Juliette Lambours : « Je n’avais jamais eu l’occasion de vivre une expérience comme Onoda »

Juliette Lambours : « Je n’avais jamais eu l’occasion de vivre une expérience comme Onoda »

21 juillet 2021
Cinéma
Onoda, 10 000 nuits dans la jungle d'Arthur Harari.
"Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" d'Arthur Harari. Le Pacte
La directrice de production des Choses qu’on dit, les choses qu’on fait raconte, pour le CNC, son travail sur Onoda, 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari, qui a fait l’ouverture de la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2021. L’histoire vraie de Hiroo Onoda, un soldat japonais qui, isolé sur une île des Philippines, avait refusé de croire à la fin de la Seconde Guerre mondiale et continué des opérations de guérilla durant près de trente ans.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager dans cette aventure ?

Le tournage d’Onoda s’est déroulé de fin 2018 à début 2019. J’ai été approchée par le producteur Nicolas Anthomé dès septembre 2017. Je connaissais Arthur Harari depuis l’époque où il avait tourné son moyen métrage La Main sur la gueule, en 2007. On s’apprécie humainement, j’étais admirative de son travail et on avait souvent exprimé l’envie de travailler ensemble. J’ai donc spontanément accepté la proposition de Nicolas. Jusqu’à ce qu’il m’explique qu’il s’agissait d’un film dont le tournage serait assez long et se déroulerait dans la jungle cambodgienne. Sur le moment, j’ai failli dire non pour des raisons personnelles : je ne me voyais pas partir aussi longtemps, aussi loin de ma famille. Puis j’ai eu le scénario entre les mains et tout a basculé. Écrit par Arthur (Harari) et Vincent Poymiro, il était incroyablement entraînant, ses personnages vous restaient dans la tête une fois le script refermé... On m’offrait là une expérience que je n’avais jamais vécue de ma vie et que je n’étais sans doute pas prête à vivre dans mon métier. Une aventure aussi atypique que dingue. Alors forcément, ça donne envie de plonger même si, à la lecture du scénario, j’ai vite compris qu’aucune scène ne serait simple.

Une fois votre accord donné, comment avez-vous travaillé ?

Quel que soit le film, je commence toujours par dépouiller le scénario, lister les éléments qui vont prendre du temps, donc coûter de l’argent, le nombre de personnages, de décors… 

Onoda a ceci de particulier que je me retrouvais face à une quantité de décors astronomique : près de 200. Il fallait donc rentrer sans attendre dans le concret : trouver les différents types de jungles – jungle « épaisse », jungle plus légère – qu’Arthur allait filmer, les bords de mer, les villages, les ports…

J’ai appris aussi très vite que si l’action d’Onoda se déroule aux Philippines, on ne tournerait pas sur place mais au Cambodge, un pays où l’on peut travailler sereinement et où les Français sont extrêmement bien accueillis.

Comment se sont organisés les repérages ?

En deux temps : en octobre 2017, puis en décembre 2017. Sur place, on a pu compter sur quelqu’un qui s’est révélé indispensable : le cinéaste franco-cambodgien Davy Chou, qui occupait pour la première fois le poste de coproducteur. Sans lui, Onoda n’aurait jamais existé de cette manière. Arthur était aussi remarquablement entouré par une « garde rapprochée » (son frère Tom à la photo et Benjamin Papin en premier assistant), hyper ouverte pour que Davy, moi et les autres puissions rentrer facilement dans leur univers. Là encore, sans leur générosité, rien n’aurait été possible. Ce double repérage au Cambodge était indispensable. Car la plupart d’entre nous découvraient le pays. On a donc tâtonné avant de trouver des alliés sur place, qui nous ont accompagnés pour identifier les lieux de tournage, en prenant évidemment garde à ce qu’ils ne soient pas trop inaccessibles. Si un décor nécessite trois jours de marche pour s’y rendre, il doit vraiment être indispensable !

Sur quoi ont porté vos premières discussions avec Arthur Harari ?

 
Il y a deux manières de faire ce type de film. Soit en équipe réduite à cinq, dans une forme quasi-documentaire, soit avec des millions d’euros en reconstruisant énormément de décors. Or Onoda ne rentre dans aucune de ces deux cases.

