Claude Mouriéras, aventurier des images

Claude Mouriéras, aventurier des images

19 mars 2019
Cinéma
Tags :
Claude Mourieras
Claude Mourieras CineFabrique

Ce cinéaste rare envisage chaque film comme une aventure humaine et fait sauter les digues entre documentaire et fiction. Depuis 4 ans, l’homme a cependant rangé ses caméras pour prendre la direction de son école – la CinéFabrique – qui forme des jeunes aux métiers du cinéma. Portrait.


« Faire du cinéma, c’est aller voir comment va le monde, puis essayer éventuellement de le corriger. » Voilà le crédo du cinéaste Claude Mouriéras, 65 ans, qui a toujours envisagé son métier comme une aventure humaine, solidaire et sans frontières. Lorsqu’il évoque son parcours, cet homme d’image évite de parler de carrière, ni de classer les choses en fonction de leurs natures supposées. Et puisque le réel ne peut pas s’apprivoiser et aurait même une fâcheuse tendance à se réinventer tout le temps, l’inspiration se doit d’être vagabonde : « Ce qui m’intéresse c’est quand les lignes se brouillent et se croisent. Je me souviens d’un film que je tournais en Afghanistan [Le voyage des femmes de Zartalé en 2005], j’avais écrit un scénario, tout était à priori encadré, pourtant plus j’avançais, plus j’avais le sentiment que les choses m’échappaient et avaient leurs existences propres. Je ne pouvais plus vraiment les contrôler. Je me suis donc retrouvé à faire une fiction dans une position de documentariste. J’ai adoré ça. »  

CHANGER D’AIR

Cette anecdote résume bien la trajectoire aventureuse de Claude Mouriéras qui débute à la fin des années 80 et dessine d’emblée des chemins buissonniers avec l’expérimental Montalvo et l’enfant, film en noir et blanc sans dialogue d’après un ballet de Jean-Claude Gallotta, sélectionné à La semaine de la critique. Il y aura ensuite les remarqués : Dis-moi que je rêve, Prix Jean Vigo, autour d’un jeune marginal que sa famille essaie tant bien que mal de comprendre ou encore la comédie dramatique Tout va bien on s’en va, portée par Miou-Miou, Michel Piccoli et Sandrine Kiberlain, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. En 2000, le cinéaste décide pourtant de changer d’horizon. D’abord en Ethiopie puis en Afghanistan pour y tourner des documentaires avec l’idée de s’imprégner de nouvelles cultures et ainsi de remettre en jeu son art. « Passer d’un format à l’autre ou partir vers des territoires différents répond à une même logique, c’est comme respiration. Parfois on a besoin d’aller chercher de l’air ailleurs pour raconter des histoires. » Ce sera d’abord Le prêt, la poule et l’œuf en 2002 qui raconte comment plusieurs femmes dans un village éthiopien décident d’unir leur force pour faire fonctionner leur commerce. De là, le cinéaste sollicité par Médecins du Monde, passe en Afghanistan pour y tourner un film dans un hôpital à Kaboul, mais les conditions de sécurité empêchent le tournage. « J’ai appelé le responsable d’Arte qui finançait le film. Je lui ai raconté mes problèmes, il m’a conseillé de rentrer. Je suis resté. » Résultat, en un an, il livre une série documentaire découpée en 5 fois 26 minutes (Chagcharan, un hôpital afghan) et un téléfilm (Le voyage des femmes de Zartalé). « Quand je suis arrivé en Afghanistan, je suis resté une semaine sans interprète dans un village du Nord-Ouest. Pendant 8 jours je me suis donc retrouvé au milieu de gens dont je ne parlais pas la langue. C’était une façon passionnante de se fondre dans une culture. »

UN RING DE BOXE

A première vue, l’éclectisme dont fait preuve l’œuvre du réalisateur - qui compte aussi des téléfilms dont une adaptation du Partage de Midi de Paul Claudel en 2009 -  empêche de l’envisager dans son ensemble. Au pays de la « politique des auteurs », une telle liberté serait presque suspecte. Et pourtant se dégage à chaque fois cette même idée du vivre ensemble et cette volonté de chercher la meilleure façon d’exister depuis la marge. « La notion de famille est centrale dans mon écriture. La famille c’est comme un ring de boxe, un endroit magnifique où l’on peut très facilement passer de l’amour à la haine. » Chez le cinéaste la notion de groupe est donc fondamentale et les individus qu’il met en scène, cherchent des solutions pour créer un équilibre et une harmonie entre les êtres. Ce n’est jamais utopique, Claude Mouriéras préfère montrer des succès (Le prêt, la poule et l’œuf…) qu’accepter l’échec. Ce goût du politique est présent dans son ADN depuis ses années de formations lyonnaises où après des études de Lettres - hypokhâgne et khâgne – il se forme à la photographie et rejoint les expériences militantes. « Dans les années 70, il y avait un désir de se servir du cinéma comme un outil de lutte. On était tous derrière Godard et son Groupe Dziga Vertov. » Si aventure il y a, elle se doit donc d’être collective donc associative. La création de son école de cinéma ouverte aux jeunes dans région Auvergne-Rhône-Alpes répond aujourd’hui à ce même élan qui n’a jamais faibli. La CinéFabrique ouverte en 2015 est née d’un constat sans appel : « Certains jeunes issus des classes populaires n’ont pas accès aux écoles de cinéma. » La CinéFabrique est ouverte aux jeunes de 18 à 25 ans, avec ou sans diplôme. L’année dernière il y avait 1200 candidats pour une trentaine de places. Claude Mouriéras tient cette école à bout de bras. Un travail à plein temps qui l’oblige à mettre entre parenthèses l’aventure de ses propres tournages. Nul doute que son envie farouche « d’aller voir comment va le monde » l’obligera bientôt à remettre son baluchon sur l’épaule.