Disparition de Jacques Perrin

Disparition de Jacques Perrin

22 avril 2022
Cinéma
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Jacques Perrin

À l’annonce de la disparition de Jacques Perrin, une courte vidéo circulait sur les réseaux sociaux : extraite de Cinema Paradiso, on y voyait le comédien, seul dans le noir d’une salle de cinéma, pleurer. Mais depuis quelques heures, c’est le monde du cinéma qui laisse éclater sa peine et sa tristesse. Avec Jacques Perrin s’éteint une figure majeure du cinéma des cinquante dernières années. Majeure, et discrète également. Car Jacques Perrin aura eu mille vies, empruntant des itinéraires multiples, intègres et secrets, nourris d’une passion et d’un engagement inextinguibles. D’abord jeune premier (avec ce profil si parfaitement classique et cette « beauté (digne) des hommes romantiques » comme le chantait Deneuve), il était devenu producteur par nécessité et par conviction, ainsi qu’un réalisateur engagé.


Né le 13 juillet 1941, Jacques Perrin (de son vrai nom Simonet) naît dans une famille d’artistes. Son père est régisseur à la Comédie-Française, tandis que sa mère est actrice, grande amatrice de poésie. Il quitte l’école très tôt, et fait ses débuts au théâtre à l’âge de 14 ans. Très jeune, il croise Simone Renant, Jean Marais, et un débutant nommé Jean-Paul Belmondo. Il entre au Conservatoire à la fin des années 50, mais n’y reste que quelques mois : Perrin ne tient pas en place. Aux institutions, à l’Académie, il préférera toujours la bohême, les voyages et la liberté…

Jeune premier

Ses débuts au cinéma sont miraculeux. Après quelques apparitions chez Marcel Carné ou Claude Boissol, il est repéré par le grand cinéaste italien Valerio Zurlini qui lui propose de jouer le jeune Lorenzo face à Claudia Cardinale dans La Fille à la valise (1962). Ce premier grand rôle est vécu comme un arrachement. « Ce fut un processus classique d’auditions, confiait-il au magazine Studio Ciné-Live en 2016. Mais lorsque j’ai su que j’étais engagé, j’ai été dévoré par le remords. Je faisais partie d’une troupe de théâtre, avec ma sœur Eva et Christian Barratier, l’oncle de Christophe. En partant pour l’Italie, j’ai eu le sentiment de les trahir. Mais une fois sur place, entre la fascination qu’exerçaient sur moi le cinéma italien de ces années-là et la ville de Rome, je me suis senti à la maison. » De fait, pendant vingt ans, Jacques Perrin jouera autant en France qu’en Italie, croisant la route de metteurs en scène transalpins renommés comme Mauro Bolognini (La Corruption), Duccio Tessari (Le Procès des doges), Vittorio de Seta (L’Invitée), ou encore Aldo Lado (La Désobéissance). 

En France, à la même époque, s’il joue pour Clouzot (La Vérité, en 1960) il passe étrangement à côté de la Nouvelle Vague : « Je ne peux pas m’expliquer pourquoi cette rencontre ne s’est pas faite, confiait-il, toujours à Studio Ciné-Live. C’est un mystère. Pourtant, je connaissais l’homme de l’ombre de cette Nouvelle Vague, Georges de Beauregard. Un personnage frustre, un peu vulgaire, avec un talent de découvreur inouï. J’ai eu la chance qu’il m’aime bien. » C’est de fait Beauregard qui, en 1964, lui présente Pierre Schoendoerffer, alors en préparation de La 317e section. Schoendoerffer le trouve trop jeune et trop fluet, mais il lui confie malgré tout le rôle du sous-lieutenant Torrens. Le tournage de ce film au Cambodge, à la frontière du Laos et du Vietnam, est une aventure folle, émaillée de difficultés nombreuses, apocalyptiques. Précisément tout ce qui confère la beauté moite de cette œuvre à part qui restitue l’épopée d’un bataillon mené par Torrens, secondé par l’adjudant Willsdorf (Bruno Cremer), vers les collines de Diên Biên Phu. Un grand film sur la défaite militaire auquel Jacques Perrin confère sa douceur étrange et son autorité suave. Perrin retrouvera Schoendoerffer pour Le Crabe-Tambour en 1977 et L’Honneur d’un capitaine en 1982.

C’est après sa rencontre avec Pierre Schoendoerffer, que Jacques Perrin croise la route de Jacques Demy. Le cinéaste nantais lui propose à son tour un rôle de militaire, mais dans un tout autre registre : la comédie musicale Les Demoiselles de Rochefort. « Notre rencontre fut étrange, surprenante. D’ailleurs, je lui ai tout de suite dit que je ne savais ni chanter ni danser. Il m’a expliqué que ça ne le dérangeait pas. Il me demandait juste d’être le personnage… Pourtant, à la lecture du scénario, ce n’était pas si évident. Maxence a les cheveux blonds. J’étais brun ! Demy s’était-il trompé ? Une fois sur le plateau, on m’a amené chez le coiffeur de la place centrale de Rochefort et une assistante m’a plongé la tête dans l’eau oxygénée. J’ai été terrifié quand je me suis vu dans la glace, mais Jacques a adoré. Je lui ai fait confiance. » Jacques Perrin impose ici son incroyable douceur, dans les gestes comme dans la voix. Son marin peroxydé assoiffé d’idéal et sa beauté romantique marqueront des générations, tout comme son prince de Peau d’âne, réalisé par le même Demy. 

