François Nkulikiyimfura : « L’industrie cinématographique rwandaise est toute récente mais ne cesse de se développer »

François Nkulikiyimfura : « L’industrie cinématographique rwandaise est toute récente mais ne cesse de se développer »

23 août 2022
Cinéma
« 100 days » de Nick Hughes.
« 100 days » de Nick Hughes. Vivid Pictures/Nick Hughes

Du 23 au 28 août, la ville d’Angoulême accueille la quinzième édition du Festival du film francophone, dirigé par Marie-France Brière et Dominique Besnehard. Cette année, le Rwanda en est le pays invité, à travers une sélection de onze longs métrages, fictions et documentaires. L’occasion d’aller rencontrer son ambassadeur en France pour l’interroger sur l’état du cinéma rwandais, son jeune passé et ses pistes de développement.


Avant d’évoquer le cinéma rwandais, quel est votre rapport, Monsieur l’Ambassadeur, au 7e art ?

Tout jeune, le cinéma était pour moi LA sortie en famille. Si je dois vous parler de mes films de chevet, je citerai plus spontanément des films américains : Invictus de Clint Eastwood avec Morgan Freeman ; Malcolm X de Spike Lee avec Denzel Washington ; ou encore Ray de Taylor Hackford et l’interprétation sidérante de Jamie Foxx en Ray Charles. Durant mon enfance, j’étais un grand fan de films comiques français, notamment ceux de Louis de Funès qui me faisaient hurler de rire. Le film français qui sort du lot selon moi et que je ne me lasserai jamais de regarder c’est Le Dîner de cons de Francis Veber. L’art de la comédie à son apogée.

Que représente à vos yeux le coup de projecteur sur le cinéma rwandais proposé par le Festival du film francophone d’Angoulême cette année ?

On ne remerciera jamais assez Marie-France Brière et Dominique Besnehard pour cette invitation et cette lumière sur cette jeune cinématographie qui est la nôtre. Le jour de l’ouverture, ce mardi 23 août, le drapeau rwandais sera hissé sur l’Hôtel de Ville d’Angoulême. C’est un symbole fort et un encouragement pour nous. Vous savez, nos premiers films de fiction datent de 2001, c’était il y a un peu plus de vingt ans. Vingt années pendant lesquelles plusieurs de nos compatriotes ont été récompensés dans différentes manifestations cinématographiques à travers le monde. Je pense notamment au prix d’interprétation reçu à Angoulême voilà deux ans par Isabelle Kabano – présente dans le jury présidé par André Dussollier cette année – pour Petit Pays d’Éric Barbier, d’après le merveilleux roman de Gaël Faye. En ce qui concerne les artistes qui vont venir à Angoulême, on ne présente plus l’actrice franco-rwandaise Sonia Rolland que nous sommes ravis d’avoir parmi nous. Et j’aimerais tout particulièrement rendre hommage à nos talents rwandais présents cette semaine à Angoulême, à savoir la talentueuse Éliane Umuhire, les réalisateurs et scénaristes Léo Kalinda, Philbert Aimé Mbabazi ou encore Jocelyne Ingabire Moys et Mutiganda Wa Nkunda.

Cette invitation au Festival du film francophone d’Angoulême représente à la fois une nouvelle étape pour le cinéma rwandais – l’occasion de montrer le travail accompli depuis deux décennies –, mais aussi un tremplin, une possibilité de rencontres pour nos artistes, d’échanges pour développer notre cinéma de demain et d’après-demain.


Quels films marquent le point de départ de l’histoire du cinéma rwandais selon vous ?

J’en citerais spontanément deux. D’abord Cent jours de Nick Hughes, produit par Éric Kabera, en 2001. C’est le premier long métrage tourné après le génocide de 1994 et le premier à raconter ce génocide à travers le périple d’une jeune fille tutsie. Puis, en 2004, Quelques jours en avril de Raoul Peck avec Idris Elba, Carole Karemera, une autre de nos grandes comédiennes, mais aussi Isabelle Kabano que j’évoquais plus tôt. Ce film raconte, durant cette même période, la vie d’une famille rwandaise, dont le mari est hutu et la femme tutsie. Deux films remarquables qui ont connu un beau succès dans notre pays avant de voyager à travers le monde. Avant eux, il y avait certes eu des films tournés au Rwanda, mais quasi uniquement des documentaires.

