« La Campagne de France » : plongée au cœur d’une élection municipale

« La Campagne de France » : plongée au cœur d’une élection municipale

10 mars 2022
Cinéma
« La Campagne de France »
Matthieu et Guy dans « La Campagne de France » de Sylvain Desclous The Jokers
Pour son premier long métrage documentaire, Sylvain Desclous a suivi la campagne pour élire le nouveau maire du village de Preuilly-sur-Claise, en Indre-et-Loire, qu’il connaît depuis l’enfance. Une déclaration d’amour à l’engagement politique au plus près des citoyens dont il nous dévoile les coulisses.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de filmer une campagne municipale au cœur d’un village français ?

Diplômé de Sciences Po à Aix-en-Provence, j’ai un temps caressé l’idée de faire l’ENA avant de devenir cinéaste. La chose politique m’a toujours attiré. Et il se trouve que je connais bien Preuilly, car une partie de ma famille y a vécu et y vit encore. J’y ai passé tous mes étés depuis ma naissance, il y a quarante-huit ans, et ma tante en a même été la secrétaire de mairie pendant trente ans. Une partie de mon premier long, Vendeur, se passait là-bas et mon moyen métrage La Peau dure, en 2019, s’y déroulait entièrement. Il se trouve que j’étais à ce moment-là en attente de financement pour mon deuxième long métrage de fiction, De grandes espérances, qui va aussi parler de politique et que j’ai tourné depuis. J’avais donc du temps devant moi et l’envie de faire un documentaire. L’idée de poser ma caméra à Preuilly est venue comme une évidence car, ainsi, le film allait être plus simple à fabriquer dans un laps de temps court. Je me suis mis à chercher un sujet. Comme se profilaient les élections municipales, j’y ai vu l’occasion de passer du temps dans le village pour filmer toute une galerie de personnages, avec en toile de fond cette campagne. 

Comment se construit ce documentaire ? Vous avez d’emblée une trame en tête ? L’idée de ces deux personnages qui vont devenir les « héros » de La Campagne de France : Mathieu, tête de liste, Parisien consultant en intelligence artificielle revenu vivre dans le village de son enfance et son numéro 2, Guy, figure locale et grande gueule assumée ?

J’ai en effet commencé par écrire un scénario qui nous a permis de décrocher des financements. Mais très vite, je me suis rendu compte que ce que j’avais écrit ne tenait pas la route. Car pour arriver au résultat que j’ambitionnais, il aurait fallu que je passe bien plus de temps au village. Or les élections approchaient à grands pas. Le déclic pour réorienter le film a eu lieu le jour où, alors qu’il n’y avait que deux listes candidates, Mathieu m’a annoncé qu’il décidait de se présenter avec Guy en numéro 2. J’ai tout de suite eu l’assurance qu’avec ce duo-là je tenais quelque chose, que le film devait s’accrocher à eux pour se restructurer. 

Qu’est-ce qui vous donne cette certitude ?

Je connais Guy depuis que je suis né. C’est LA personnalité du village, la plus clivante, la moins aimée aussi. Mathieu, je l’avais croisé au moment de Vendeur, car on avait tourné dans sa maison. On s’était revu à la projection de La Peau dure. C’était l’un des seuls dans le village à avoir eu une vraie lecture du film. Au moment où je commence le tournage, je ne le connais pas tant que ça, mais je perçois une alchimie possible à l’écran entre ces deux personnalités aux antipodes l’une de l’autre.

Ils se laissent facilement convaincre ?

Mathieu me dit immédiatement oui. En très fin stratège, il a compris le parti qu’il allait pouvoir en tirer pour sa campagne. C’est aussi le moyen de montrer à tous ceux qui se moquaient de lui en douce qu’il pouvait passer à l’image. Guy a été un peu plus difficile à convaincre… mais comme un acteur qui a envie qu’on le désire ! (Rires.) En tout cas, je n’ai pas eu à vaincre de grandes réticences.


Vous réécrivez un scénario à partir de la nouvelle orientation que prend le film ?

Non car je suis alors trop proche de l’élection pour prendre ce temps-là. Je décide de me fier à mon intuition en sachant que je suis sur un fil qui peut casser à tout moment. La majeure partie de mon travail consiste surtout, dans un premier temps, à communiquer dans le village. Je dois expliquer aux différents candidats ce que je souhaite faire avec ce documentaire et échanger avec eux sur leur emploi du temps pour tenter d’anticiper sur ce qui pourrait être cinématographiquement payant. Même si je donne la priorité à Mathieu et à Guy car je suis persuadé qu’ils vont arrimer le film, je ne veux surtout pas que les autres candidats se sentent délaissés ou maltraités. Ou que mon documentaire soit perçu comme un moyen d’influencer la campagne en privilégiant une liste par rapport aux autres.

On vous a donné accès à tous les moments que vous souhaitiez filmer ?

En grande partie, oui. J’aurais juste aimé filmer un peu plus longuement leurs réunions de travail. Mais il ne faut pas oublier que leur agenda n’était pas le mien. Les candidats avaient d’abord et avant tout une élection à préparer et à gagner. Le documentaire était évidemment secondaire.