Producteur

Entre-temps, il y aura eu une autre rencontre, aussi essentielle, avec une autre personnalité marquante du cinéma de ces années-là : Costa-Gavras. Jacques Perrin tourne sous sa direction dans Compartiment tueurs et Un homme de trop. Et puis, en 1969, arrive Z, dans lequel il doit jouer le journaliste photographe intrépide qui, parallèlement au juge interprété par Trintignant, mène l’enquête sur l’assassinat du député progressiste incarné par Montand.

Z marque surtout son passage à la production. À l’époque, personne ne veut prendre en charge le film sulfureux de Costa-Gavras, et Perrin, avec l’aide de Mohammed Lakhdar-Hamina relève le défi. Il n’a qu’une seule certitude : « Produire, c’est défendre ce que l’on croit. Le producteur, c’est avant tout un avocat chargé de plaider la cause du film. » Un programme à la fois modeste et ambitieux, qui exige de nourrir d’un enthousiasme perpétuel le labeur de l’artisan. Quoi qu’il en soit, cette première aventure est consacrée par un Oscar et lui donne l’envie de continuer. Il n’abandonnera jamais sa carrière d’acteur (il jouera les flics dans des productions populaires des années 80 et les vieux sages à partir des années 2000, comme dans Goliath de Frédéric Tellier, son dernier film actuellement à l’affiche), mais il se consacrera progressivement de plus en plus à cette nouvelle activité. Toujours au service des projets des autres et engagé pour la diversité du cinéma français, il occupe, de 1982 à 1983, le rôle de président de la commission d’Avance sur recettes. Une année marquée par l’augmentation de 50% des financements servant à soutenir les films, sous le ministère de Jack Lang.

En tant que producteur, il finance d’abord des projets fictionnels audacieux (Le Désert des Tartares de Valerio Zurlini ou La Victoire en chantant de Jean-Jacques Annaud), avant de se spécialiser dans le documentaire nature. La cause écologique devient sa véritable obsession. Précurseur, il se fait l’avocat de la nature au cinéma dès les années 80, à travers des productions époustouflantes : « Devant un paysage magnifique, expliquait-il fréquemment, il faut se taire et écouter le spectacle de la symphonie naturelle. C’est dans cet état que je veux mettre le spectateur quand je réalise et produis ces films. » Chacun d’eux nécessitera des moyens techniques colossaux, des recherches scientifiques parfois très longues et des voyages à travers le monde. Le Peuple singe (Gérard Vienne, 1989), Microcosmos : Le Peuple de l’herbe (Claude Nuridsany et Marie Pérennou, 1996), Himalaya, l’enfance d’un chef (Éric Valli, 1999), Le Peuple migrateur (Jacques Perrin, Jacques Cluzaud et Michel Debats, 2001), Océans en 2009… La liste est impressionnante, les risques financiers et les succès également. En tant que réalisateur ou producteur « j’ai le sentiment de faire des films engagés », confiera-t-il au moment de la sortie des Saisons, sa dernière production nature (2015).

Qu’il soit acteur, producteur ou réalisateur, Jacques Perrin dégageait finalement la même élégance et la même intelligence. Mû par sa passion des rencontres et du partage, il laisse une trace indélébile dans l’histoire du 7e art. Mais pas seulement au sens où on l’entend. Dans l’émission documentaire Empreintes qui lui avait été consacrée en 2010, il expliquait : « Je n’ai rien à dire, rien à enseigner, pas de message à transmettre. » Laisser une trace c’était, pour lui, avoir le moins de regrets possible. « La vie donne mille raisons de s’exalter, de rencontrer les autres. » Dans ce registre, Jacques Perrin aura donné sans compter : il a tourné dans une centaine de films, en a réalisé sept, en a produit plus d’une trentaine. Avec toujours la même conviction. Dans l’émission Empreintes, il confiait encore, dans un sourire : « À 80 ans, il faudra que je raccourcisse les épreuves. » À 80 ans, ce sourire juvénile, romantique et inoubliable vient de disparaître. Définitivement.

Les films produits et réalisés par Jacques Perrin ayant bénéficié de l’Avance sur recettes

Avec Reggane films :
Le Soleil dans l’œil (1962) de Jacques Bourdon
Z (1969) de Costa Gavras
La Guerre d’Algérie (1972) d’Yves Courrière et Philippe Monnier
La Spirale (1976) de Jacqueline Meppiel, Armand Mattelard et Valérie Mayoux
Les Quarantièmes rugissants (1982) de Christian de Chalonge

Avec Galatée Films :
Le Peuple singe (1989)de Gérard Vienne
Hors la vie (1991) de Maroun Bagdadi
Microcosmos : Le Peuple de l’herbe (1996) de Claude Nuridsany et Marie Pérennou
Himalaya : L'Enfance d'un chef (1999) d’Éric Valli
Le Peuple migrateur (2001) de Jacques Perrin, Jacques Cluzaud et Michel Debats
Le Bel Âge (2009) de Laurent Perreau (Avance sur recettes après réalisation)
Océans (2009) de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud
L’Empire du milieu du sud (2010) de Jacques Perrin et Éric Deroo