« Golda Maria », l’histoire d’un documentaire pas comme les autres

« Golda Maria », l’histoire d’un documentaire pas comme les autres

09 février 2022
Cinéma
Le documentaire « Golda Maria » de Patrick et Hugo Sobelman.
Le documentaire « Golda Maria » de Patrick et Hugo Sobelman. Ad Vitam
En 1994, le producteur Patrick Sobelman a filmé les confidences de sa grand-mère Golda Maria Tondovska, qui a connu l’horreur de la déportation. Vingt-cinq ans plus tard, avec son fils Hugo, il a fait de ces dix heures d’images privées un documentaire, Golda Maria, qui sort en salles ce mercredi. Pour le CNC, il raconte la genèse de ce projet hors norme.

Qu’est-ce qui vous avait incité, en 1994, à recueillir le témoignage de votre grand-mère ?

Je venais de produire pour Arte un long métrage documentaire, Premier Convoi de Pierre-Oscar Lévy, le récit des douze survivants du premier convoi de juifs français vers les camps de concentration, le 27 mars 1942. C’est dans la foulée de cette aventure qui s’est étalée sur un an et m’a ancré dans le métier de producteur que j’ai pris conscience d’avoir à côté de moi quelqu’un qui avait survécu à cette horreur. Je me devais de recueillir son témoignage. 

Comment a réagi votre grand-mère quand vous lui en avez parlé ?

Elle avait alors 84 ans et j’ai tout de suite ressenti son envie de parler, alors qu’elle était encore pleine forme mais savait qu’elle allait décliner. Elle ne voulait pas garder tout cela pour elle. Elle avait besoin de le transmettre, même si évidemment elle ne l’a pas formulé de manière aussi explicite.

Vous aviez déjà une idée de documentaire derrière la tête ?

Pas une seconde ! Il s’agissait juste d’enregistrer son image et sa voix pour mes enfants qui avaient à l’époque 6 ans et 4 ans, pour leurs cousins… J’ai recueilli les confidences de Golda Maria pendant trois jours. Au final, il y avait dix heures de rushes. Mais je ne les ai pas montées à cette époque. Juste recopiées sur des VHS pour les donner aux enfants et leur laisser le loisir de les regarder quand ils le voudraient.

Qu’avez-vous appris à travers ces échanges ?

Mon obsession était qu’elle m’explique comment en 1945, en revenant d’Auschwitz où elle avait perdu un fils, sa belle-mère et d’autres membres de la famille, elle avait pu continuer à vivre, continuer à être la mère puis la grand-mère qu’elle a été. Pour essayer d’avoir une réponse à cette question, il fallait qu’elle me raconte sa vie depuis l’enfance. Or de tout cela, je ne connaissais au fond que peu de choses. Je savais évidemment l’enfer qu’elle avait traversé, que le médaillon qu’elle portait en permanence autour du cou contenait la photo de son fils Robert, mort dans les camps à 3 ans. Mais les détails m’étaient inconnus.

Ce sujet n’était pas tabou dans notre famille, mais pas creusé non plus. On n’osait pas poser de questions trop directes et trop intimes.

Vous l’avez filmée avec quel matériel ?

Un caméscope 8 mm avec micro incorporé que j’ai posé sur un trépied. Une de ces caméras amateurs dont on se servait à l’époque pour les castings et les repérages. Le dispositif le plus basique du monde parce qu’une fois encore, je ne pensais pas à en faire un film. Je garde un souvenir tout particulier de la toute fin de cet enregistrement : alors que Golda Maria me dit des choses essentielles, je sens la batterie me lâcher. Et par un réflexe qui n’a a priori aucun sens, je sors le caméscope du trépied et je m’approche d’elle. Comme si ce geste allait retarder la fin de la batterie ! Golda Maria fixe alors la caméra en me regardant derrière l’œilleton. C’est son seul regard à la caméra, durant ces trois jours, qui plus est en gros plan. Ce sera l’ultime plan du film. C’est ce plan qui, vingt-cinq ans plus tard, nous a fait penser qu’il y avait un documentaire à créer à partir de cette matière.


