Iris Kaltenbäck : « Avec le cinéma, je peux amener le spectateur à ressentir et non pas à juger »

Iris Kaltenbäck : « Avec le cinéma, je peux amener le spectateur à ressentir et non pas à juger »

13 octobre 2023
Cinéma
Hafsia Herzi dans
Hafsia Herzi dans "Le Ravissement" d'Iris Kaltenbäck Mact Productions - Marianne Productions - JPG Films - BNP Paribas Pictures

Diplômée de la Fémis section scénario, la réalisatrice de 35 ans signe avec Le Ravissement son premier long métrage, Prix SACD à la Semaine de la critique 2023. Un film sur le destin d’une sage-femme que le mal-être pousse à usurper la maternité de sa meilleure amie. Portrait d’une cinéaste au parcours atypique.


C’est un titre à double sens qu’Iris Kaltenbäck a soigneusement choisi. Le Ravissement raconte le destin de Lydia, sage-femme très investie dans son travail mais malheureuse en amour, qui va dérailler le jour où sa meilleure amie tombe enceinte. Une chronique sociale en forme de tragédie et de thriller. Un ton à la croisée des chemins, revendiqué par la jeune cinéaste : « J’avais envie d’un film au croisement des genres, nous confie-t-elle. Je voulais avoir toute la liberté de faire un portrait de femme, tout en restant très proche du personnage. Je souhaitais que tout ce qu’elle vit fasse écho à nos propres vies. Et puis en parallèle, il y a Milos, la voix off du film, qui tente de reconstituer le puzzle qu’est cette femme, en utilisant les codes du thriller. Cet homme mène une enquête, de la même manière que moi, réalisatrice, je mène mon enquête sur cette femme… »

À 35 ans, Iris Kaltenbäck signe un premier long métrage, qui a tapé dans l’œil de la Semaine de la critique à Cannes en mai 2023, avant d’arriver dans les cinémas cette semaine. « Je suis ravie de voir le film en salles, mais pour l’instant je suis encore dedans… Je garde un œil attentif sur les entrées. J’ai tellement envie que les gens aillent le voir au cinéma ! J’ai le sentiment de ne pas avoir totalement lâché ce projet, même s’il appartient désormais aux spectateurs… Son existence ne dépend plus de moi, mais du public. » Le travail de la cinéaste sur la mise en scène a déjà été salué par la critique. « C’est important, parce que la presse permet à ce genre de films de réellement exister. Mais ce qui fait surtout plaisir, c’est de sentir que les gens ont compris ce qu’on a voulu faire. Et à titre personnel, cet accueil me donne de la force et de la confiance pour l’avenir. »

Du prétoire à la caméra

Il faut dire que la jeune cinéaste n’a pas toujours eu la vocation du septième art. Avant d’intégrer la Fémis, Iris Kaltenbäck a fait des études de droit et de philosophie, travaillant même un temps aux côtés d’une avocate pénaliste. « J’ai hésité à faire ce métier parce que j’aime beaucoup le droit, analyse-t-elle. Mais j’ai compris au fur et à mesure des procès que les gens me passionnaient, et je ne voulais pas approcher leurs histoires par le biais du droit, mais par le biais de l’émotion. Et donc du cinéma. Dans le droit pénal, on rencontre beaucoup d’histoires tragiques extraordinaires et au fil des procès, j’ai emmagasiné une certaine frustration : l’impératif de jugement fait que, dans un procès, toute prise de parole a un but, comme une mise en scène. Les avocats présentent une version pour convaincre, le procureur présente la sienne, le juge se doit de se forger un avis tranché. J’ai donc toujours eu ce sentiment que la parole de l’accusé était totalement engloutie par ce processus. C’est ce qui a fait que j’ai changé de voie. Là, avec le cinéma, je peux amener le spectateur à ressentir et non pas à juger, à accompagner un personnage jusque dans les pires situations, sans cet impératif de jugement. »

