « L’idée n’est pas de faire une école d’élite au service des élites », insiste le directeur. « Si l’étudiant étranger passe la moitié de sa scolarité en dehors de son campus, il est important également qu’il ne soit pas déraciné de sa culture ». L’école souhaite inaugurer d’autres antennes de ce genre en Asie et au Moyen-Orient afin d’être présente là où « existe les grands courants cultuels et culturels ». Dans ce même esprit, l’ESMA a ouvert sa propre structure à Montréal. « La ville compte un énorme hub de studios. Nombre de nos anciens y travaillaient et peinaient à recruter des talents », rapporte Isabelle Teissedre. L’école y propose sa formation en animation 3D et effets spéciaux en français, et depuis le début de l’année 2022, en anglais. « L’objectif n’est pas de faire une école uniquement pour les francophones, mais bien d’approcher le public d’Amérique du Nord dans sa globalité ».

En France, nous avons la chance d’offrir aux jeunes un enseignement sur plusieurs années, à la différence des pays anglo-saxons où le coût des études est très élevé
Isabelle Teissedre, directrice pédagogique de l’ESMA

Au-delà des frontières

Les studios d’animation les plus prestigieux s’intéressent de près aux talents formés dans l’Hexagone. À titre d’exemple, un diplômé des Gobelins, l’école de l’image est choisi chaque année pour développer au Japon des productions animées originales pour Netflix. Et chaque année encore, Disney organise le Disney Art Challenge, un concours de planches de dessin à destination des étudiants des écoles partenaires du RECA (le réseau des écoles françaises d’animation qui compte à ce jour 31 structures). L’édition 2022 autour du thème « Un peu plus près des étoiles » inspiré de Buzz l’Éclair, le dernier-né des studios Pixar, a récompensé les travaux d’étudiants des Gobelins (Paris), des écoles MoPA (Arles) et Émile Cohl (Lyon).

"Les humains sont cons quand ils s’empilent", le film de fin d’études de Laurène Fernandez
Les humains sont cons quand ils s’empilent, le film de fin d’études de Laurène Fernandez (La CinéFabrique, Lyon), a été récompensé à la Cinéfondation au Festival de Cannes 2022 CinéFabrique

Les classements internationaux comme la sélection des films de fin d’études en festival jouent un rôle primordial dans le rayonnement des écoles françaises à l’étranger. Cette année, le court métrage Les humains sont cons quand ils s’empilent, signé Laurène Fernandez, élève à La CinéFabrique (Lyon), a remporté le troisième prix de la Cinéfondation au Festival de Cannes, ex-aequo avec le film Glorious Revolution réalisé par Masha Novikova de la London Film School. Yallah, le projet des étudiants de l’école Supinfocom Rubika, Nayla Nassar, Édouard Pitula, Renaud de Saint Albin, Cécile Adant, Anaïs Sassatelli et Candice Behague, a, lui, été primé au Siggraph 2022, le salon professionnel de l’industrie des images numériques de Vancouver.Mais Internet participe aussi activement à l’attractivité des formations françaises. Certaines réalisations d’élèves, à l’image du court métrage Louise de Constance Bertoux, Camille Bozec, Pauline Guitton, Pauline Mauvière et Mila Monaghan des Gobelins, totalisent plus d’1 million de vues sur Youtube. L’ESMA rassemble même sur son compte @ESMAMovies 1,35 millions d’abonnés, ce qui en ferait la deuxième école en nombre de « followers » dans le monde… après Harvard (2,16 millions). 

« Notre business model à travers le soutien des institutions publiques, et notamment les crédits d’impôt, permet une large liberté d’action dans les productions.
Cécile Blondel, directrice du développement international des Gobelins, l’école de l’image

Une french touch au pluriel

Qu’est-ce qui fait la force de l’enseignement français ? « Public ou privé, il se distingue par sa diversité, sa professionnalisation et son ancienneté, explique Christine Mazereau, déléguée générale du RECA. Les écoles françaises ont une large palette de savoir-faire et de créativité ». Très tôt, les étudiants baignent dans une culture de l’image et de la narration, avec des cours de sémiologie ou d’histoire de l’art : l’un des secrets de la « french touch » ? « Il n’existe pas une french touch, mais des french touch au pluriel, soutient Christine Mazereau. La spécificité de l’animation française est de proposer des projets éclectiques sans formatage ». Des films familiaux tels Kirikou et la sorcière (1998) ou Astérix, le secret de la potion magique (2018) aux œuvres animées pour adultes comme Persepolis (2007) ou J’ai perdu mon corps (2019), la diversité des genres est un point fort de l’animation française. « Notre business model à travers le soutien des institutions publiques, et notamment la mise en place des crédits d’impôt (ndlr : crédit d’impôt audiovisuel et crédit d’impôt international) permet une large liberté d’action dans les productions », remarque Cécile Blondel des Gobelins, l’école de l’image.

"Persepolis" de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi
Persepolis de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi Diaphana

Autre spécificité : la plupart des formations françaises s’étendent sur quatre à cinq ans. « En France, nous avons la chance de pouvoir déployer un enseignement dense sur plusieurs années, ce qui n’est pas forcément le cas des pays anglo-saxons où le coût des études est très élevé pour les jeunes », détaille Isabelle Teissedre de l’ESMA. Un atout qui permet de former des profils capables de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production. « De la préprod, à la postprod, en passant par la DA (ndlr : direction artistique), les métiers évoluent rapidement, il vaut donc mieux être généraliste pour s’insérer facilement sur le marché du travail », indique Stéphane André du groupe Rubika. Dopée par les besoins accrus des plateformes, l’animation recrute à tour de bras dans le monde. Et les talents français sont particulièrement scrutés lors des « job fairs » ou des jurys de fin d’études. « À l’ESMA, l’année dernière, nous avons enregistré pas moins de 1150 entretiens d’embauche le lendemain de la remise des diplômes », se souvient Isabelle Teissedre.Le taux d’insertion professionnelle des étudiants des écoles françaises d’animation du RECA oscille entre 90 et 100 %. « On nous reprocherait presque de ne pas fournir assez de diplômés ! », sourit Christine Mazereau.