Être vous-même un enfant de Preuilly a joué un rôle important ?

C’est une certitude. Je peux même dire que sans cela, ce documentaire n’aurait jamais existé. En tout cas pas dans les conditions où on l’a tourné. J’aurais dû m’installer dans le village plusieurs mois en amont pour me faire accepter. Là, les gens avaient spontanément confiance. Ceux qui n’avaient pas envie d’être filmés savaient que je respecterais leur volonté. Et ceux qui avaient accepté de faire partie du projet savaient que je ne les trahirais pas.

C’est pour cela que, tout au long du film, vous prenez le parti de l’empathie, le refus de toute ironie, à l’inverse par exemple d’une émission comme Strip-tease qui s’est construite sur cette ligne-là ?

Ce fut une évidence dès le départ. Pour moi, il y avait deux règles de base immuables. Mon film ne devait prendre parti pour aucune des trois listes ni se retourner contre ceux, candidats ou autres, qui avaient accepté d’y participer.

La moquerie était donc hors sujet. Et cela a nécessité une attention de chaque instant.

Car j’avais évidemment conscience que, sur le moment, on peut capter des choses que quelqu’un de maladroit ou de mal intentionné pourrait au final monter dans un sens plus ironique. C’est une réflexion qui a guidé en permanence notre travail avec ma monteuse Isabelle Poudevigne.

Ces deux règles de base que vous évoquez ont aussi influencé votre travail sur l’image avec votre chef opérateur Jean-Christophe Beauvallet ?

Complètement, car là encore on veut se situer à l’opposé de Strip-tease. Être le moins caméra à l’épaule possible par exemple. Je privilégie au maximum les plans posés car j’ai tout de suite pressenti que ce documentaire ne fonctionnerait qu’à travers une mise en scène extrêmement sobre. Le réalisateur que j’étais devait s’effacer devant ce qu’il filmait.

Mathieu dans La Campagne de France de Sylvain Desclous The JokersThe Jokers

Quand avez-vous commencé à monter le film ?

À la fin du tournage ou plus précisément à la fin du premier confinement car celui-ci a débuté dans la foulée. On avait une trentaine d’heures de rushes. Et j’avoue m’être demandé à ce moment-là s’il existait bien un film dans toute cette matière. L’apport d’Isabelle Poudevigne a été décisif. D’abord parce qu’elle n’avait aucun doute là-dessus. Ensuite pour sa capacité à structurer le montage à travers deux axes : la dramaturgie de l’élection – des premiers jours de la campagne au soir des résultats – et les figures de Mathieu et Guy. Tout est alors devenu limpide et mes doutes se sont envolés.

Connaissant aussi bien Preuilly, n’avez-vous pas craint, parfois, de filmer des moments qui allaient n’intéresser que vous ou les habitants du village ?

J’ai toujours eu en tête une phrase de Tolstoï que j’adore : « Si tu veux être universel, parle de ton village. » Je savais donc que plus je serai proche de Preuilly, plus mon documentaire aurait une chance de résonner. Sans compter qu’il ne faut jamais oublier que nous sommes nombreux à être issus de petits villages et que, spontanément, ce film peut parler à énormément de gens.

Vous auriez pu choisir de clore ce film le soir de l’élection, mais vous avez ajouté un épilogue où Mathieu et Guy se retrouvent quelques mois plus tard. Qu’est-ce qui vous y a incité ?

Le soir de l’élection et de la défaite de la liste de Mathieu, j’ai été surpris d’avoir accès à ce moment d’émotion que sont les larmes de Guy. C’est Mathieu qui m’avait prévenu et suggéré de venir. Guy s’est laissé filmer avant de me demander de ne pas monter cette scène car il ne voulait pas que le village le voie craquer. J’ai négocié avec lui pour que ce moment soit présent dans le film mais pas dans la longueur. Il a accepté et je sais qu’il s’en félicite aujourd’hui car son image a quelque peu changé au village : ses larmes montrent sa sincérité et sa bonne foi. Pour autant, le documentaire aurait donc dû se terminer après ce moment, sur Mathieu, de dos, rentrant chez lui dans la nuit, après la défaite.

Et j’ai trouvé cette conclusion trop dure, trop triste, trop amère. À l’opposé de ce que je souhaitais. J’avais besoin de lumière, de sourires, de rires.

C’est donc moi qui ai proposé ces retrouvailles entre Mathieu et Guy. Et je suis heureux du côté radieux de cet épilogue. Je fais le pari que les spectateurs vont s’attacher à ce duo et auront envie de garder cette image d’eux, guéris en quelque sorte de la déception de la défaite. Sans compter évidemment ce que cette scène raconte : en 2026, aux prochaines élections, ils seront de la partie !

LA CAMPAGNE DE FRANCE

Réalisation : Sylvain Desclous
Photographie : Jean-Christophe Beauvallet
Montage : Isabelle Poudevigne
Musique : Bertrand Belin
Production : Sésame Films, Studio Orlando
Distribution : The Jokers/ Les Bookmakers