Plus que les faits divers en eux-mêmes, ce qui fascine la réalisatrice, c’est « l’ambiguïté humaine et l’ambivalence ». Elle confie se passionner pour des personnages « dont les actes immoraux amènent une forme de contradiction. C’est ce qui m’accroche, parce que j’ai envie de comprendre. Je pense que ces gens racontent quelque chose de l’humanité et de la société dans laquelle on vit. »

 

C’est ainsi qu’à la fin de ses études de cinéma, Iris Kaltenbäck a imaginé le court métrage Le Vol des cigognes. L’histoire d’un vol de bébé dans une maternité par une femme qui présente l’enfant à son mari militaire comme étant le sien. Les producteurs délégués Alice Bloch (Marianne Productions) et Thierry de Clermont-Tonnerre (Mact Productions) ont été impressionnés par son travail et lui ont demandé d’écrire un long métrage sur ce même sujet : ce sera Le Ravissement. « À ce moment-là, je suis tombée sur un fait divers qui traitait de ce sujet. Il m’a inspirée pour écrire le film. À partir de là, tout est allé très vite. J’avais très envie de tourner, même avec peu d’argent. On a eu la chance d’avoir le soutien de la Région Île-de-France qui a tout déclenché. »

Pour Le Ravissement, je me suis inspirée de Marguerite Duras pour raconter un personnage hanté, enfermé dans le silence.

Iris Kaltenbäck s’est aussi inspirée du livre de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein (1964). « C’est un livre que j’avais lu adolescente et qui m’avait bouleversée, se remémore la réalisatrice avant de détailler : C’est une jeune femme qui voit son fiancé tomber fou amoureux d’une autre femme pendant un bal. Un coup de foudre devant ses yeux. Au lieu d’avoir la réaction clichée qu’on imagine, elle est époustouflée par l’événement. Elle veut y participer par le regard. Et elle oublie de ressentir de la douleur. Cela va revenir la hanter. On est dans le trauma qui s’étale sur le long terme. C’est ce déni de douleur qui m’intéresse en tant que cinéaste. Pour Le Ravissement, je me suis inspirée de Marguerite Duras pour raconter un personnage hanté, enfermé dans le silence et qui a du mal à exprimer ce qu’il ressent. » Le déni de chagrin est aussi une thématique qui intéresse la cinéaste, « parce que c’est quelque chose que j’ai moi-même expérimenté dans ma vie personnelle. Je me suis rendu compte avec le temps que le chagrin ne venait pas immédiatement chez moi. Il y a une sorte de délai. D’abord, il y a l’événement en soi, qui occupe le vide. Puis, petit à petit, on réalise ce qui s’est passé et c’est de là que vient le trauma… J’avais envie de raconter cela ».

Le Ravissement a été tourné à la fin de l’année 2022. Et si la réalisatrice n’est pas encore tout à fait prête à passer à autre chose, cela ne l’empêche pas de regarder l’avenir avec une foule de projets en tête et dans ses tiroirs : « Je suis en train d’écrire, mais je suis à un moment où je tâte le terrain sur différentes idées. Par expérience, je crois qu’un réalisateur ne doit pas s’enfermer dans un seul projet. On a tellement besoin des financements pour faire les films, qu’on ne peut pas savoir à l’avance ce qui va fonctionner. Donc c’est important de travailler sur plusieurs projets… »

Le Ravissement

Réalisation et scénario : Iris Kaltenbäck
Musique : Alexandre de la Baume
Avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse…
Production déléguée : Alice Bloch (Marianne Productions) et Thierry de Clermont-Tonnerre (Mact Productions)
Coproduction : JPG Films, BNP Paribas Pictures Distribution France : Diaphana
Ventes internationales : Be For Films Sortie en salles : 11 octobre 2023
Soutiens du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide au développement d'oeuvres cinématographiques de longue durée