Vous évoquez Éric Kabera. Quel rôle précis a-t-il joué dans cette toute jeune histoire du cinéma rwandais ?

Un rôle central. En tant que producteur, réalisateur et scénariste, tout d’abord. Je pense notamment à Africa United de Debs Gardner-Paterson qu’il a produit en 2010, l’histoire de trois enfants rwandais tentant de réaliser le rêve de leur vie : assister à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football à Johannesburg. Mais, en parallèle de ses activités, Éric a aussi créé en 2003 le Rwanda Cinema Center, un organisme aux actions multiples. Il forme de jeunes cinéastes afin que les Rwandais puissent s’emparer de l’histoire de leur pays et la raconter au monde puis, à terme, développer d’autres récits plus universels.

Il organise aussi depuis 2005 le Rwanda Film Festival, surnommé Hillywood, dont les projections s’étendent à tout le pays, au-delà de la seule ville de Kigali.

Que représente l’industrie du cinéma pour le gouvernement rwandais actuel ? Mène-t-il des actions concrètes pour le soutenir ?

Le cinéma est important pour notre gouvernement. Cela se traduit par des actes très concrets. En 2019, un Bureau du Cinéma a ainsi été mis en place, dont l’objectif est de développer le secteur audiovisuel et de promouvoir le Rwanda comme une destination de tournage pour les productions internationales. Ses activités ont malheureusement été freinées par la crise du Covid. Cependant, depuis le début de cette année, le Bureau du Cinéma a pris un nouvel élan qui commence à porter ses fruits avec des incitations à développer le secteur, à accompagner les talents de notre pays dans les phases de financement de leurs œuvres mais également à attirer les cinéastes étrangers afin qu’ils profitent de la diversité de nos paysages pour leurs tournages.


Il y a beaucoup de salles de cinéma au Rwanda ?

Pas assez, malheureusement, même s’il s’en construit quelques-unes. Je tiens malgré tout à vous rappeler le contexte. Après le génocide perpétré contre les Tutsis, la priorité pour les dirigeants rwandais a été de reconstruire les infrastructures du pays. Le cinéma n’était pas aussi prioritaire, comme vous pouvez le comprendre. Aujourd’hui, le 7e art est devenu un sujet important qui ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des années. 

Le Festival d’Angoulême propose une sélection de onze longs métrages rwandais. Quel serait celui que vous nous conseillerez spontanément comme porte d’entrée à ce cinéma ?

Question piège ! (Rires.) C’est comme si vous me demandiez de choisir entre mes enfants ! Je me garderai donc de vous donner un titre de film et préfère laisser le plaisir de la découverte aux futurs spectateurs. Mais l’essentiel à mes yeux est ce que cette sélection symbolise. Avoir la capacité de proposer une sélection de onze films mêlant fictions et documentaires en vingt ans d’existence constitue la meilleure preuve que notre industrie possède des bases solides sur lesquelles on peut construire un avenir. 

Comment voyez-vous le futur du cinéma rwandais ?

Je suis très optimiste car on peut s’appuyer sur les talents déjà récompensés sur le continent africain ou ailleurs – comme Isabelle Kabano que j’évoquais plus tôt ou Joël Karekezi qui a remporté l’Étalon d’or de Yennenga au Fespaco 2019 avec son film La Miséricorde de la jungle mettant en scène deux soldats rwandais – un vétéran et un novice – au début de la deuxième guerre du Congo en 1998. Ce sont des modèles à suivre, des sources d’inspiration pour les générations actuelles et à venir. Ils ont ouvert des portes à travers lesquelles nous faisons tout pour que les jeunes talents que nous formons s’engouffrent. La dynamique est enclenchée, la volonté existe. Je me réjouis de cet horizon qui s’offre à nous et espère que d’ici dix ans des jeunes acteurs et producteurs rwandais décrocheront des prix dans les plus grands festivals comme Cannes, Venise, Berlin, Ouagadougou, etc. Je suis optimiste, je vous le disais, mais cet optimisme s’appuie sur des faits.
 

Festival du film francophone d'Angoulême