Comment ces dix heures d’images sont-elles devenues un projet de documentaire ?

Ma compagne Alice Girard, qui travaille chez Rectangle Productions, venait de produire en Pologne Lune de miel d’Élise Otzenberger. Ce tournage l’avait amenée à Auschwitz. En revenant, elle m’a dit qu’avec mes enregistrements, je n’avais fait que la moitié du chemin. Je ne m’étais pas approprié la matière, je devais monter ces images pour le faire. J’ai tout de suite compris qu’elle avait raison. Que si je voulais aller au bout de cette idée de transmission, je devais en faire un film d’une durée normale, car personne ne regarde dix heures de rushes. Mais là encore sans penser à en faire un film qui sortirait en salles. Toujours avec cette idée de transmettre cette parole à mes enfants.

Comment avez-vous abordé le montage ?

Je ne me voyais pas me lancer dans cet exercice avec un monteur que je ne connaissais pas. Or il se trouve que mon fils Hugo venait de tourner son premier long métrage documentaire [Soul Kids, sorti en salles le 24 novembre dernier, NDLR], qu’il a une station de montage chez lui et qu’il adorait ma grand-mère. J’aimais l’idée de continuer cette histoire de transmission en l’impliquant. On a donc commencé à dérusher quand on avait le temps, en parallèle de nos activités professionnelles. On a fini par extraire deux heures. Et quand notre montage a été terminé, je l’ai montré à mon associée Muriel Meynard et à mon amie Carine Ruszniewski qui a produit Soul Kids. À la fin de cette projection, elles étaient toutes les deux en larmes et nous ont assuré qu’il fallait montrer ce film au plus grand nombre. Que sa portée nous dépassait. Ça a constitué un nouveau déclic. On l’a montré alors à Ad Vitam, à MK2. Et ce film de famille a fini par devenir un documentaire distribué en salles.

Est-ce qu’en passant d’un film réservé à vos proches à un documentaire cinéma vous avez modifié le montage ?

Quasiment pas. On a surtout travaillé à insérer des images d’archives au fil du témoignage de Golda Maria. Des photos de famille et des archives plus « historiques » qui se sont révélées une nécessité car la mémoire de ma grand-mère est évidemment faillible. Elle se trompe parfois au sujet de lieux ou de dates. Par moments, son propos peut manquer de clarté. Ça n’était pas un problème tant que ces confidences restaient dans le cadre familial.

Mais avec un documentaire, on a la responsabilité que son histoire personnelle et la grande Histoire soient en concordance. Il a donc fallu recontextualiser. Mais le plus parcimonieusement possible pour rester sur son récit à elle.

La qualité des images vous a inquiété ?

Oui, mais le vrai miracle c’est le son. L’image altérée peut devenir quelque chose d’un peu vintage, on peut toujours s’en sortir. Mais avec un son trop altéré, il n’y aurait pas eu de film. Or, à part un ou deux petits moments sur lesquels on a travaillé, il est resté audible. Sans doute parce que pendant ces vingt-cinq ans, j’ai reporté ce matériel sur des supports différents au fur et à mesure de l’évolution des technologies (VHS, Beta-SP, DVD, disque dur…) dans l’idée que cette mémoire précieuse ne devait pas se perdre. Le documentaire prolonge ce geste en l’élargissant au plus grand nombre. J’y vois aussi une manière de rappeler comment la France avait su accueillir à l’époque des gens venus de l’est de l’Europe pour qui notre pays constituait un îlot d’espoir républicain et, par ricochet, comment de nos jours ce sentiment-là s’est perdu. C’est aussi une façon de mettre en avant cette idée que nos aïeux ont quelque chose à nous transmettre. Qu’il faut les écouter et les entendre.

GOLDA MARIA

De Patrick et Hugo Sobelman
Montage : Hugo Sobelman
Production : Agat Films & Cie, Ex Nihilo, GoGoGo Films
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : MK2 International

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