Dès le départ, Arthur m’a clairement dit ne pas vouloir tourner en équipe réduite, mais faire un film avec une grande ambition de cinéma, des travellings, une lumière travaillée, des centaines de figurants qui courent dans tous les sens au cœur des explosions… Cela impliquait une équipe technique d’une cinquantaine de personnes. Ce qui ne correspondait pas au budget prévu. Mais le but – et mon travail – était d’y parvenir malgré tout.

Comment parvient-on à rendre cette ambition réelle, sans faire exploser le budget ?

Grâce au producteur Nicolas Anthomé qui a pris énormément de risques financiers personnels sur ce film, en lui donnant précisément les conditions pour qu’il existe dans toute son ambition. À commencer par la certitude dès le départ qu’il faudrait douze semaines de tournage (qui sont devenues treize au final), ce qui est énorme ! On avait donc un producteur qui n’avait pas peur de se mettre en danger, un réalisateur à l’écoute de son premier assistant, de son chef opérateur, de la cheffe décoratrice Brigitte Brassard, de la cheffe costumière Catherine Marchand (avec la multitude de costumes à faire venir de France et du Japon), le soutien à la technique de TSF, qui a quasiment été mécène sur ce projet qu’ils ont accompagné car il les passionnait comme il passionnait chacun des membres de l’équipe. C’est donc cette magie du cinéma qui a opéré et rendu des choses a priori impossibles possibles. J’ai rendu un premier devis début 2018 qui a servi de base à la réflexion. Puis en mars, on a construit tout le village philippin afin qu’il soit patiné par la mousson durant l’été avant le tournage et ainsi obtenir une certaine véracité. Idem pour le port des années 40 que nous avons également construit. Mais tout cela n’a fonctionné que parce que nous allions tous dans le même sens et qu’on n’a jamais rien lâché. 

Votre rôle de directrice de production change-t-il sur ce type de projet hors norme ?

Oui, et je ne vous cache pas qu’il y a eu des moments très durs, en tout cas jusqu’au premier jour de tournage. Cela faisait longtemps que je n’avais pas versé quelques larmes en préparation ! (Rires.) Et sans l’équipe autour de moi, je crois que j’aurais lâché l’affaire. Arthur, par exemple, ne disait évidemment pas oui à toutes nos demandes, mais il était à l’écoute dans la réflexion. Quand, une semaine avant le tournage, on lui a appris qu’un des décors venait d’être rasé par des bulldozers, il n’a pas craqué mais a tout de suite été dans la recherche d’une solution qui, d’ailleurs, au final, s’est révélée meilleure. Il n’y a jamais eu d’opposition production/mise en scène. Sans quoi nous serions de toute façon allés dans le mur.

Comment avez-vous réagi en découvrant le film terminé ?

L’engagement que j’y ai mis, les sacrifices familiaux que j’ai acceptés ont fait que j’attendais le résultat avec autant d’excitation que d’angoisse. Je me demandais ce qui allait se passer si ça ne me plaisait pas. Or j’ai éclaté en sanglots quand la lumière s’est rallumée. Avec ce sentiment fort d’avoir travaillé sur un chef-d’œuvre. Je n’avais vu aucune étape de montage et me replonger dans cette histoire qui m’avait tellement séduite au scénario était un moment fort. Le résultat va au-delà de mes espérances.

ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE

Réalisation : Arthur Harari
Scénario : Arthur Harari et Vincent Poymiro
Producteur : Nicolas Anthomé pour Batysphère
Coproducteurs : Davy Chou, Christoph Friedel, Lionel Guedj, Dominique Marzotto, Andrea Paris, Olivier Père, Jean-Yves Roubin, Matteo Rovere, Masa Sawada, Claudia Steffen, Cassandre Warnauts
Directeur de la photographie : Tom Harari
Monteur : Laurent Sénéchal
Directrice de production : Juliette Lambours
Cheffe costumière : Catherine Marchand
Musique : Olivier Marguerit
Distributeur : Le Pacte

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