Après le choral Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Chronique d’une liaison passagère, centré autour d’un couple, a quelque chose de plus intime…
Les projets remontent parfois plus loin qu’on ne le pense. Chronique d’une liaison passagère a été pensé avant mon film précédent, mais ne trouvant pas mon casting idéal, j’avais renoncé. Paradoxalement, il est plus difficile de trouver un couple qui fonctionne à l’écran, que cinq ou six personnages différents. Surtout si ce couple est, comme ici, de tous les plans. L’erreur est interdite. Avec plusieurs personnages qui se croisent, on peut éventuellement masquer un défaut. Il me fallait donc une évidence. En préparant ce qui allait devenir Chronique d’une liaison passagère, j’avais déjà rencontré Vincent [Macaigne]. Il me paraissait cependant trop jeune pour le rôle. On a donc tourné l’autre film ensemble et peu à peu, il m’est apparu suffisamment mûr pour le rôle. Peut-être que sa barbe lui donnait une assise, un aspect moins juvénile. Le choix de sa partenaire a été déterminant. L’idée de prendre une comédienne un peu plus âgée que lui créait un rapport qui me plaisait bien.
Le côté hésitant, voire maladroit, du personnage interprété par Vincent Macaigne s’inscrit dans la lignée des protagonistes de vos films précédents. Il vous est même arrivé de les incarner…
On me demande souvent pourquoi je ne joue plus dans mes films. Il faut savoir que ça n’a jamais été un désir. Il s’agissait souvent d’une demande de mes producteurs. Pour ce film, la densité du texte et les impératifs de la mise en scène m’interdisaient d’être ailleurs que derrière la caméra. Le film paraît simple, mais c’est sûrement le plus compliqué qu’il m’a été donné de tourner. Concernant Vincent [Macaigne] et le profil de son personnage, il y a eu très clairement une évidence. En le voyant s’approprier les mots du scénario, je retrouvais des choses que j’avais projetées en les écrivant, tant au niveau de la sensibilité, des sentiments que des couleurs. Il y a aussi la part d’instinct du comédien qui allait au-delà de mes attentes. Lorsque Vincent et Sandrine [Kiberlain] ont été réunis, je n’avais pas de direction d’acteur à faire...
Vous évoquiez la complexité de la mise en scène…
Chronique d’une liaison passagère se concentre uniquement sur les rendez-vous des deux amants. Tout le reste est hors champ. C’était une volonté très claire dès le départ. J’aurais pu les mettre dans une chambre, et le film se serait intégralement passé dans un lit. Or l’idée du huis clos ne m’intéressait pas. Je cherchais au contraire une certaine ampleur. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de décors, de lieux de rendez-vous. Cette histoire intime devait être la plus passionnante possible. De surcroît, il fallait que j’arrive à faire en sorte que le spectateur ait toujours envie de voir les deux personnages, qu’il ne se lasse jamais d’être avec eux. Ma mise en scène donne ainsi ce sentiment de les chercher, alors qu’ils sont à l’image. On cherche leur visage, leur regard, leur expression... J’avais décrété dès le départ qu’on ne les verrait jamais assis mais toujours en action… Cela impliquait donc très peu de champs, contrechamps.
Le recours au plan séquence devenait donc obligatoire.
Le montage se fait au sein même du plan séquence. La circulation des personnages induit directement les mouvements de caméra. C’est un jeu du cadre en permanent. Apparition, disparition, plan moyen, gros plan, ombre, lumière... C’est compliqué à mettre en place. Les comédiens avaient deux, trois pages de texte par séquences, des positions à respecter, c’était une chorégraphie très précise. Être dans la continuité du jeu avec les acteurs était un vrai plaisir pour un metteur en scène. Pour eux aussi, je crois.
Le rythme du film est rapide…
Le spectateur se fait détective et doit reconstituer les pièces manquantes, renouer les fils... C’était excitant de jouer avec ça. Je voulais aussi que le spectateur coure après le film, le texte, l’action, les personnages... Il se doit d’être concentré s’il ne veut pas être laissé sur le bord du chemin. Sa curiosité est maintenue s’il n’a pas le sentiment d’en avoir trop vu.
Chronique d’une liaison passagère s’inscrit dans le genre de la comédie romantique. Cela vous a demandé de jouer avec des figures imposées ?
Je n’ai jamais pensé mon film par rapport à un genre précis. Ce qui m’intéresse c’est la situation générale et le suspense que cette situation peut entraîner. Il s’agit ici d’une histoire d’amour qui ne dit pas son nom, les deux amants ne veulent pas s’engager, ou plutôt, ils s’engagent à ne pas s’engager. Ils sont a priori contre ce qu’impliquerait une histoire d’amour conventionnelle, à savoir des projections, des sentiments trop affirmés… Le suspense vient de la possibilité que cette romance soit finalement possible. Comment rester libre de ses sentiments tout en étant possédé par l’autre ?
Ce pacte, impossible à tenir, est l’objet même du film ?
Qu’est-ce que la fidélité ? Les personnages sont dans un conflit de fidélité. S’agit-il de respecter ses promesses ou ce que l’on ressent ? Difficile de trancher dans une société et un ordre social qui prônent à la fois une certaine liberté et reposent également sur une certaine fidélité à ses engagements. Tout l’enjeu est de pouvoir vivre sa vie. Je ne donne pas de réponse à ces questions. Je préférerais toujours les films qui interrogent, qui me donnent à penser, à ceux où tout est résolu. Hitchcock disait : « Si vous avez un message à donner, ne faites surtout pas un film, prenez un haut-parleur, c’est plus simple ! »
Votre couple se retrouve au cinéma devant Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman qui leur renvoie une image qu’il cherche justement à fuir...
Nos deux personnages essaient de respecter leur engagement, de ne pas créer trop de tension, de rester dans quelque chose de léger, alors que le film de Bergman propose tout l’inverse, l’homme et la femme se crient dessus, se frappent aussi parfois...
La parole y est aussi centrale…
Quand le cinéma a cessé d’être muet, il ne s’est pas privé d’utiliser la parole. Revoyez les films de Lubitsch, Capra… C’est incroyable cette densité de dialogues. Nous sommes aujourd’hui dans une période du cinéma français où l’on parle moins que dans le passé. La parole est pourtant très cinématographique. C’est souvent le son qui arrive en premier dans un film. Plus un personnage parle, plus il va être amené à se contredire. Le spectateur va donc chercher au fond de ses yeux pour y déceler une part éventuelle du mensonge.
La Cinémathèque française vient de programmer une rétrospective de votre œuvre. Quel sentiment cela vous procure-t-il ?
Je ne réalise pas tout à fait. Je suis surtout très heureux pour tous les gens avec qui je travaille depuis longtemps. De manière générale, je ne revois pas mes films. Peut-être parce que dans certains, je joue dedans et que je vois tous les défauts, tout ce qu’il aurait fallu corriger.
Chronique d'une liaison passagère
De Emmanuel Mouret
Avec Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne, Georgia Scalliet
Production : Moby Dick Films
Distribution : Pyramide Distribution
Scénario : Emmanuel Mouret, Pierre Giraud
Photographie : Laurent Desmet
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)
